Monsieur Vallet, énarque, docteur en Droit et docteur en Sciences des Religions est une sommité et il parle d’autorité. La notion, il a raison de le dire, est équivoque, puisque s’y mêlent la violence de "l’argument d’autorité" et la force légitime d’une personne "faisant autorité".
Tout le discours de Monsieur Vallet baigne dans cette équivoque autoritaire où la confusion des arguments le dispute à leur nombre.
1/Légal et moral, dit-il, se confondent puisque la justice désormais se mêle de sexe et devient un "tribunal de mœurs". Or ce n’est pas le contenu des affaires de justice qui détermine le caractère juridique ou moral de son exercice mais bien plutôt les bases sur lesquelles elle intervient. La distinction entre droit et morale a été tracée par les grands théoriciens du droit naturel qui nous ont légué la notion de limitation de sa propre liberté au bénéfice de la liberté de l’autre comme fondement du droit (et non de la morale…) Que cette limitation soit une auto limitation ou une contrainte extérieure, ne change rien au fond. L’enjeu est de créer une société humaine. Certes, on peut décider de ne pas se soumettre à cette règle, libre ou contrainte, et, solitaire, devenir un loup pour l’homme (femmes, filles ou enfants) Il y a un risque…mais on peut le prendre. Cela n’a rien à voir avec la morale qui définit le bien et le mal, l’interdit ou le permis pour l’intimité de chacun. Le droit est une notion extérieure qui s’impose, la morale est un choix intérieur. C’est toute la différence entre un viol et une partie carrée.
Quant à la justice, Monsieur Vallet, elle dit le droit, elle applique la loi, autrement dit, elle ne règle pas "une querelle par le constat des dommages", nous ne sommes pas au tribunal de commerce. Dans le cas d’atteinte à l’intégrité de la personne, la loi rétablit la victime, et le coupable, dans la société des hommes libres.
2/Sexualité et péché. Malgré qu’il en ait, Monsieur Vallet semble emberlificoté dans l’idée que dès qu’on aborde les rives de la sexualité on aborde celles du péché. Son titre en est l’exemple "le viol ou la vertu". Quelle drôle d’alternative ! Serait ce l’un ou l’autre ? Ne pourrait-on ne pas être vertueux sans violer ?
Une conception plutôt chrétienne, puritaine cette fois, mêle sexualité, plaisir et péché et les casuistes de cette école, dont Monsieur Clinton nous donna en son temps un exemple croquignolesque, s’interrogent longuement pour savoir ce qu’est une relation sexuelle. Pénétration ? Où ? et comment ? Tous les ingrédients d’un porno vertueux sont réunis. Monsieur Vallet y contribue lorsqu’il nous dit benoîtement que la fellation est tenue pour un viol alors que ces jeunes "ne la considèrent pas comme un véritable rapport sexuel". Mais on ne peut que se féliciter que la justice - laïque et obligatoire- s’éloigne de la casuistique et se rapproche de la notion de violence sexuelle faite à l’autre, quelles qu’en soient les méthodes.
