Officiellement, selon sa constitution, l’Etat polonais est neutre du point de vue religieux, assure la liberté de conscience, mais également l’égalité de tous les cultes présents sur son territoire. En réalité, personne n’est dupe de cette façade en Pologne : l’Eglise catholique n’est pas un culte parmi d’autres. Depuis 15 ans elle a réussi à imposer sa présence dans les structures politique et l’espace public à tel point que les associations laïques comparent la situation actuelle à la période de domination stalinienne en Pologne. La propagation massive de l’idéologie « national-chrétienne » dans les médias et l’espace public ainsi que la crainte de la population de critiquer ouvertement l’Eglise caractérise ce que les associations considèrent comme un « totalitarisme noir », semblable au totalitarisme stalinien des années 50.
En effet, l’Eglise met en œuvre en Pologne une conception de la démocratie chère à Jean-Paul II : selon ce redoutable homme politique européen issu de la droite dure polonaise, la première des libertés humaine et la plus importante est la liberté d’affirmer sa foi et sa religion. Partant de là, la démocratie véritable, la seule que l’Eglise catholique promeut et soutient, doit être basée sur des principes divins. La démocratie laïque basée sur la souveraineté des institutions crées par l’être humain n’a pas réellement de légitimité et la conception de « majorité » n’a pas en soi pour l’Eglise de valeur constitutionnelle. Pour l’Eglise, la démocratie n’a donc de légitimité que si elle met en œuvre les « conceptions divines » que l’Eglise a elle-même défini par le truchement des écrits du pape, les décisions du Synode et les agissements de ses représentants : archevêques, évêques et curés.
Incarnée en Pologne, la conception vaticane de la démocratie ressemble furieusement à une théocratique mi-imposée, mi-consentie par un pays complètement bouleversé et transformé par les profondes mutations sociales et économiques imposées par la mondialisation libérale des 15 dernières années. Elle implique une domination sans partage sur des institutions-clés de la société comme l’école, l’armée, les structures d’Etat, les collectivités, la famille. Depuis l’élection du président Kaczynski, élu sur un programme nationaliste et fondamentaliste chrétien en 2005, l’Eglise est en train d’avancer ses derniers pions vers la domination totale.
Un immense transfert d’argent des caisses de l’Etat vers l’Eglise
Cela se traduit tout d’abord par un immense transfert d’argent : selon l’association Neutrum, 5 milliards de Zlotys sont transférés chaque année directement des caisses de l’Etat à celles de l’Eglise depuis au moins 10 ans. Tout d’abord, l’Etat paye les salaires de 40 000 enseignant-e-s de catéchisme qui n’ont de compte à rendre qu’à l’Eglise et aucun à l’Education nationale. D’autre part, l’Etat subventionne une multitude de structures sociales et caritatives directement issues de l’Eglise ou apparentées. Par exemple, les associations de loisirs pour la jeunesse catholiques reçoivent toujours, « naturellement » plus de subventions que les rares associations laïques. Par ailleurs, il arrive aux collectivités territoriales de payer directement la construction de lieux de cultes avec les impôts de TOUS les contribuables, et pas seulement ceux des catholiques : récemment, le Conseil Régional de Varsovie a attribué la somme de 20 millions de Zlotys pour la construction d’une église ! Et qui finance donc les multiples voyages et séjours des papes en Pologne, Jean-Paul II et Benoît XVI, devant lesquels les médias occidentaux s’extasient toujours sans jamais se poser la question de qui au final paye la note des fastueux autels élevés dans les villes et en pleine campagne, des imposants services d’ordre accompagnant les messes publiques et des cadeaux donnés au « souverain pontife » ? Les citoyen-ne-s polonais-es bien sûr, en tant que contribuables, qu’ils soient athées, jui-f-ve-s, orthodoxes ou tout simplement catholiques et laïques, alors que ces événements publics organisés par l’Etat sont de nature religieuse et dépassent largement la dimension d’accueil dû à un chef d’Etat étranger.
