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Des images pour dire quoi ?

Retour sur les "émeutes" de novembre 2005

mercredi 21 juin 2006, par Anne

Les jeunes des cités étaient devenus comme par miracle le centre des discussions des politiques, des médias, des familles, en un mot, de la France tout entière, voire de la scène internationale.
J’ai envie de crier ma colère. (...) Il nous faut avant tout analyser, afin d’être force de proposition pour reconstruire des cités où l’humain devient le centre et la protection de l’enfance une priorité.

1 Conditions de vie et relations interpersonnelles dans les Banlieues dites difficiles

Dans les cités les hommes et les femmes se rejoignent pour subir les mêmes discriminations, le même environnement de délabrement, les mêmes peurs de l’avenir. Quand on ne sait pas si on va manger le soir, si on va trouver un lit, peut-on se projeter dans l’avenir ? Mais, je constate que la scène se joue au masculin. Les grandes absentes des images et des discours sont les filles. Pourquoi ?

Parce qu’elles sont chez elles comme tous les jours, semaine après semaine, mois après mois, années après années et ce jusqu’au jour où elles deviennent mères à qui l’on tend un micro pour leur dire qu’elles n’ont pas réussi l’éducation de leurs enfants. Alors, elles connaissent la garde à vue, l’humiliation des micros qui demandent d’une manière angélique, « madame, que faisait votre fils mineur si tard la nuit dans la rue ? » Elles pleureront devant les caméras, témoins cruelles de cette détresse. Derrières ces caméras, des journalistes avides de sensationnel qui ne s’interrogent même pas sur l’absence du père, ni de ce que cette absence peut provoquer chez l’enfant ! Des enfants devenus terribles, violents et tyranniques à cause de leur culture ! Des enfants, nés dans la misère tant sociale qu’affective et qui ne mériteraient même pas un vrai procès avec un questionnement de leur vécu ! Une justice expéditive, avec son arsenal de comparutions immédiates qui tente de calmer les bien-pensants, plutôt que de donner des explications qui seraient une amorce pour un vrai travail de reconstruction de cette enfance en danger, devenue dangereuse par manque de dialogue.

Scène abjecte dans un pays où on a l’impression de découvrir enfin les propos des travailleurs et travailleuses sociales, lors de débats télévisés.

Sur 450 femmes reçues, je peux compter sur une seule main celles qui ont un revenu résultant de leur travail ou de celui de leur conjoint. Souvent, on doit vivre à 9 avec 900 euros ! Face à cette détresse, certaines mairies exigent des justificatifs de recherche d’emploi pour une aide au maintien à la cantine !

Pour une grande partie, elles vivent dans un appartement où sont entassés au minimum sept personnes pour un F3. Même dans ce cas, elles peuvent s’estimer chanceuse d’avoir un toit, ce n’est pas le cas de tout le monde. A Aulnay Sous bois, par exemple, le délai d’attente, et avec la baraka, est de trois ans minimum et sous réserve de ressources suffisantes.

Souvent, dans cette promiscuité, les enfants ne sont pas à l’abri des scènes de violences conjugales. Ils sont témoins des coups que leurs mères reçoivent et des humiliations qu’elles subissent. Alors, forcement, ils apprennent que le plus fort c’est l’homme et la seule manière de communiquer, c’est de donner et recevoir des coups. La violence, ils en sont aussi les victimes. Une gifle, un bras tordu, une insulte c’est vite arrivé. La mère n’est plus celle qui protège, elle est vulnérable. Soumise, sa parole n’est plus respectée par les enfants puisqu’elle peut être punie par papa, elle est infantilisée. C’est ce que les politiques appellent les carences éducatives, mais est-il possible qu’il en soit autrement ? Cette violence engendre la haine dans le couple et se transmet fatalement aux enfants.