3/La seule façon de comprendre l’article de Monsieur Vallet est de comprendre que son point de vue est celui des garçons, en l’occurrence violeurs. Il parle "d’atteinte à la liberté", il évoque le fait que ceux qu’il appelle les "justiciables" ne "comprennent pas le code pénal" ou ne comprennent pas ce qui est "permis" ou pas dans les caves des immeubles. Mais la justice n’est pas "pour" les justiciables, elle n’est pas - nouvelle confusion- une institution éducative. La justice dit le droit et de ce point de vue, elle serait plutôt "pour" les victimes. On veut donc rassurer Monsieur Vallet, les filles ou les enfants comprennent parfaitement : ils et elles savent que traîné(e)s dans une cave par un groupe menaçant, ils ou elles vont être contraint(e)s à des actes qui ne leur plaisent pas et auxquels elles ou ils voudraient pouvoir se dérober. Cela s’appelle la peur, Monsieur Vallet, cette peur qui peut vous faire consentir à tout et qui, jusqu’à que la justice s’en mêle se transformait en culpabilité (les fameuses "tenues provocantes "ou l’affreuse culpabilité de l’enfant violé)
4/Venons en au consentement, notion si difficile et "non définie avec précision" comme le dit si bien Monsieur Vallet. Oui, la peur peut vous faire consentir à tout. C’est une vieille notion que le grand Hegel mit au centre de sa philosophie et dont nos modernes commentateurs ne veulent pas entendre parler. Le "consentement" nourri par la peur - y compris la peur de mourir - c’est ce qui fait l’esclave. Mais de cela, Monsieur Vallet ne parle pas et glissant du réel au virtuel, de la cave de l’immeuble où une gamine tourne et passe de l’un à l’autre la peur au ventre, il nous emmène dans la littérature à succès…Outre qu’on peut douter que les jeunes dont il est apparemment question dans son article aient lu une seule ligne de Mme Millet ou de Monsieur Houellebecq, que veut nous dire sans l’avouer, Monsieur Vallet lorsqu’il compare le récit littéraire de "couples faisant l’amour en toute liberté" et les violeurs de gamines ? La confusion devient totale, les mots glissés ici ou là, ambigus - "moins chanceux " !-, "l’échange brutal" assimilé à une "caresse furtive"…. Peut-être la fin de l’article sur les "valeurs masculines" constitue-t-elle un élément de clarification mais nous n’aborderons pas la question des valeurs. Nous les laisserons au choix, risqué mais libre, de Monsieur Vallet.
5/L’histoire et la culture. Oui, Monsieur Vallet, nos chers vieux Grecs qui faisaient esclaves leurs prisonniers de guerre seraient lourdement condamnés aujourd’hui. Oui, Monsieur Vallet, un père qui marierait sa fillette de 7 ans à un vieux de 75 ans, s’appellerait-elle Marie et lui Joseph, serait lourdement condamné aujourd’hui. Oui, Monsieur Vallet, un patron d’entreprise qui s’octroierait un droit de cuissage sur sa jeune employée serait lourdement condamné aujourd’hui. Oui, Monsieur Vallet l’assassinat du commentateur de radio "mauvais messager" d’une défaite serait lourdement condamné aujourd’hui. Oui, Monsieur Vallet. Y voyez-vous un inconvénient ?
Quant à l’argument de l’origine musulmane des jeunes violeurs, - car cette fois on a changé de référence et il ne s’agit plus de Madame Millet ou de Monsieur Houellebecq ! - il me semble à la fois insultant pour les musulmans, dont je ne sache pas qu’ils prônent le viol collectif, et contradictoire lorsqu’on connaît la rigidité morale des "sociétés islamiques", dans lesquelles, pour le coup, morale et droit sont confondus, au détriment de la liberté.
6/Il faudrait encore parler de l’école et de l’éducation. La confusion y est tout aussi grande. Démarrant par une attaque en règle contre la justice moralisatrice et le tribunal des mœurs, voilà que Monsieur Vallet nous décrit en une phrase un programme d’éducation qui doit "mettre en garde les filles contre les tenues provocantes et les garçons contre les gestes déplacés". Je ne suis pas contre les blouses grises et les cours de morale, ils avaient du bon, mais soyons logiques, d’autant que quelques lignes plus loin, le spectre d’une école républicaine castratrice, du fait d’un corps professoral majoritairement féminin, surgit…
Alors, soyons clairs, et avant de suspendre notre commentaire au seuil de la question des "valeurs masculines" et de la vertueuse violence des virils, disons le tout net : La question qui se pose est celle du droit des femmes et des enfants face à certains hommes. Et plus précisément la question de la liberté face à la force physique. Lorsque l’enjeu de cette opposition, longue et ancienne question de civilisation, est le plaisir sexuel, les débats entre les tenants de la force et les tenants de la liberté sont souvent confus et hypocrites. La justice n’est pas là pour régler ce problème, elle est là pour défendre la liberté, toujours menacée par la force. Elle fait donc bien son travail, ce qui, à mon avis, n’a pas été le cas de Monsieur Vallet, énarque, docteur en Droit et docteur en Sciences des religions.