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Dans les prisons d’Europe

mercredi 31 mars 2004, par Dominique Foufelle

Les femmes en détention, ça n’est pas un sujet qui passionne les foules ! Quantité négligeable dans la population carcérale, rarement coupables de crimes à forte potentialité médiatique, elles sont pour la plupart issues d’une classe sociale totalement dépourvue d’entregent. "Dehors", déjà, elles ne comptaient pas pour grand chose, alors "dedans", elles ne sont plus rien. Quant à celles dont un morceau du cœur est derrière les barreaux, auprès d’un amant, d’un fils ou d’un frère, elles n’avaient qu’à mieux choisir leurs fréquentations ! Qui va se soucier des discriminations et des souffrances que subissent les unes ou les autres ? Elles ne réclament pourtant qu’une chose : le respect de leurs droits humains.

Les femmes représentent une part très faible de la population carcérale, et ce dans toute l’Europe : de 3,8 % (France) à 8% (Espagne) [1]. Plus résistantes au crime ? A l’évidence. Sans doute parce que mieux dressées à encaisser les coups, ceux d’autrui et ceux du sort, et à retourner la violence plutôt contre elles-mêmes. Rares sont celles qui atterrissent en prison après un parcours de vie sans nuages ; ce fait est encore plus sensible que chez les hommes. Beaucoup ont subi des violences, dans l’enfance et/ou dans leur vie conjugale. En France, 17,9% des détenues sont illettrées, 46,8 % de niveau primaire, 35,2 % de niveau secondaire ou supérieur. 28,4 % sont de nationalité étrangère [2].
En Europe occidentale surtout, de nombreuses femmes sont emprisonnées pour situation irrégulière. Combien, parmi elles, de victimes du proxénétisme organisé ? Selon la législation en vigueur dans le pays, la prostitution peut conduire à une incarcération – et il semble nettement plus facile d’interpeller les personnes prostituées que leurs proxénètes.

Quels crimes et délits ?


Et qu’est-ce qui les conduit en prison ? En France, nettement plus souvent des infractions contre les personnes que contre des biens. Au premier rang, des crimes de sang (rang 6 chez les hommes) avec une sur-représentation très nette dans les meurtres sur mineurs de moins de 15 ans ; puis les trafics de stupéfiants (rang 3 chez les hommes) ; les violences sur mineurs (rang 2 chez les hommes) ; les viols ou autres agressions sexuelles (rang 1 chez les hommes). Suivent les escroqueries et abus de confiance (rang 7 chez les hommes). Concernant les délits, les condamnées françaises étaient en 2000 sur-représentées dans la non-présentation d’enfants (et de beaucoup), mais aussi dans les infractions financières [3]. Non-paiement de dettes ou d’amendes, infractions à la législation sur les chèques, reviennent comme une litanie dans toute l’Europe, soulignant la paupérisation des femmes, et notamment de celles qu’on désigne sous le terme de "familles monoparentales".
Et puis il y a les politiques : de nombreuses Kurdes en Turquie ; des Basques en Espagne ; deux survivantes de la RAF en Allemagne ; en France, Joëlle Aubron et Nathalie Ménignon, gravement malade…
Cette population carcérale féminine a tendance à s’accroître et à rajeunir dans de nombreux pays d’Europe, phénomène dans lequel la toxicomanie joue un rôle non négligeable.
Constante : partout, elle subit des mauvais traitements, lors de l’arrestation, lors de l’incarcération et durant la détention. Cela va des brimades aux viols et aux coups ; en Turquie, des détenues d’opinion sont victimes de tortures. Pour ces femmes qui ont souvent déjà vécu "dehors" violences, discriminations et atteintes à leur dignité, la révolte n’est pas un mouvement naturel. Même si les rapports de domination font moins rage que parmi les détenus, la solidarité pâtit de la soumission et du besoin de maternage par les "matonnes" (L’enfermement, au jour le jour, par Anne Marchand).

