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La traite des femmes en Grèce, un véritable enjeu de civilisation

mardi 6 mars 2007, par Laurence

En Grèce, la prostitution étrangère explose, les profits et les réseaux de trafic sexuel sont de plus en plus importants, et cela bien souvent avec la complicité des forces de sécurité. Dans ce contexte, un procès que les féministes auraient souhaité exemplaire s’est révélé être une farce judiciaire. Que fait l’état ? Presque rien. Que faire ?

"Non coupables" ! Ceci a été le verdict de la Cour d’Appel de Syros, petite île et capitale des Cyclades, qui a clos le 13 octobre passé une grosse affaire d’esclavage sexuel, éclatée en 1998 sur l’île voisine de Santorin…
Deux propriétaires de boîtes de nuit et trois policiers, dont le commissaire de police de Santorin d’alors, étaient accusés de proxénétisme et de trafic sexuel de femmes. Le fait que le procès ait été ajourné à plusieurs reprises et n’ait aboutit qu’après 5 ans, démontre l’importance de son enjeu.
Des groupes féministes et d’autres collectifs, en particulier le Centre Féministe d’Athènes, avaient déjà attiré l’attention de l’opinion publique sur le fait que les proxénètes restaient systématiquement impunis et que leurs réseaux fonctionnaient grâce a la protection des forces de répression. Des organisations féministes d’Athènes avaient déjà lancé en mars 2003, une campagne ciblée sur la société de Syros, avec des panneaux et des petites manifs devant le tribunal, des collages d’affiches et des interviews à la presse locale. L’affaire était très connue, mais sur la petite ville planait la peur qui se traduisait par un manque de solidarité et par l’isolement des féministes.

C’est un fait qu’en Grèce, la traite des femmes a explosé durant la dernière décennie. Toute la société grecque en a été marquée profondément et on peut affirmer que ce genre de prostitution constitue aujourd’hui en Grèce un véritable enjeu de civilisation.
L’objectif des féministes était que ce procès devienne exemplaire a) afin que soient dévoilés les réseaux du proxénétisme moderne, b) afin que le trafic du sexe soit reconnu comme un crime en tant que résurrection de l’esclavage au 21eme siècle, sous la pire de ses formes, l’esclavage sexuel, et c) afin que tombe le tabou de l’impunité des forces de police qui y sont impliquées.

Réalités et horreurs du trafic sexuel en Grèce

Deux mots sur l’ampleur du phénomène : aujourd’hui en Grèce, il y a 20 000 victimes du trafic du sexe, tandis qu’elles n’étaient que 2 100 au début des années 90. On estime que dans la période 1990-2000 les jeunes femmes étrangères exploitées par la traite ont été 77 500. Leurs contacts sexuels rémunérés sont estimés à 145 000 000 et ont rapporté des revenus de 6,2 milliards d’Euros. (Ces chiffres sont le résultat d’une étude connue de Grigoris Lazos, universitaire).
Le prix d’achat d’une jeune femme sur les marchés balkaniques de la traite des femmes est de 500 Euros. Oui, une jeune fille qui est vendue aux proxénètes grecs et étrangers ne coûte que 500 Euros…
Leurs clients sont estimés à 1 000 000 d’hommes, plus du quart de la population masculine sexuellement active du pays.
Ces jeunes femmes, souvent des enfants, vieillissent précocement en l’espace d’un an, puisque il leur passe dessus de 30 à 100 de ces "gaillards" par jour !
Nous croyons que nulle part en Europe on n’a assisté à une telle explosion des trafics du sexe qui, à son tour, a limité si fort ce qu’on appelle la "prostitution traditionnelle". Il y a 10 ans, la prostitution des femmes indigènes concernait 3 400 personnes et aujourd’hui leur nombre reste plus ou moins le même tandis que la prostitution des étrangères a presque décuplé.
Ceci est dû au fait que les "filles étrangères" sont obéissantes, qu’elles s’adaptent aux goûts des clients, qu’elles font "tout", partout, et à n’importe quelle moment et qu’elles sont meilleur marché. Elles sont "mises en valeur" dans les bars, les boîtes de nuit, les hôtels, les bateaux, les voitures ou même dans les taudis, les champs, près des villages. Elles sont transportables, vont des villes à la campagne, d’un bled à l’autre…

Mais, tous ces avantages ont un coût. Et ce coût est la violence, les kidnappings, les viols, les drogues, la pauvreté, les tortures, la séquestration des passeports, et parfois même la mort. Et tout ça aboutit à la destruction des corps et des âmes de 20 000 êtres humains par an, sacrifiés sur l’autel d’un côté, des profits des réseaux des proxénètes sans scrupules, et de l’autre de la sexualité misérable et déshumanisée de la population masculine.