La prise en charge psychologique des victimes de violences intra-familiales est en décalage avec les besoins de la population. Dans ma pratique, et à maintes reprises, quand j’ai réussi à établir un climat de confiance et si la femme ne souhaite pas prendre contact avec SOS Femmes, parfois, parce qu’elles n’ont pas l’habitude de sortir de leur cité, il m’est difficile de trouver, pour le suivi des enfants, une place dans les Centres Médicaux Psychologiques, le délai d’attente étant d’un an.

La France terre d’asile ? Des hommes et des femmes arrivent en France, ayant dans leurs bagages le rêve d’une terre d’asile, un pays compatissant qui les accueillera bras ouverts, les aidant à surmonter leur souffrance. Ce sont des hommes et des femmes qui ont fui leurs pays emportant avec eux leurs traumatismes, la faim, la misère, la guerre, les mauvais traitements des régimes dictatoriaux (ex colonies !) Dont la France est souvent un soutien fidèle. En France, ils seront accueilli-e-s comme des voleurs d’emploi, suspecté-e-s d’engendrer la violence. Ces personnes n’auront pas le temps de se reconstruire, de poser leurs fardeaux. Leurs enfants subiront aussi les conséquences. Bien des fois, les parents noyés par la honte de la dégradation subie, couvrent leur passé d’un silence. Ce silence plonge la génération suivante dans l’ignorance et le doute de sa propre histoire familiale. Très vite, ils/elles se sentent déraciné-e-s et peuvent développer des comportements pathologiques. C’est l’histoire d’une adoption qui connaît l’échec. Où sont les valeurs de compassion, compréhension et empathie ? Si l’Histoire des pays d’origine de ces immigré-e-s n’avait pas connu le colonialisme et l’esclavage pendant des siècles, l’exploitation actuelle de leurs richesses, et le mondialisme, auraient-ils/elles eu besoin de quitter leurs pays aujourd’hui ?

Ces femmes que je reçois en entretien arrivent souvent en France à 20 ans. Elles découvrent un homme qu’elles n’ont pas forcément choisi, elles ne parlent pas la langue, n’ont pas de famille et un bon nombre d’entre elles ne savent ni lire ni écrire. Les plus chanceuses ont été scolarisées dans leur pays, elles apprendront vite le français et pourront avec un peu d’accompagnement connaître leurs droits. La majorité, analphabète, isolée, interdite de sortie, ne travaillant pas, n’aura pas cette chance. Sans statut, elles investissent pleinement le rôle de gardiennes zélées de la coutume. Une coutume qu’elles veulent être celle du « bled ». Un « bled » qui devient de plus en plus lointain. Sublimé et fantasmé, les années passent, l’idée du « bled » demeure figée. Les femmes devenues mères, seul statut honorable et valorisé - ne dit-on pas « le paradis est aux pieds des mères » ? - sauvegardent des us et coutumes d’un autre temps. De peur d’être la risée des gens de là-bas, elles enferment leurs filles, et contrôlent leur virginité. Enfin, toute la famille se retrouve autour de cet enjeu commun, les hommes assoient eux aussi leur autorité faisant pression sur des mères qui n’ont que les filles pour retrouver une autorité parentale confisquée.

Au nom de la « mariabilité » des filles, on fouille dans leur sac, au passe au crible tous les faits et gestes de ces dernières. Un jour, une mère catastrophée, au bord des larmes, est venue me voir. Elle s’inquiétait, sa fille avait un retard de règles. Intriguée, je lui demande comment elle le savait. Elle m’explique avec une certaine fierté, qu’elle savait tout de sa fille. Pour les règles, elle demande à sa fille de lui donner les serviettes hygiéniques, pour que l’adolescente sache que sa mère est au courant du moindre ébat amoureux. Elle m’affirme, que sa fille, lui sera un jour reconnaissante, quand le jour du mariage, elle sera honorée par son mari et que tous sauront qu’elle est restée "pure" !

...Spoliées de leur corps, ce corps qui n’est que la propriété collective de toute la famille...