Au niveau symbolique, les lieux publics tels qu’aéroports, hôpitaux et même le Parlement polonais abritent des chapelles catholiques dans lesquelles la célébration de tout autre culte est interdite. Que devient alors la liberté de croyance dans une situation de domination de fait de l’Eglise catholique ? Que deviennent la neutralité religieuse et la laïcité de l’Etat si des crucifix ornent les murs du Parlement ? L’association Neutrum a protesté contre la présence de ces symboles dans des lieux où la liberté d’expression d’opinion devrait être exemplaire et le favoritisme d’une seule option idéologique strictement banni : Marek Borowski et Longin Pastusiak, socialistes et à l’époque respectivement président de la Diète et du Sénat n’on jamais voulu répondre aux interpellations des laï-c-que-s.
« La religion dans les écoles signifie le règne de la peur »
L’Eglise bataille actuellement, via ses partis politiques comme la Ligue des Familles Polonaises ou directement dans ses organes médiatiques ou dans les lieux de cultes, contre l’autorisation de l’activité économique et notamment le commerce le dimanche. L’argument fallacieux de la défense du droit au repos n’est même pas invoqué : tout le monde sait, et Radio Maryja et Nowy Dziennik ne se gênent pas pour le dire, qu’il s’agit d’imposer le mode de vie catholique à tout-e citoyen-ne polonais-e. Il s’agit de contrôler son mode de vie et notamment sa fréquentation de la messe. Pour ceux/celles qui seraient réti-f-ve-s à la fréquentation de messe, et ils/elles existent, ce contrôle s’exerce via les médias : la loi instituant l’obligation des « valeurs chrétiennes » à la télévision publique est un scandale à l’échelle européenne. En effet, elle viole tous les textes nationaux et internationaux consacrant la liberté de la presse et la liberté d’expression. En vigueur depuis presque 10 ans, elle n’a aucunement ému les défenseur-e-s des « droits de l’homme » européen-ne-s… Pourtant, c’est au nom des droits humains que la présence des religieu-x-ses catholiques est si forte sur le petit écran, que des animat-eur-rice-s propagent la morale catholique à tous les étages et que la critique politique de la domination de l’Eglise en est complètement bannie.
S’il y a une institution publique que l’Eglise catholique souhaiterait dominer entièrement, c’est bien l’école publique. L’Eglise rêve de revenir à son statut d’avant 1945, voire d’avant 1795, période où le savoir dispensé aux jeunes générations ne pouvaient échapper d’une manière ou d’une autre à son contrôle. Le premier gouvernement non-communiste de M. Mazowiecki lui a offert une entrée royale dans l’institution scolaire par la circulaire ministérielle du 3 août 1990 autorisant l’organisation de cours de catéchisme en complète violation des lois sur le système scolaire de 1961 et de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat du 17 mai 1989. L’entrée des religieu-x-ses à l’école publique était à l’époque désapprouvée par 60% de la population et approuvé par 35%, selon les sondages. Pourtant, malgré cette opinion défavorable, les résistances n’ont été que sporadiques, individuelles et largement passives. Partant de là « l’Etat paye l’Eglise pour ce qu’elle enseigne et, selon le principe de l’autonomie, n’a aucun droit de se mêler du contenu de ce qu’elle enseigne ». Plus les années passent, plus la présence des cours de religion, mais également l’action des prêtres dans les établissements, la présence des crucifix sur les murs, des cérémonies de prières, voire de messes célébrées dans certaines écoles se banalisent et tendent à devenir « normalisées ». Plus le temps passe, plus les esprits sont mûrs pour la seconde étape, celle à laquelle les parents d’élèves et les enseignants avaient beaucoup plus activement résisté au début des années 90 qu’au retour officiel du catéchisme dans les écoles : l’intégration des notes de religions dans la moyenne scolaire. L’Eglise a globalement perdu cette bataille dans les années 90 : la religion reste encore aujourd’hui une matière facultative et les direct-eur-rice-s d’établissement décident de compter ou pas l’évaluation des « connaissances religieuses » dans la moyenne des élèves. Le nouveau gouvernement et surtout le nouveau ministre de l’Education, le très contesté militant d’extrême droite Roman Giertych, préparent la population polonaise à l’étape ultime qui pourrait arriver très vite si la société civile européenne ne soutient pas les laï-c-que-s polonais-es : l’obligation religieuse jusqu’au baccalauréat inclus !