Entassées, dépersonnalisées, niées


Mais ce n’est pas parce que les détenues sont moins nombreuses qu’elles ne souffrent elles aussi pas de surpopulation ! Sans doute, leurs conditions de détention ne peuvent pas se comparer avec celles que connaissent les prisonnier(e)s d’autres régions du monde (Haïti : des mineurs oubliés derrière les barreaux, par Claude et Edgard Célestin) – quoique… En Russie, où la surpopulation est particulièrement aiguë, les mineures particulièrement nombreuses, l’hygiène particulièrement rudimentaire et le personnel pénitentiaire particulièrement féroce, on compte chaque année les décès par centaines, principalement pour cause de tuberculose, de typhoïde ou de maladies cardio-vasculaires.
Même dans des conditions moins lamentables, la santé se dégrade. Mais les demandes de soins ne sont pas toujours honorées. Les toxicomanes ne bénéficient pas toutes de traitements de substitution (à Fresnes, par exemple, 2% d’une population qui représente 70% des détenues). En France, le VIH/sida, qui touche 3 à 4 fois plus les détenu(e)s que les autres, progresse particulièrement parmi les femmes. On maintient le plus souvent en détention celles qui sont atteintes de troubles mentaux. Chez de nombreuses femmes, l’incarcération provoque un arrêt des règles.
Seule la Pologne possède dans ses lois un article recommandant de tenir compte des spécificités psychologiques et physiques des femmes (avec des dispositifs de semi-liberté pour les peines courtes). Ailleurs, mis à part leur séparation d’avec les hommes (les détenus, mais pas forcément les "matons"), le droit à l’intimité n’est aucunement respecté. En France, il faut "cantiner" pour se procurer des protections menstruelles, insuffisamment fournies dans le paquetage hebdomadaire. Les seuls articles du code qui fassent référence à la spécificité féminine, sont ceux qui autorisent la présence des enfants de moins de 18 mois auprès de leur mère incarcérée.
Il ne fait pourtant pas bon devenir mère durant son incarcération : le 1er janvier 2004, une détenue de Fleury a accouché dans un hôpital voisin… menottée à son lit. Et aucune disposition n’est prise pour aider les détenues à "travailler" sur le lien mère/enfant(s), souvent difficile à cause d’une enfance et/ou d’un parcours de vie douloureux (La maternité en milieu carcéral, par Juliette Laganier).
La sexualité elle, est au pire interdite (en Italie, où les relations homosexuelles entre femmes consentantes sont sanctionnées), au mieux tolérée (Intimité et sexualité des femmes incarcérées, par Dominique Lhuillier). Les surveillantes ferment les yeux sur la formation de couples, mais le droit à la sexualité, le droit à l’amour n’est pas formellement reconnu. Si chez les hommes, en dépit du retard de mise en place "d’unités de visite familiales" (aussi plus crûment appelées "parloirs sexuels"), il peut y avoir une tolérance pour les relations hétérosexuelles avec le partenaire libre, ce n’est pas le cas chez les femmes, où le risque de grossesse fournit un alibi commode au tabou.

Réinsertion ou saut dans le vide ?


Comment, dans ces conditions, conserver la conscience et l’estime de soi ? (Rester femme en prison, par Corinne Rostaing). Mettre à profit le temps de l’incarcération pour reprendre des études, se cultiver, se former… ? A cette population négligeable en nombre et dépourvue du moindre pouvoir, il n’est proposé que peu d’activités enrichissantes, peu de soutien des travailleurs sociaux. La prison reproduit la division du travail en vigueur dans la société : aux femmes, les travaux de couture ou de petite manufacture. L’Italie va jusqu’à pratiquer les écarts de salaire, avec pour le même travail, une rémunération pour les femmes équivalent au tiers de celle des hommes. Préparer sa sortie s’avère extrêmement difficile.
Une fois "dehors", la réinsertion pose encore davantage de problèmes que pour les hommes, parce qu’elle a rarement été préparée "dedans". Outre la blessure intérieure, qui tarde à se refermer (quand elle se referme), la stigmatisation, parfois le rejet des proches, il y a l’avalanche des démarches à entreprendre pour (re)trouver un logement, un emploi (le plus souvent, sans qualification). Pour beaucoup d’ex-détenues, du succès de cette réinsertion dépend les retrouvailles avec un(des) enfant(s) dont la garde leur a été retirée. Alors, après l’euphorie de la liberté, vient l’angoisse, le doute, la peur de retomber dans la délinquance.