On conditionne les filles dès le plus jeune âge à l’obéissance. L’exigence parentale frôle l’obsession. Plus tard, elles seront des épouses modèles. Soumises comme il se doit au mari. Un patriarche qui remplace un autre. Elles auront des enfants et, qui sait, peut-être prendront-elles conscience de la vie qui leur a été volée et peut-être la chaîne de reproduction du schéma familial s’arrêtera-elle ! Mais pour cela il faut des moyens de prévention ! Les filles issues de l’immigration subissent, sans vouloir généraliser, de plein fouet les coutumes des pays d’origine. Dans l’impossibilité d’avoir une stabilité financière, noyés dans la précarité, subissant le racisme au quotidien, les parents s’organisent autour d’un éventuel retour au pays. Il leur faut alors préserver le potentiel de « mariabilité » des filles. L’hymen en étant le seul garant, on resserre l’étau sur les filles, on contrôle les sorties, on leur interdit d’avoir une sexualité. Elles sont spoliées de leur corps, ce corps qui n’est que la propriété collective de toute la famille, ce corps qui a ce pouvoir énorme, cette capacité à déshonorer toute une tribu. Les garçons ont là une occasion d’exercer leur "virilité". Les petits frères ont eux aussi des droits sur ce corps, ils ont même le devoir de préserver ce bien précieux qu’est ce petit bout de peau qui génère tant de souffrance.

Le contrôle des filles permet aussi à la famille de transmettre aux garçons les principes de la "virilité" au moyen de l’exercice de l’autorité. Le garçon doit faire preuve très tôt d’autorité. On lui délègue le rôle de surveillant. Il devient responsable de sa sœur, sa cousine. Cette délégation peut s’étendre à la voisine. Le tout sous couvert de préserver l’honneur de la famille. Un honneur qui est bien fragile. Je me suis toujours posé la question du devenir des filles qui naissent sans hymen ! Et qu’en est-il de l’honneur de leur famille ?

En France, nous dit-on, le mariage forcé est interdit, l’excision, la séquestration et les violences faites aux femmes le sont également. Il n’en est rien dans la réalité des jeunes « beurettes » ou des petites filles. Avant l’abolition du droit du sol, une jeune mineure était protégée par sa nationalité française lors des vacances au pays. Ce n’est plus le cas depuis les lois Chevènement - Pasqua, puisque les enfants né-e-s en France ne sont français-es que s’ils ou elles en font la demande entre 16 et 18 ans. C’est comme cela que la disparition d’une jeune fille de plus de 16 ans demeure inaperçue. En effet, l’école n’est pas obligatoire pour les plus de 16 ans, les centres socioculturels et les maisons de quartiers n’offrent pas d’activités aux jeunes filles. On préfère occuper les garçons pour prévenir leur chahut possible. Le mariage forcé peut alors avoir lieu. L’excision pratiquée au pays demeure hors juridiction française Le crime étant perpétré à l’étranger, les auteur-e-s ne sont même pas inquiété-e-s. Seule une négociation diplomatique est possible, encore faut–il que les pouvoirs s’en préoccupent, ce qui n’est le cas qu’à la condition d’une forte mobilisation médiatique épuisante pour les proches et les associations.

Combats de coqs

Le garçon, fierté de beaucoup de familles, a quant à lui le droit de sortie, son domaine c’est la rue. Il faut bien qu’il apprenne à se mesurer à ses pairs. Il faut bien qu’il se prépare au monde. S’il a des conquêtes, c’est une preuve supplémentaire de cette "virilité" tant encouragée.

Les garçons exercent donc leur domination sur les filles sous les applaudissements des adultes. On peut bien imaginer, lors d’une interpellation pour un contrôle d’identité, et face à des policiers, éduqués eux-mêmes selon le principe de la domination patriarcale, que cette rencontre prenne l’apparence d’un combat de coqs, un combat entre dominants, les uns ayant le pouvoir institutionnel étatique, les autres les lois illégitimes de la cité, avec son code de l’honneur basé sur la preuve de la "virilité".