Mais la problématique de l’inclusion des religieu-x-ses dans le système scolaire public dépasse le simple enseignement du catéchisme. Dans cet esprit de soutien à la religion dominante, l’Etat polonais subventionne l’activité de deux universités catholiques, l’Université Catholique de Lublin et l’Académie Papale de Cracovie, censées former les enseignant-e-s de catéchisme, et accorde des bourses aux étudiants de pas moins de 32 séminaires religieux dont la vocation première est de former des prêtres ! Ainsi, l’Etat entretient la formation de ses pires ennemis. D’autres part, un décret ministériel dispense les élèves participant aux cours de religion catholique de 6 jours de cours par an, 3 avant Pâques et 3 avant Noël, en vertu des rekolekcje, c’est à dire des cours spéciaux de préparation à ces deux fêtes catholiques. Alors qu’avant 1989 ce type de « cours » avait lieu que le soir dans les églises et n’interférait aucunement dans la vie de l’école publique, les enseignant-e-s sont actuellement obligé-e-s de rogner sur le programme scolaire pour permettre à l’idéologie catholique de s’épanouir et sont réquisitionné-e-s gratuitement pour accompagner les élèves jusqu’aux églises où ont lieu ces « cours » ! Ce dispositif viole en outre les droits des élèves non participant-e-s aux cours de religion qui pendant ces 6 jours sont privé-e-s d’école et doivent rester chez eux.
Ainsi, il n’est pas étonnant que depuis 10 ans « la religion dans les écoles signifie le règne de la peur ». Les cours « d’éthique » destinés aux non-participant-e-s à la religion catholique et prévus par la circulaire de 1990 n’ayant jamais été organisés, les élèves athées et agnostiques fréquentent le catéchisme catholique de peur d’être stigmatisé-e-s. Il n’est pas rare de rencontrer des parents de confession orthodoxe ou protestante envoyer leurs enfants en religion catholique à l’école publique afin de ne pas être identifiés comme minorités. Les discours extrémistes, intolérants, homophobes sont fréquents en cours de religion : n’oublions pas que pour le Vatican l’homosexualité est officiellement un péché et une maladie alors que la religion catholique est une vérité « révélée » donc supérieure à toutes les connaissances et à toutes les autres religions. De même, lorsque l’enseignant-e en catéchisme parle de « crime » en parlant de l’avortement et de « criminelles » en parlant des femmes favorables au droit à l’avortement, il ne fait que propager la doctrine officielle de l’Eglise et accessoirement rappeler la loi en vigueur en Pologne. De même, la condamnation de la sexualité hors mariage, du divorce, et la proclamation de la soumission de la femme à l’homme font tout à fait partie du corpus doctrinaire de l’Eglise. Seul problème : la doctrine de la soumission de la femme à l’homme viole allègrement la constitution et les lois polonaises ainsi que les conventions internationales et la Convention Européenne des Droits humains qui instaurent l’égalité entre les sexes…. Qui en Europe va enfin s’émouvoir du fait que des discours contraires aux droits humains sont tenus tout à fait officiellement dans les écoles publiques du plus grand pays parmi les 10 entrants dans l’Union Européenne ? Jusqu’à présent, personne ne s’est ému-e de rien.
Sauf peut-être de l’antisémitisme propagé dans les médias de type Radio Maryja et se traduisant bien vite au quotidien par des actes antisémites, notamment dans les écoles. Mais personne n’a pointé jusqu’à présent le caractère négationniste des comparaisons faites par Jean-Paul II et ses fonctionnaires de l’avortement à la Shoah. Faut-il attendre encore plus d’actes antisémites pour que l’Europe se réveille ? Et si elle se réveille, elle risque fort de n’y voir que le « caractère intrinsèquement antisémite du Polonais » au lieu de reconnaître la responsabilité de l’Eglise dans les discours haineux de ses émules.
De toutes façons, le sexisme est si omniprésent dans la vie publique en Pologne, dans le discours libéral, universitaire, médical, médiatique… que le sexisme de l’Eglise passe totalement inaperçu tellement il est intégré à l’ensemble du dispositif d’oppression des femmes. Il est vrai également que l’apparition d’un féminisme universitaire et médiatique à partir de 1996 a obligé les médias à se repositionner alors que l’Eglise n’a jamais changé un iota de son discours, les féministes n’ayant pas encore osé l’attaquer de front.
