Sans doute doit-on à la lutte menée par des féministes à l’occasion des J.O. d’Athènes que la question de la prostitution lors des manifestations sportives d’envergure ne soit pas cette fois passée complètement sous silence. Le président de la Fédération allemande de football, celui du Syndicat des policiers, et jusqu’à l’Union européenne, s’en sont émus. Une campagne a été lancée en Allemagne en février, à grand renfort d’affiches « choc ». Mais le slogan en annonce clairement les limites : « Carton rouge à la prostitution forcée ! ».
Les organisateurs de la Campagne fustigent un « esclavage moderne », mais ils le circonscrivent au seul « trafic d’êtres humains », qu’ils limitent à la seule importation illégale de marchandise étrangère. Le proxénétisme organisé tel qu’il se pratique en Allemagne, qui a légalisé l’industrie du sexe en 2002, ne serait donc pas de l’esclavage.
Une autre campagne, dont le titre pourrait se traduire par « Des Popaul responsables », se pique de conscientiser les clients. Slogan : « La responsabilité ne se mesure pas en centimètres. » Mais encore ? « Peu importe la longueur de votre pénis, vous seul pouvez repérer si une femme a été contrainte à la prostitution. » Passons sur la stupidité du slogan, l’hypocrisie consistant à faire semblant de croire que les clients s’intéressent à cet aspect de la question, et la difficulté de mise en œuvre de la recommandation. Le principe de base reste ici aussi qu’il existerait une prostitution volontaire, parfaitement légitime.
Les proxénètes s’organisent
Cette prostitution supposée volontaire, nulle déclaration officielle ne la remet en cause. « La demande en matière de prostitution va augmenter à l’occasion de cet événement », annonce tranquillement le président du Syndicat allemand des policiers. « Le football et le sexe vont de pair « , déclare l’avocat des promoteurs du bordel géant actuellement en construction près du Stade de la Coupe du monde à Berlin. L’Allemagne attend quelque 36 millions de visiteurs pour l’événement sportif de l’été ; et dans ce pays où la légalisation de l’industrie du sexe transforme les proxénètes en d’honorables entrepreneurs, l’édification de cabanes dans des espaces clôturés pouvant accueillir 650 clients, est juste une formidable idée pour se remplir les poches. Dans les autres villes allemandes où auront lieu des matchs, on s’organise pareillement pour assurer les bien-être des sportifs actifs ou passifs surchauffés. Comme on s’approvisionne en bière, on s’approvisionne en femmes.
Y’a bon les Africaines !
La mobilisation des pouvoirs publics porte exclusivement sur l’éviction des étrangères. Selon les estimations, elles pourraient être 40.000 à franchir (ou tenter de) les frontières allemandes. Sur quoi se base-t-on pour établir des prévisions ? On sait que le milieu s’agite, notamment au Brésil et dans de nombreux pays d’Afrique, où l’on promet aux femmes non seulement une mine d’or mais encore la possibilité de s’établir en Allemagne à la faveur de la légalisation. La Camerounaise Amély-James Koh Bela, présidente de l’association Africa Prostitution à Paris, rapporte qu’on recrute dans les rues de nombreuses villes africaines, et que des femmes sont déjà parties s’installer sur place, prévoyant que les contrôles iraient en s’intensifiant au fur et à mesure qu’approcherait le lancement de la Coupe [1]. A raison , puisque le commissaire à la Justice de l’U.E. a suggéré de durcir durant la durée des rencontres les conditions d’obtention d’un visa pour les ressortissant-es de pays non-membres, en particulier « les pays tiers où, selon les statistiques, les femmes sont exploitées sexuellement. » (Sur ce critère, on pourrait fermer les frontières aux ressortissant-es de tous les pays du monde !)
Si des informations sur la mobilisation des réseaux de proxénétisme parviennent jusqu’en Europe, comment se fait-il qu’on ne s’attaque pas aux dits réseaux ? Au lieu de laisser venir aux frontières des femmes déjà embrigadées auxquelles on n’offrira vraisemblablement aucune autre solution de rechange qu’une réexpédition dans leur pays. L’opportunité d’organiser une riposte internationale au trafic ne sera- semble-t-il, pas saisie.
La paix soit avec les clients
Boucler ses frontières, voilà qui, de la part d’un pays ayant légalisé le proxénétisme, et perçoit donc des impôts des « travailleur-es » du secteur, ressemble fort à du protectionnisme. Un Etat loyal se doit de réserver les profits d’une manifestation aussi lucrative que la Coupe du Monde de foot en priorité à ses citoyens. Il faut donc garder aux bordels officiels le monopole de la prostitution.
Ça n’est évidemment pas de cette façon qu’on nous le présente. Il s’agirait de se dresser en justiciers, en défenseurs de ces pauvres femmes opprimées et de la dignité humaine. Car les étrangères, contrairement aux personnes prostituées établies en Allemagne, sont désignées comme indubitablement exploitées.
Ces campagnes sélectives nous demandent d’assimiler d’un côté étrangères en situation irrégulière et prostitution forcée, et de l’autre, femmes en situation régulière et prostitution volontaire. D’admettre donc la légalisation comme le garant d’une liberté supposée des femmes à se prostituer ou non. Ce ne sont pas des campagnes contre l’exploitation sexuelle des êtres humains, mais pour la légalisation du commerce du sexe. Habilement menées, car sous couvert de protection des victimes.
Les traitements odieux infligés aux victimes du trafic, et en particulier aux femmes d’Europe de l’Est, sont à présent bien connus du public via reportages et fictions. Tout le monde s’accorde à les condamner – comment pourrait-il en être autrement ? On ne fâchera personne en incitant les sportifs et les spectateurs à ne pas user des prostituées clandestines. Mieux : on soulage leur conscience, on les valorise en leur faisant croire qu’ils vont participer à la lutte contre le trafic. Un fois sur le terrain, ils pourront toujours prétendre qu’ils ne savaient pas. A moins que l’Etat fédéral n’envisage de faire porter aux « officielles » uniforme et macaron ?
Pas la moindre remise en cause du système prostitutionnel en tant que tel, de la marchandisation du corps des femmes, du droit des hommes à en disposer à leur guise. Dans un climat de glorification des notions de courage, de loyauté, de fraternité internationale, classique du battage médiatique autour des grosses manifestations sportives, le respect de la dignité humaine s’arrête là où commencent les profits.