Ni l’école avec ses manuels scolaires sexistes, ni les publicités sexistes, ni les médias ne contribueront à stopper cette aberration. Ils ne font que contribuer à l’aliénation des femmes, à forger la culpabilité des mères qui ne maîtriseraient pas leur progéniture et qui ne mériteraient donc plus les aides sociales tant nécessaires à la survie de toute leur famille !

Etre étrangère ou "française mais pas pleinement" en France


Les mobilisations de lutte pour la cause des sans papier-e-s mettent rarement en avant la cause des femmes. Les femmes victimes de la polygamie n’ont aucun droit. On ne reconnaît pas les droits de la seconde, troisième… femme et on peut le comprendre. Pourtant, ces femmes sont dans la plus grande détresse. A cause de leur situation administrative, leur marge de manœuvre est des plus réduite. Elles vivent le plus souvent, quand elles ont des enfants, grâce à l’aide sociale à l’enfance qui, à force de négociations, finit par octroyer des bons pour des nuits à l’hôtel puisqu’elles ne peuvent pas faire une demande HLM. Elles ne peuvent pas non plus travailler, n’ayant pas de permis de travail, et ne peuvent de ce fait accéder à l’autonomie.

Les femmes étrangères en situation régulière connaissent, elles aussi, des difficultés liées à leur statut. Ayant bénéficié du regroupement familial, même si elles sont victimes de violences conjugales, elles ne peuvent quitter leur mari sous peine de non-renouvellement du titre de séjour. Elles demeurent donc sous le même toit que leur agresseur.

Pour moi, il ne s’agit pas de reconnaître la polygamie, il s’agit de donner des droits à des femmes, indépendamment de leur statut familial, pour qu’elles puissent enfin accéder à leur droit le plus élémentaire, celui de choisir leur vie !
Il ne faudrait pas oublier l’impact des conventions bilatérales, signées par la France. Les diplomates et l’état signent ces conventions qui traitent essentiellement des affaires commerciales et mentionnent en peu de mots les droits civiques des êtres humains. C’est comme cela qu’une femme peut continuer à être soumise au statut personnel de son pays d’origine. La France signe sans se préoccuper du devenir des femmes. On peut être de nationalité française mais soumise par exemple à la charia en ce qui concerne la garde des enfants ou la répudiation, ce qui fait de ces femmes des françaises, mais pas pleinement. Elles sont soumises en pénal au droit français, mais si le litige est avec un ressortissant de leur pays d’origine, elles doivent se plier aux règles qu’elles ont pu refuser en quittant leur pays. Là aussi, c’est l’enfermement. Une grande discrimination dont on ne parle que sous les effets médiatiques des enlèvement d’enfants par le père ou des manifestations toujours plus spectaculaires qui mettent en scène ces femmes souffrantes et malheureuses de l’injustice qu’elles subissent. Les tribunaux français cautionnent les inégalités que ces femmes connaissent dans leur pays d’origine. On attribue avec beaucoup de peine des droits de visite qu’on sait ne jamais être appliqués puisque les codes de familles, statut personnel ou charia refusent les exequatur arguant tantôt de la primauté des lois nationales tantôt des lois religieuses, avec ultime argument que ce sont des lois divines. Nous femmes, pauvres mortelles, que pouvons-nous quand on enlève nos enfants et qu’on nous balance sans vergogne que c’est dieu, l’Etat Français, et l’Etat ami de la France qui l’ont voulu ? On nous a pourtant appris à l’école de la république que l’égalité, la liberté et la fraternité étaient des droits qui ne connaissaient pas la discrimination ! Pourtant, nous, femmes d’origine arabe, africaine… n’avons de droit civil dans notre pays, la France, que si nous épousons des français "de souche" et que les suites du divorce se déroulent sur le sol français !

