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« Je n’ai pas le choix »

mardi 31 mai 2005, par clemence

Alors que de plus en plus de jeunes filles et femmes, majoritairement de l’immigration, sont victimes de crimes "d’honneur" en Europe, les gouvernements des pays d’accueil ne peuvent plus faire l’autruche. Regards croisés entre la France et la Suède sur un sujet encore tabou. Compte rendu du débat du 23 mai 2005 au Centre culturel suédois.

Montrée dans les collèges de Suède, la pièce de théâtre-forum « Les Frères d’Electre, ou les jeunes issus de l’immigration bousculés entre différentes cultures » [1] incite, par sa violence et son réalisme, à libérer la parole des jeunes sur un sujet tabou, car privé : l’oppression de "l’honneur" dans les milieux, souvent immigrés, où s’exerce la pression familiale d’origine patriarcale. Si celle-ci s’exerce sur les filles en priorité [2], les fils eux-aussi souffrent secrètement du manque de libertés dans le mode de vie (interdit de l’homosexualité, comportement virils exigés, surtout vis-à-vis des sœurs, mariages arrangés).
En Suède comme en France, ces réflexions ont longtemps été tues de peur de stigmatiser les populations du Sud. Le silence se paie au moment où, comme en Suède récemment [3], des jeunes filles sont assassinées par des proches au nom de "l’honneur". Les pays démocratiques ont une responsabilité dans la recherche d’une solution face à ces crimes commis sur leurs territoires. Rompre avec les positions attentistes et « complices » est un premier pas pour Fadela Amara (Présidente de Ni Putes Ni Soumises) : « Ce n’est pas stigmatiser que de dénoncer. La liberté et l’égalité n’ont pas de couleur de peau ! C’est un combat international." [4]

Déculturaliser le débat


En Suède ont déjà été mis en place des lieux d’accueil de protection des femmes, et l’on forme à ce type de problème les travailleurs sociaux, les juristes et les policiers.
La sociologue Chahla Chafiq, qui en l’occurrence travaille avec les jeunes des cités, pense qu’il faut « déculturaliser » le débat : toutes les religions peuvent être utilisées pour légitimer la violence contre les femmes. L’art peut être une bonne manière de désacraliser le débat, un moyen de parler avec humour aussi (Théâtre) de la complexité des rapports humains. Pour C. Chafiq, il faut comprendre que le culturel n’est jamais figé, et que les comportements neo-patriarcaux des jeunes des cités réduisant les femmes à des objets sexuels proviennent de la propagation actuelle des codes religieux idéologisés, articulés à une culture jeune de la pornographie. Mais cette crise de la jeunesse des banlieues n’interroge-t-elle pas aussi nos sociétés : en effet, quel amour possible dans des sociétés marchandisées ?
Toutefois la pédagogie mise en œuvre par les acteurs de terrain n’est pas suffisante sans le support de la politique et de la loi, insiste la sociologue.
Mettant l’accent sur la complémentarité des actions, Gaye Patek [5] cite l’exemple de la Turquie qui lutte depuis 80 ans contre les crimes d’honneur par la loi mais sans obtenir de résultats car aucun travail de pédagogie n’est réalisé en amont. Si le cadre légal est indispensable, la prévention de tels comportements ne l’est pas moins, tout comme l’est l’accompagnement et l’aide aux personnes victimes d’oppression d’honneur. Des jalons déjà en place en Suède !

Libérer les hommes du patriarcat


Pour l’anthropologue Nacira Guénif-Souilamas, la différenciation est un écueil : pourquoi ne pas traiter le crime d’honneur comme part du champs juridique commun, celui du crime passionnel. Cesser de différencier, c’est permettre aux personnes issues de l’immigration de commencer à se détacher de leurs identités d’origine. Les migrations en tant que mises à l’épreuve du patriarcat provoquent aussi un repli des familles sur des valeurs identitaires.
Chahla Chafiq précise qu’un homme interrogé seul a souvent un discours très différent de lorsqu’il est en groupe, ce qui révèle la prégnance du contrôle communautaire dans la pensée, l’expression et le comportement en société. Le discours intellectuellement indépendant semble interdit.
Pour agir à la source du problème de l’oppression "d’honneur", Nacira Guénif-Souilamas, incite les pays d’accueil à promouvoir un « empowerment masculin » ou « donner aux hommes les moyens de se libérer eux-aussi du patriarcat ».
Editeur et membre fondateur avec Wassyla Tamzali du Manifeste des libertés, Tewfiq Allal pense qu’au moment où la situation des femmes s’aggrave dans le monde et où la religion fait un retour en force dans la politique, il est primordial de faire de ces sujets des débats politiques. Les pays démocratiques doivent être les bastions où « l’égalité homme-femme ne se négocie pas » où puisse émerger un discours diversifié sur la religion et où les personnes, hommes et femmes, soient libres de faire leurs propres choix de vie. Or « les communautés » [6] entravent ce processus de libération des individus et tout particulièrement l’émancipation féminine.
Face aux tensions actuelles que rencontrent les pays « libéraux-communautaristes » comme les Pays-Bas ou la Suède avec leurs populations issues de l’immigration, la résolution de ces problématiques communes à de nombreux pays européens peut s’appuyer sur des espaces de concertations, comme cette rencontre franco-suédoise à laquelle participaient des représentantes des Ministres de la Parité. En complément de la loi, la pédagogie et les projets impliquant la jeunesse ont été particulièrement portés par les intervenants comme des mesures de prévention des comportements patriarcaux. Des projets indispensables quoique encore trop rares. [7]

P.-S.

Clémence Bré - mai 2005

Notes

[1] Projet suédois Elektra, Association oeuvrant contre l’oppression d’honneur

[2] La pièce les Sœurs d’Electre est une partie du triptyque théâtral s’adressant successivement aux Sœurs/Frères/Parents

[3] Pays où gifler ses enfants est interdit par la loi (anti-spanking law 1979)

[4] 5000 femmes dans le monde seraient victimes chaque année d’un crime d’honneur.

[5] Conseillère auprès de la Ministre à l’intégration, Fondatrice et directrice de Elele, migration et cultures de Turquie, Membre Haut Conseil de l’immigration

[6] T. Allal peste contre les media qui ont lancé la formule de « 5 millions de musulmans en France ». Comme s’il s’agissait d’une communauté homogène et sans clivages profonds.

[7] A lire : « On ne naît pas Noir, on le devient », Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Albin Michel, 2004

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