Au ban de la société


Des femmes, plus nombreuses, connaissent intimement la prison sans avoir été elles-mêmes incarcérées : les mères, les sœurs, les compagnes de détenus. Les "femmes de taulards", suspectées si ce n’est de complicité, de complaisance, d’un penchant douteux pour les délinquants, coupables donc. Pas de respect pour l’amour qui les anime et les soutient. Ces femmes souffrent à la fois du rejet et du voyeurisme des autres – car le monde inconnu de la prison (de la pègre) exerce une fascination sur beaucoup de gens, qui n’en portent pas moins un jugement sévère sur les détenu(e)s et leurs familles.
Leur vie est centrée sur l’être aimé emprisonné (loyauté que les compagnons de femmes incarcérées ne pratiquent pas toujours). Pour le rencontrer le plus souvent possible, elles supportent les vexations et déjouent les pièges d’une administration pénitentiaire qui ne brille ni par sa rigueur ni par son équité (Rencontre avec la prison dans ma vie de femme, ma vie de mère, par Charlotte Paradis). Ces visites ont un coût financier lourd, quand le proche est géographiquement loin. Un long voyage pour un très court moment, sans intimité, sans parfois même pouvoir se toucher.
Pour les familles de détenus étrangers ou issus de l’immigration, l’épreuve est plus dure encore. Du fait de l’ignorance de leurs droits, de difficultés de langage qui les font se perdre dans le dédale administratif. De discriminations à caractère racistes. Et aussi parce qu’elles souffrent d’un déficit de la parole en leur sein même (Familles sous une chape de silence, par Nadia Soltani, avec Jérôme Erbin). Pudeur de la part des ancien(ne)s, volonté des hommes de tenir les femmes à l’écart pour les protéger.
Cette parole, justement, certain(e)s veulent lui faire franchir les murs (De l’art par-delà les murs, GENEPI). On sait finalement peu de choses sur la vie dans les prisons – encore moins dans les prisons de femmes. Alors, on généralise, on catégorise, on fantasme. On condamne plus sévèrement que les juges : tout est trop beau pour ces délinquant(e)s qui ne méritent pas qu’on gaspille à leur profit l’argent des contribuables. Les rares ex-détenu(e)s qui s’expriment publiquement, on les écoute avec une certaine méfiance : mauvaise graine tu as été, mauvaise graine tu restes. Des personnes purgeant leur peine, ne parvient quasiment aucun témoignage, sauf par l’intermédiaires d’associations qui se sont fixé pour objectif de créer ce lien ("Dedans", "dehors" : une amorce de dialogue, par Jérôme Erbin).
Détenue, ça n’est pourtant pas une vocation ! Personne, jamais, n’avait rêvé de se retrouver dans une cellule de 9m2 (moyenne française). Mais on y arrive plus sûrement en volant dans un supermarché de quoi nourrir ses gosses qu’en détournant l’argent public ; en usant de drogue pour supporter l’exploitation sexuelle au quotidien qu’en s’engraissant sur le dos des toxicomanes ; en ne trouvant pas d’autre réponse que le meurtre pour arrêter les violences qu’en fabriquant et vendant des armes. "Payer" pour ses erreurs, cela peut donner l’impulsion d’un nouveau départ… à condition qu’il y ait une "place" pour les ex-détenues. Mais y en avait-il une avant qu’elles ne le deviennent ?

P.-S.

Dominique Foufelle - mars 2004
Photographie : Aimée Thirion

Notes

[1] Toutes les données sur l’Europe sont tirées de "Prisons de femmes en Europe – Rapport d’observation sur les conditions de détention", qui a fait l’objet d’un livre (éditions Dagorno, 2001) et qu’on peut consulter sur : http://prisons.de.femmes.free.fr/index.html. Ce rapport d’un très grand intérêt propose des observations par pays. L’éditorial est signé par Jane Evelyn Atwood, dont quelques-unes des photographies sur ce thème sont reproduites.

[2] Source : Les femmes et le crime, article de Robert Cario paru dans La Lettre de GENEPI n° 64, septembre/novembre 2003.

[3] Idem

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