L’alliance du sabre et du goupillon
Pour finir, l’Eglise pourra parachever sa mainmise sur l’école grâce à la création par la droite extrémiste au pouvoir d’un Institut National d’Education, qui verra le jour en janvier 2007 et sera chargé de réécrire les programmes scolaires dans un esprit « national-catholique », libre des influences « écologistes et pacifistes » honnies par la droite. La circulaire du vice-ministre Zieliński, bannissant les « thématiques écologistes, pacifistes et anti-guerre néfastes à l’éducation de la jeunesse » des écoles n’est pas une initiative isolée. La résistance monte en effet de plus en plus contre la militarisation de la société et contre la participation de l’armée polonaise à la guerre en Irak contre l’avis de la majorité de la population. Cette militarisation de la société, accompagnée d’une propagande médiatique faisant l’apologie de la guerre des Etats-Unienne en Irak, est concomitante de la main-mise des Etats-Unis sur l’armée polonaise, mais aussi de l’ingérence de plus en plus fréquente de l’Eglise dans l’armée. Alors que l’armée a été laïcisée en 1945, l’Eglise y a réintroduit 131 aumôniers catholiques dont un évêque ayant le rang de général et une forte influence politique. Les messes obligatoires pour les conscrits n’y sont pas rares de même que les pèlerinages organisés pour les soldats. L’Eglise renoue alors avec son passé l’alliance du sabre et du goupillon : de purement défensive et vouée à la défense du territoire contre un agresseur potentiel plutôt identifié à la Russie, l’armée polonaise s’est mué en agresseur des peuples colonisés par les Etat-Unis. L’Eglise catholique bénit ce changement et réintroduit dans le discours ambiant les mêmes accents de sacralisations de l’armée « gardienne des valeurs patriotiques polonaises et de la religion du peuple polonais » qui ont mené à l’écrasement de la démocratie parlementaire en 1926 par le putsch de Piłudski alors même que de très nombreux catholiques sont totalement opposé-e-s à la guerre contre l’Irak.
L’apologie de l’armée va de pair avec l’influence croissante des milices paramilitaires d’inspiration fasciste liées aux partis de droite. Ces milices existent depuis 1989 : le parti « neo-pilsudkiste national » KPN s’en servait pour intimider les post-communistes dans les années 1989-95. De même, le parti national-chrétien fondamentaliste, qui s’est mué en "Ligue des Familles Polonaises" à la fin des années 90, n’a jamais caché son soutien aux groupuscules, ligues et autres « Jeunesses Pan-polonaises » dans leurs bruyantes manifestations contre les « pédés, les communistes et les féministes ». La "Ligue Autodéfense" a perpétué, avec son « service d’ordre » musclé, des actions violentes contre des bâtiments publics soi-disant dans le cadre de la défense des agricult-eur-rice-s et autres spolié-e-s par la machine ultra-libérale. Il est cependant inquiétant de voir un gouvernement inviter à siéger en son sein le chef de l’un de ces groupuscules, en l’occurrence le chef des « Jeunesses Pan-polonaises », en tant que ministre…. Cette avancée de l’extrême-droite d’inspiration fasciste au sein du plus grand pays ayant récemment adhéré à l’Union Européenne devrait alarmer les défenseur-e-s des droits humains dans toute l’Union…
Or, il n’en est rien. Pourquoi ? Peut-être parce que l’Europe a laissé la droite cléricale préparer en Pologne les lois et dispositifs discriminatoires qui facilitent actuellement l’arrivée du fascisme au pouvoir. L’un de ces dispositifs est la « loi sur l’épuration » du 11 avril 1997, complètement inconnue du/de la citoyen-ne occidental-e, alors qu’elle viole toutes Conventions des droits humains en instaurant une discrimination des individu-e-s en vertu de leur « passé ». Cette loi instaure des tribunaux spéciaux d’épuration, dont les décisions sont irrévocables, qui examinent le passé de tout-e individu-e accédant à un poste quelconque dans la fonction publique, notamment à un poste électif. Si la personne a « menti », car omis de mentionner sa collaboration avec la police politique polonaise d’avant 1989 ou même son appartenance à feu le parti communiste polonais, cette personne est exclue de son poste et peut être condamnée sur la base d’archives entreposées dans l’Institut de Mémoire Nationale et composées d’une partie des archives du ministère de l’Intérieur de l’époque communiste. Cette loi est une aberration historique autant qu’une discrimination majeure : les archives de l’ancienne police politique sont loin de « raconter la vérité » sur les citoyen-ne-s de l’époque ; elles ont été et sont soumises à diverses manipulations, elles sont incomplètes, peuvent même être fabriquées, puisqu’elles ne sont soumises à aucun contrôle citoyen… La loi sur l’épuration a fait déjà vaciller des gouvernements post-communistes et sert de bases aux poursuites judiciaires durant de longues années auxquelles sont soumis d’anciens décideurs du régime tel que Jaruzelski. Mais il y a pire : cette loi sert surtout à prévenir la constitution d’une opposition de gauche antilibérale en Pologne et dissuade tout-e citoyen-ne d’entrer en politique car nul-le ne sait quelles accusations peuvent être portées à son encontre dès qu’il apparaîtra, sur la base d’archives aux provenances incertaines, qu’il/elle aurait « collaboré ».