De plus, les médias, les discours politiques créent un environnement où les personnes ont l’impression de n’avoir que des devoirs. Avant d’être conseillère conjugale, j’ai assuré des cours d’alphabétisation auprès de femmes d’origine étrangère en centre socioculturel au cœur d’une cité de l’agglomération Nantaise. J’ai été très surprise de la connaissance parfaite des devoirs civiques et familiaux qu’ont ces femmes. Paradoxalement, elles ignorent presque tout de leurs droits personnels. Par exemple, nous avons travaillé avec une quittance de loyer, elles savaient exactement combien elles devaient à l’office HLM, mais ne savaient pas que quand on leur changeait une ampoule dans la cage d’escalier, c’était compris dans les charges. Elles croyaient que l’office HLM le faisait par gentillesse. Il en va de même pour les droits et devoirs civils, elles savaient que quitter le domicile conjugal était considéré comme une faute lors d’un divorce mais ne savaient pas que les maris n’avaient pas le droit de les violer. L’ignorance s’allie aux discours qui contribuent à l’isolement et au maintien d’un climat de culpabilité. Si on est coupable, on n’a pas de droits !

2 Une révolte bien masculine

Ce contexte de banalisation de la violence au quotidien, l’abandon dont sont victimes les cités, le manque de réponses sociales et enfin la discrimination, aboutissent au sentiment des jeunes d’être français mais considérés comme étrangers. Ils n’ont ni l’impression d’être d’ici ni de là-bas et restent prisonnier-e-s de leur cité. Un emprisonnement aussi bien communautariste que spatial. Le repli, le retour aux valeurs de sa communauté paraissent comme une réponse à l’exclusion, on se protège dans le giron de la tradition qui permet d’avoir le sentiment d’appartenir à un groupe et de retrouver une identité bafouée.

L’emprisonnement est aussi spatial, le prix du ticket de RER en Ile de France ne permet pas aux habitants de milieux défavorisés d’avoir accès aux offres de la capitale, pourtant si proche ! un ticket aller simple à 3,30 Euros c’est le prix d’une baguette, d’un litre de lait et de quelques œufs ! Alors on préfère garantir un repas que sortir ! Quand on est RMIste tout se calcule !

Oui, nos cités vont mal, mais cela ne date pas d’hier. Misère, violence, sexisme homophobie, ravagent toute la France, et les cités sont une caricature d’une réalité amère que ses habitant-e-s conjuguent au quotidien.

Les jeunes garçons, lors des évènements de fin octobre mi-novembre 2005, ont exprimé leur colère en brûlant les voitures, les écoles maternelles, quelques entreprises et commerces. Cette révolte, ne ressemble en rien à "mai 68", elle ne remet pas en question l’ordre établi ni l’autorité des adultes. Voire, elle épargne les parents de toute critique. Elle exprime peut-être un besoin de rupture avec les différentes formes de discriminations, harcèlements policiers, pauvreté, manque de perspective. C’est avant tout, un mouvement inorganisé, apolitique avec une mise en scène suicidaire. Ils se sont attaqués à des symboles :
- En brûlant l’école maternelle, ils se sont attaqués au lieu de leur première humiliation, où ils ont appris avant toute chose à se taire, lieu où le code et les paroles leur échappent. Lors d’une émission, un jeune, explique à un membre d’une association, qu’il ne maîtrisait pas les mots pour dire les choses, que son expression était incorrecte, qu’il n’avait pas pas la faculté de convaincre. Mais l’école c’est aussi le lieu qui symbolise leur enfance, leur passé, une enfance pas toujours heureuse et un passé dont il ne connaissent pas grand-chose !
- Ils ont aussi brûlé les voitures, celles qu’ils ne pourront avoir, une consommation qui leur est impossible !
- Les entreprises, qui refusent la candidature de leur aînés, de leurs parents et qui refuseront les leurs, parce qu’ils ne sont pas nés là où il fallait, qu’ils n’ont pas le nom qui convient,…
Cette violence a tué des personnes, qui, comme eux, vivaient dans la cité ! Mais n’ont-ils pas appris avec la télé qu’en temps de guerre, l’Iraq, Bosnie,… les cibles humaines s’appelaient « dommages collatéraux » et non « victimes », donc inévitables et à la limite, pas trop grave.

