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Syndicalistes et fières de l’être

lundi 31 mai 2004, par Dominique Foufelle

Pour être syndicaliste, il faut être tenace. Pour être féministe, davantage encore.
Alors, syndicaliste ET féministe…
Et pourtant, ça existe ! Et depuis plus longtemps qu’on aurait tendance à le croire. Dès les années 1970, il y en a eu, des courageuses, pour s’exposer à l’indifférence ou aux quolibets, pour tenir tête aux grandes gueules à moustache, pour répéter inlassablement que les revendications spécifiques des femmes s’inscrivaient dans les luttes sociales.
Pire : qu’elles avaient des propositions pour les faire évoluer, voire stopper l’hémorragie de camarades.
Mais non, le syndicalisme restait, sous le couvert du neutre, un bastion du masculin
Et aujourd’hui ? Les syndicats restent ce qu’ils ont toujours été : un reflet de la société.
Retour sur l’histoire et pistes pour l’avenir...

Syndicaliste, c’est un de ces mots qui ne change pas avec le genre. Un mot neutre. Qui pourtant, s’est longtemps entendu au masculin.
"Une des chèques" se souvient :
"Dans les années 60, le mot travailleuse était imprononçable sous peine de ridicule. Seuls existaient les travailleurs avec quelques femmes égarées ici ou là à titre d’exception. Aux chèques, des tracts destinés à être lus par 13.000 femmes sont rédigés au masculin. Et de s’étonner que les femmes ne se sentent pas concernées ! Pire, le tract aurait pu être écrit par une femme.
Les milliers de femmes n’existent pas, ce sont des travailleurs un point c’est tout !"
(Mémoire d’une des chèques, par Gisèle Moulié).
Des milliers de femmes avaient ajouté à leur travail domestique invisible le travail salarié. Mais sur ce terrain-là aussi, elles restaient invisibles.

Camarades ignorées


Le monde du travail, lui, ne pouvait pourtant pas passer pour neutre. Le partage sexué des tâches y régnait (y règne encore), ainsi que les disparités de salaire qui l’accompagnent. Aux femmes, on se permettait (on se permet encore) de faire accepter des conditions de travail et des pressions encore plus humiliantes. Facile : elles étaient déjà dressées à obéir. Et puis à cette époque, une femme qui travaillait (hors de la sphère domestique, s’entend), ça n’était pas très catholique. Passe encore pour celles qui y étaient obligées pour raisons économiques – quoique, cela rendait public le fait que le "chef de famille" ne pouvait assumer totalement sa mission de tiroir-caisse, ce qui passait mal. Mais que certaines puissent le souhaiter par souci d’indépendance, ou juste pour échapper aux quatre murs du foyer, cela dépassait les bornes de la décence. Et ne pouvait guère s’expliquer que par une incapacité à dénicher et garder l’homme qui calmerait une bonne fois pour toutes ces élans frondeurs.
Une exploitation aussi manifeste avait de quoi susciter la solidarité des camarades (tiens ! encore un mot neutre). A conditions de travail spécifiques, revendications spécifiques, n’est ce pas ? Mais non, le syndicalisme restait, sous le couvert du neutre, un bastion du masculin. Et par souci de cohésion, d’efficacité (cette qualité qui ne peut appartenir qu’à ceux qui connaissent déjà les règles du jeu et les acceptent), pour le bien de la classe ouvrière dans son ensemble, les encore rares femmes syndiquées (syndicalistes, c’était encore plus rare), abandonnaient la parole à ceux qui, censés les représenter, ignoraient tout de leur vécu et s’en portaient fort bien.