Mais « collaboré » avec qui et avec quoi ? Les informateur-e-s de la police politique l’étaient souvent par peur et chantage. Les millions de membres du parti communiste polonais sincèrement communistes étaient-ils/elles des collaborat-eur-rice-s ? Et que dire des services secrets de l’Etat polonais : tout Etat en possède et en a besoin : pourquoi accuser ceux et celles qui ont sincèrement cru servir leur pays dans un contexte de guerre froide mondiale ? Leurs liens avec la police politique existent mais ne sont pas si simples et linéaires. Bref, on ne résoudra jamais le problème du passé du régime communiste avec des lois d’épuration. Ce genre de loi ne fait que favoriser la chasse aux sorcières permanente dans laquelle excellent les membres des partis d’extrême droite qui publient périodiquement, avec un grand fracas médiatique, des « listes » de prétendus collaborat-eur-rice-s de la police politique, détruisant la réputation de leurs opposant-e-s ou celle de simples citoyen-ne-s, sur la seule foi de leurs allégations. D’ailleurs, le régime cherche actuellement à perfectionner son système de surveillance des opposant-e-s par la constitution d’un Bureau Central Anti-corruption qui, dans le cadre d’une prétendue lutte contre la corruption, aura l’autorisation de « rassembler les données concernant la provenance raciale, ethnique, les opinions politiques, religieuses et philosophiques, l’appartenance à des partis et organisations, l’état de santé, la vie sexuelle des personnes poursuivies pour infraction à l’ordre public ». Le gouvernement instaure donc la légalité du flicage des citoyens.
Une résistance courageuse qui peine à s’organiser
Dans ce contexte, l’existence constante d’une opposition à l’ordre national-clérical cimenté par l’ordre libéral apparaît comme un miracle. Et pourtant, cette résistance se développe bel et bien, certainement portée par l’émergence et le retour sur la scène de l’histoire des mouvements sociaux en Europe. Le mouvement féministe est né de la rencontre entre les associations laïques telles que Neutrum qui ont combattu et perdu contre la loi criminalisant l’avortement en 1993, les associations de femmes ayant participé à la Conférence Mondiale sur les Femmes de l’ONU à Pékin en 1995 et de quelques jeunes personnalités universitaires proches de Maria Janion, professeure éminente de littérature polonaise à l’Université de Varsovie. Les associations de femmes se sont radicalisées sous l’influence du féminisme universitaire qui importa et publia de nombreux classiques féministes occidentaux. Elles ont pu profiter de subventions occidentales, européennes et états-uniennes, publiques et privées, pour organiser des programmes d’études et d’actions féministes. D’autre part, des activistes féministes et anarchistes ont relancé depuis 1999 l’organisation d’une manifestation pour les droits des femmes le 8 mars alors que cette journée restait encore encombrée de son passé communiste. Depuis 2003, certaines associations féministes participent aux Forums Sociaux Européens, notamment sur le thème du droit à l’avortement.