Les filles ne pouvaient déjà pas avoir une place dans la cité, elles se sont senties certes solidaires, mais elles ne pouvaient s’inscrire dans une révolte avec une telle charge de violence, non pas parce qu’elles n’ont pas de violence accumulée, mais parce qu’elles sont habituées à la résignation. De plus, elles ont des références de femmes issues des banlieues, qui s’expriment d’une manière beaucoup plus constructive. Elles ont vu l’exemple de la marche des femmes avec « Ni Putes, Ni Soumises », les manifestations des collectifs contre les violences conjugales… Malgré ces exemples, elles qui ont été dès leur plus jeune âge conditionnées à la résignation, prennent rarement l’initiative d’exprimer leur colère, comme si elles ne pouvaient imaginer une telle chose possible. Peut-être aussi, parce qu’elles ne savent pas que le choix de vie est un droit, elles qui ont été spoliées de la leur. Les mères sont dans le refus de la violence mais dans la compréhension. Elles disent : "Il va falloir que cela change, ce n’est plus possible". Elles sont déçues parce que leur rêve français, celui d’offrir à leurs enfants une vie meilleure ne s’est pas réalisé. Or, si aujourd’hui, elles en voulaient à leurs enfants, cela reviendrait à renoncer à leur rêve.

3 Mais où sont les formations politiques et les associations contestataires ?

Pourtant, et à la lumière des évènements qui ont secoué les banlieues fin octobre 2005, je suis tentée de me poser la question de savoir où sont les formations politiques depuis tant d’années ? Pourquoi donnent-elles l’impression de découvrir qu’en France et aux portes de la capitale gît la misère ? Une misère digne d’un pays du tiers monde ! Et comment se fait–il que la lecture de l’embrasement des banlieues n’aboutisse pas à une remise en cause totale du système tant patriarcal que libéral ?

Politique pour l’emploi ?

La pauvreté, la privation d’emploi, touchent de plein fouet les habitant-e-s des cités. Si la discrimination touche les personnes issues de l’immigration, être femme constitue un fait aggravant. Ou elles sont exclues du monde de travail, ou bien, elles se voient proposer des emplois de service, à temps partiel, horaires flexibles. Des conditions qui ne permettent pas, là non plus, l’accès à leur autonomie.

Pour moi, et au regard de ce que j’ai pu observer en France, il n’existe pas de politique pour l’emploi. Tout ce qu’a pu produire l’imaginaire du pouvoir politique de droite ou de gauche, ce sont des mesures d’accompagnement du chômage. On superpose des mesures et des dispositifs (PLIE, Missions Locales…) qui englobent eux-mêmes des dispositifs et des ateliers, (ateliers de techniques de recherche d’emploi, atelier look… comme si les chômeu-r-se-s n’avaient pas d’emploi parce qu’ils ou elles ne savaient pas s’habiller ou écrire un CV, en un mot, ne savaient rien !), sans réellement s’attaquer au chômage. On refuse des projets de lois sur l’interdiction du licenciement pour les entreprises qui enregistrent de grands bénéfices, sur les délocalisations…. Puis, face à leurs échecs, les pouvoirs politiques aidés par les médias des bien-pensants, vont jusqu’à culpabiliser les privé-e-s d’emploi. Il y aurait de bon-ne-s chômeu-r-se-s qui réussissent en créant leur entreprise, et d’autres, les fainéant-e-s qui ne savent même plus se réveiller le matin ! On renvoie à l’individu-e ce qui devrait revenir au politique et à la société tout entière. Dans cette même logique, on baisse le nombre de mois d’indemnisation ASSEDIC, on met le PARE (Plan d’Aide au Retour à l’Emploi) en place, on met la pression sur les privé-e-s d’emploi par la surveillance de la réalité de leur recherche. Cette pression s’exerce aussi sur les accompagnateurs et accompagnatrices d’insertion, il faut des résultats chiffrés. Or, comme il n’y a pas d’emploi, on classe les privé-e-s d’emploi dans des dispositifs de formation. S’ils ou elles ne sont pas prêt-e-s, on les inscrit dans des dispositifs de préformation ou des formations d’évaluation du projet ! Le but étant évidemment de ne plus les compter dans les statistiques du chômage. Alors, échéances électorales s’approchant, on annonce une baisse du taux du chômage ! A l’heure ou la banlieue flambait, l’UNEDIC, négociait le retour à la dégressivité des indemnisations Assedic.