Le torchon brûle


Les choses commencèrent à se gâter dans les années 1970, avec l’émergence des féministes sur la scène publique. On a eu beau les taxer de "mal baisées" (ce qu’une femme ne considère pas comme un défaut, mais comme une malchance), de bourgeoises (argument autrement plus efficace auprès des travailleuses), leurs idées s’infiltrèrent. Et pour cause : elles mettaient le doigt sur une réalité.
S’il ne s’était agi que de revendiquer une égalité des salaires, la crise n’aurait sans doute pas été si rude. Mais les femmes se mirent à parler des choses qui fâchent : la contraception (pas si mauvaise en soi, mais qui impliquait une liberté sexuelle inquiétante), le partage des tâches ménagères… Pour la bonne cause aussi d’ailleurs : libérées, elles pourraient s’impliquer davantage dans les luttes.
Là se posait une question cruciale : le souhaitait-on vraiment ? Faire des adhésions, disposer de petites mains pour ronéotyper et distribuer les tracts écrits au prix de longues nuits d’intense cogitation virile, c’était toujours bon à prendre. Mais les camarades femelles voulaient cette fois autre chose : s’exprimer. Non seulement poser leurs revendications, mais encore à leur manière. Cela revenait à remettre en cause un fonctionnement bien huilé, dans les groupes, dans les assemblées générales, dans les centrales. Elles ne possédaient pas l’art de la langue de bois, elles accordaient autant d’importance à l’écoute qu’à la prise de parole, elles avouaient librement leurs doutes… Tout cela non à cause de leur "nature" féminine, mais parce qu’elles n’avaient pas été élevées à l’école du pouvoir.
A force de ne pas regarder leurs compagnes, les militants n’avaient pas senti le vent venir. Ils se sentirent menacés dans des privilèges qu’ils n’avaient jamais envisagés comme tels. Pour les directions, se profilait la menace d’une exigence d’un fonctionnement plus démocratique. Parmi les syndicalistes féministes de la première heure, des têtes tombèrent (La mise à mort d’Antoinette, par Charles Jacquier).

Fidèles au poste


Il en fallut, du courage, à celles qui tinrent bon, convaincues que là était leur place, dans les luttes syndicales ; que celles-ci devaient évoluer pour se renforcer ; qu’être "proche des masses", cela ne voulait pas dire les caresser dans le sens du poil ; qu’elles avaient compétence et légitimité à apporter leur contribution, telles qu’elles étaient (Le collectif, révélateur de soi, par Anne Marchand).
Certaines y laissèrent des plumes, épuisées par une lutte incessante pour se faire entendre, les railleries, le mépris, les coups bas (On est tous morts de mort violente, par Georgette Vacher). Et puis toujours cette méfiance pour la militante, qui ne reste une "vraie femme" que quand elle s’oublie dans un sacerdoce, plus quand elle pense et vibre en son nom propre. Elles avaient choisi leur camp, mais leur camp ne les avait pas choisies.
Et aujourd’hui ? Les syndicats restent ce qu’ils ont toujours été : un reflet de la société. Peu de femmes dans les instances de décision, comme partout ailleurs. Proportionnellement nettement plus à la base. Quoique l’indéracinable inégalité dans le partage des tâches domestiques et parentales mette toujours un frein à l’engagement syndical et politique des femmes, d’autant plus que le milieu socioprofessionnel reste "traditionnel" (pour ne pas dire macho), comme en milieu rural (Du côté de la Conf’, par Dominique Foufelle).
Toujours la même difficulté à admettre que le genre influe sur la situation professionnelle des individus, sur leurs conditions de travail, sur leur vulnérabilité à la précarité et au chômage, sur leur situation à la retraite. Donc à entendre les revendications et les propositions spécifiques des femmes – quitte à se couper d’une bonne moitié de la population travailleuse (Sortir du modèle masculin pour avancer collectivement, par Guilaine Trossat). D’autres passent les barrières de l’appartenance syndicale pour réfléchir et bouger ensemble. Et puis, au sein des syndicats, quelques-un(e)s cogitent et dialoguent (L’égalité, une conquête accessible ?, débat). Il en aura fallu, du temps, pour en arriver là, juste à être écoutées. Combien de temps faudra-t-il encore pour parvenir à être entendues ?

P.-S.


Dominique Foufelle - mai 2004

Photo : Corinne Provost

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