Depuis la fin des années 90 est apparu sur la scène politique polonaise le mouvement gay et lesbien qui rassemble dans ses « marches pour l’Egalité » des milliers de manifestant-e-s qui n’hésitent pas à braver non seulement l’opprobre des médias et du public, mais également à essuyer les coups et les jets de pierres des milices d’extrême-droite qui veulent les intimider par la violence. Les féministes et les laï-c-que-s participent naturellement à ces marches et en sont parfois les moteurs. Depuis l’interdiction de certaines marches par des municipalités dont celles de Varsovie, les manifestations de soutien aux mouvements homosexuels se transforment en marches pour la liberté d’expression et la démocratie. La dernière en date, du 10 juin dernier, a reçu un plus grand soutien de la part des mouvements féministes et LGBT occidentaux. Les féministes, les militant-e-s LGBT et les laï-c-que-s se sont rassemblé-e-s pour appeler à voter pour une personnalité antilibérale et laïque, la professeure Maria Syszkowska, aux présidentielles de 2005. Ils et elles tentent depuis 2004 de se rassembler au sein du parti des Verts. La question sociale pourrait cependant fort bien diviser ce parti très prochainement.
En effet, certains milieux féministes et LGBT ne contestent pas le cadre économique et social du capitalisme alors que les milieux de gauche ouvrière radicale autour de la revue Nowy Robotnik, le syndicat Solidarnosc 1980, des syndicats de branche comme le syndicat des mineurs font de la lutte contre le capitalisme dans sa version polonaise ultra-libérale leur principal combat. Ces mouvements sociaux sont déjà intégrés au processus européen des Forums Sociaux et aspirent à participer à la création d’une Europe sociale, solidaire et laïque. Le mouvement altermondialiste avec comme cheville ouvrière ATTAC Polska tentent d’expliquer aux citoyen-ne-s polonais-ses les liens entre la mondialisation libérale et la version polonaise de cette mondialisation, la politique ultra-libérale des gouvernements de droite comme de gauche depuis 1992.
Depuis début 2006 se dessine également un mouvement lycéen qui prend de plus en plus de d’ampleur avec les manifestations de Inicjatywa Uczeniowska(Initiative des élèves) pour une école laïque et contre la cléricalisation et la militarisation de la société. Ce mouvement organise de nombreuses manifestations contre le gouvernement. Il est également soutenu par des initiatives pacifistes de lutte contre la guerre en Irak ainsi que par les anarchistes.
Ce rapide tableau du dynamisme de la résistance sociale en Pologne ne doit néanmoins pas nous cacher le fait qu’il s’agit de groupes peu nombreux et ne disposant pas de moyens de lutter contre la machine de l’Etat et de l’Eglise réunies. L’Union Europénne n’ayant jamais réagi contre les politiques discriminatoires mises en œuvre par l’Etat polonais sous la pression de l’Eglise, la classe politique polonaise ne voit donc pas pourquoi elle devrait abandonner des politiques pour lesquelles elle a reçu le blanc-seing de l’Europe. N’a-t-elle pas été récompensée pour ces politiques par une adhésion rapide ? L’Europe semble d’ailleurs très ouverte aux actions anti-sociales de cette nouvelle classe politique capitaliste en Europe de l’Est : n’a-t-elle pas concocté la directive Bolkestein que la classe politique de l’Est a appelé de tous ses vœux ? Que ces politiques instaurent le dumping social est largement admis par le gouvernement polonais et considéré ouvertement comme juste et bon « puisqu’on va enfin faire travailler ces occidenta-ux-les repu-e-s et fainéant-e-s et qu’ils/elles seront bien obligé-e-s de nous faire une place ». Dans ce contexte, il semble bien qu’il faille plutôt s’attendre à une radicalisation du gouvernement polonais vers un système encore plus clérical et peut-être, comme le soulignent avec inquiétude les laï-c-que-s polonais-es, vers un putsch antidémocratique au cœur de l’Union Européenne. Les citoyen-ne-s occidenta-ux-les ne peuvent pas assister à ce danger sans réagir : ils/elles doivent soutenir les mouvements laïques, féministes, homosexuels, lycéens, ouvriers et altermondialistes en Pologne sous peine de voir le « totalitarisme noir » progresser en Europe jusqu’à leur porte….