Cette situation plonge un bon nombre de conseillers et conseillères d’insertion dans le désarroi. Une question les taraude : cautionne-t-on une mauvaise politique, un leurre qui fait croire à la population que l’Etat s’occupe des chômeu-r-se-s ?

Vient ensuite l’accompagnement de la misère. Non, on ne lutte pas contre la pauvreté, on l’accompagne ! puisque qu’il y a pénurie d’emploi, et comme on ne peut pas se permettre de courir le risque d’une révolte à échelle nationale, on concède un RMI aux plus démuni-e-s. Un revenu qui, s’il permet de payer un modeste loyer aidé en HLM, n’assure pas le paiement de l’électricité, la cantine, la nourriture, les soins. etc. On met alors en place des dispositifs d’aide qui ne sont pas des droits, puisqu’il faut en faire la demande et la renouveler à chaque crise financière. Bref, une aumône ! Aide au maintien à la cantine mis en place par les municipalités, aide au paiement des factures, bon d’alimentation… et dont les conditions d’octroi diffèrent d’une ville à une autre. Finalement, on se rend compte que le RMI, n’est pas calculé sur le besoin de la population, ce n’est qu’un dispositif anti-révolte !

Le journal Le Monde Economie daté du 15 novembre 2005 publie quelques chiffres qui expliquent cette crise des cités : La discrimination et l’exclusion du monde du travail contribuent au sentiment de désespoir, comme l’ont montré les évènements qui ont secoué les cités. Selon le sociologue Eric MAURIN, le risque de chômage est supérieur de 79% pour les maghrébin-e-s par rapport à la référence française. Dans le même article, selon les chercheur-e-s de l’INED, les jeunes d’origine maghrébine cumulent un temps d’accès au premier emploi plus long que celui des jeunes d’origine française et ils/elles occupent le plus souvent des emplois aidés, cette différence reste valable lorsque le niveau de diplôme est pris en compte. Selon ces mêmes chercheur-e-s, les hommes immigrés arrivés en France de deux parents étrangers sont touchés par les contrats précaires à raison de 20,8% contre 21,4% pour les hommes nés en France de parents étrangers et 12,8% pour les français dits de souche. Un autre article chiffre à « plus de 20% des ménages dont le chef de famille est originaire du Maghreb ou de Turquie vivant en dessous du seuil de pauvreté (602 euros par mois) contre 6,2% pour l’ensemble des ménages ». Pour le logement, 40% des familles maghrébines vivent en situation de « surpeuplement » contre 5% chez les familles non-immigrées.
De plus, pour se dédouaner, tout le discours aussi bien médiatique qu’étatique, tend à faire croire que les personnes issues de l’immigration sont les seules responsables de leur propre intégration et insertion et non les politiques !

Depuis le début des « émeutes » des banlieues, les médias exhibent des images de ceux/celles qui ont "réussi". Le message étant, la "réussite" de l’intégration et de l’insertion repose sur l’unique volonté personnelle. On prend l’exemple de quelques-un-e-s, des exceptions, pour individualiser la responsabilité. La société est sauve ! On respire. Ce n’est pas le chômage, le manque de logement, la misère, l’analphabétisme qui sont la cause de l’exclusion. Ce sont les exclu-e-s qui ont choisi une voie de marginalisation.

P.-S.

Sérénade Chafik, militante féministe
Janvier 2006

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