Un procès farce arrangé d’avance

Voici donc ce qui était l’enjeu extraordinaire de ce procès qui aurait pu être exemplaire et ce d’autant plus qu’il s’agissait d’un de très rares cas où une telle affaire arrivait devant une cour de justice. Cet aboutissement judiciaire était dû au courage de deux témoins d’accusation qui ont osé briser le mur du silence et dénoncer ce qu’ils avaient su, malgré les pressions cauchemardesques exercées sur eux par les flics.
Le procès s’est déroulé dans un climat maccarthiste, de terreur et de cynisme tourné contre ces témoins d’accusation qui sont devenus des accusés. Pas un mot sur le sort de ces 20 000 femmes-esclaves qui meurent lentement, broyées par l’engrenage de cet esclavagisme moderne pratiqué par le crime organisé. Pas un mot de la pétition accusatrice de 380 habitants du village de Santorin qui ont osé dévoiler l’affreuse vérité. Aucun intérêt des juges (président inclus) pour les preuves matérielles du crime, aucun intérêt pour ce témoin flic qui se rétracte en tremblant de peur, mais beaucoup d’acharnement contre les deux témoins courageux pressés d’avouer les motifs…politiques qui les pousseraient à vouloir nuire au prestige de la police grecque ! Une farce judiciaire doublée du scandale d’un procès arrangé d’avance.

On doit reconnaître qu’après une très longue période de totale impassibilité, le gouvernement grec a pris tout récemment quelques mesures pour combattre ce fléau. Mais, cette soudaine activation de l’arsenal législatif a son explication très didactique : elle est due aux pressions des Etats-Unis, qui après avoir mis la Grèce sur la liste noire des pays les plus tolérants envers le phénomène de la traite des femmes, ont menacé Athènes de sanctions économiques et…militaires. Indépendamment du fait que la politique américaine soit un des principaux responsables de l’extrême pauvreté des pays comme la Bulgarie, la Roumanie ou l’Ukraine qui fournissent l’écrasante majorité des esclaves sexuelles exploitées en Grèce, le résultat concret de ces pressions est presque nul. Maintenant, il y a des lois que prévoient des peines contre les proxénètes opérant en réseaux, mais les flics accusés de ces crimes continuent d’être innocentés par les tribunaux grecs…

Que faire ? Lutter ensemble

Alors, que faire ? Pour répondre a cette question, il faudrait partir de l’évidence : tant le chiffre d’affaire de l’industrie de la traite des femmes que la réalité quotidienne de la demande des clients pour louer ces corps, nous interdisent toute illusion sur la capacité de nos gouvernants à résoudre ce grand problème de civilisation. Les profits énormes qui situent l’industrie du sexe juste après celles du commerce des armes et du trafic des drogues, corrompent l’Etat et empoisonnent en profondeur la société grecque. Tandis que se banalise la sexualité fondée sur la négation de l’humanité de la femme, tous les rapports humains et avant tout ceux entre hommes et femmes se dégradent.
Alors, c’est à nous-mêmes, aux mouvements féministes d’agir, en Grèce et partout ailleurs, afin que se tissent des liens avec les mouvements féministes et progressistes des pays d’origine des victimes de ce crime contre l’humanité. Pour briser le mur du silence, dénoncer les complicités infâmes, punir les criminels, et surtout aider concrètement, libérer les centaines des milliers de nos sœurs qui souffrent et parfois meurent, condamnées à voir leur dignité humaine piétinée chaque jour sur le libre marché sexuel de cette Europe barbare et néo-libérale. Commençons alors tout de suite, ici à Paris, afin que la lutte contre l’exploitation sexuelle des dizaines des milliers des femmes réduites à l’esclavage devienne une cause prioritaire du mouvement féministe européen, mais aussi le combat de tous les mouvements qui se reconnaissent au Forum Social Européen et Mondial. Car aucune lutte émancipatrice ne sera suffisamment crédible et ne pourra arriver à ses fins tant qu’il y aura des êtres humains, des jeunes femmes de l’Est ou d’Afrique, maintenues en l’état d’esclaves sexuels en Europe et dans le monde !

Intervention de Sonia Mitralias à l’atelier violence de l’Assemblée des femmes qui a précédé le FSE 2003.
Elle l’a conclue par une proposition de campagne européenne sur le thème : Un autre monde, sans prostitution et sans esclavage est nécessaire !

P.-S.

Sonia Mitralias - 12 novembre 2003

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