En Asie, le sex-ratio des naissances penche de façon catastrophique en faveur des garçons. En Inde par exemple, ce ratio filles/garçons pour les enfants âgés de 0 à 6ans est passé de 945 filles pour mille garçons en 1991 à 927 pour mille en 2001 [1], le ratio de la population totale passant lui de 972 pour mille en 1991 à 933 pour mille en 2001. Quant à la Chine, une étude montre que le ratio garçon/fille est de 1,23 sur la période 1995-2000, alors que le ratio naturel garçon/fille à la naissance devrait se situer entre 1,03 et 1,07 [2]. Ainsi à eux seuls, ces deux pays totalisent un déficit de filles dans la population globale de plus de 80 millions [3].
Un recours massif à l’avortement sélectif
Ce phénomène est principalement dû au recours à l’avortement sélectif. En effet, quand les parents ont la possibilité de connaître le sexe de l’enfant à naître, de nombreux couples décident d’avorter s’il s’avère que c’est une fille. Cette pratique a atteint un tel niveau en Inde – on estime à trois millions cinq cent mille le nombre d’avortements sélectifs en 2005 - qu’il est désormais possible de parler de génocide. La Chine n’est pas en reste puisque l’on retient cette sélection prénatale comme la principale cause d’un déficit de plus de plusieurs dizaines de millions de filles et femmes.
Une autre explication de cette surpopulation sélective est que les parents prennent soin en priorité des garçons et négligent les filles, comme le montre la surreprésentation des filles dans les décès d’enfants en bas âge.
L’infanticide, aussi horrible soit-il, reste un phénomène mineur dans ces écarts de population entre garçons et filles.
Des causes multiples pour un choix unique
Si l’on connaît désormais les raisons d’une telle situation, il reste à expliquer pourquoi, quand les parents ont le choix de sélectionner le sexe de leur enfant, ils choisissent majoritairement les garçons. Malheureusement, plusieurs facteurs se conjuguent.
Tout d’abord, dans des sociétés encore très marquées par le patriarcat, avoir un garçon permet de conserver la « lignée ». De plus, les femmes n’ont pas les mêmes possibilités d’accéder à des positions sociales élevées, la tradition les cantonnant aux rôles secondaires.
Le facteur religieux peut être également tenu comme facteur aggravant. Les hindouistes, bouddhistes et sikhs sont plus tolérants avec l’avortement et accordent une place encore plus importantes - c’est possible ! - aux garçons que les catholiques, protestants et musulmans. Mais le facteur essentiel se trouve dans le domaine économique. En Inde comme en Chine, la dot croît de façon considérable. Ainsi, la naissance d’une fille est considérée comme une future perte du capital, souvent déjà très faible, de la famille. A cela s’ajoute le fait qu’une fois mariée, une fille ne sera plus d’aucune « utilité », puisqu’elle ira vivre et travailler dans ou pour la famille de son mari.
Des réactions politiques timides et tardives
Si dès lors, il est possible de comprendre la rationalité économique qui préside au choix de mettre au monde des garçons, il faut néanmoins remarquer que des décisions politiques ont accéléré ce processus. En incitant, comme en Inde, la population à préférer les familles restreintes, ou en imposant le modèle de l’enfant unique en Chine, les autorités ont placé les habitant-e-s devant un choix dont on connaît l’issue. Ayant très peu de chances d’avoir un deuxième enfant, ils/elles préfèrent avorter si ce premier enfant est une fille pour « retenter leur chance » et avoir cette fois un garçon.
A terme, ces avortements sélectifs vont avoir des conséquences désastreuses sur la composition de la population de tout un continent. On constate déjà un « marché » international du mariage. Nombreu-x-ses sont les habitant-e-s des pays les plus riches qui vont chercher leur femme dans des pays proches et au niveau de vie plus bas. Se crée alors un marché très profitable pour quelques-un-e-s et catastrophique pour les femmes, qui ne sont plus considérées que comme une marchandise à échanger au sein de réseaux internationaux.
Face à ce phénomène, et se rendant compte de la catastrophe à venir, les autorités tentent de rétablir, timidement, l’équilibre naturel. Le gouvernement Indien a ainsi promulgué une loi sur le PC & PNDT (preconception et techniques de diagnostic prénatal) qui interdit aux médecins de dévoiler le sexe des enfants à naître. Si l’intention est bonne, son application, en raison de l’inertie culturelle et de la corruption, reste quasi inexistante. En effet, depuis sa création, 22 états sur 35 n’ont pas déclaré le moindre cas de violation de cette loi.
La Chine, quant à elle, a recours à des incitations économiques en attribuant des pensions annuelles, pouvant aller jusqu’à 72,5 $ aux familles ayant deux filles [4].
Vers la disparition des sociétée misogynes
Comme nous venons de le voir la situation sur ce continent est pour le moins critique, et inverser la tendance ne pourra se faire qu’avec une volonté politique forte. Il reste cependant quelques lueurs d’espoir. En Corée, les différentes mesures politiques et un changement dans les mentalités des jeunes qui tiennent beaucoup moins aux valeurs patriarcales que leurs aînés a permis de retrouver un ratio proche de la normale. Dans le pire des cas, l’absence de femmes entraînera la rareté des enfants et une décroissance démographique, qui se soldera par des avortements sélectifs de plus en plus nombreux jusqu’à la disparition – Qui sait ? –, comme dans la fiction de Amin Maalouf [5], des sociétés misogynes. Souhaitons quand même que la disparition du patriarcat soit la conséquence de luttes, non celle de la disparition des femmes !