Le 6 décembre 1989, Marc Lépine pénétrait dans la Polytechnique de Montréal, armé d’un fusil-mitrailleur et, au cri de "Je hais les féministes !", abattait 14 femmes avant de se suicider. Le 6 décembre 2003, des féministes commémoraient le massacre, au Québec mais aussi à Paris (Plus d’infos sur http://sisyphe.org). Et de scander la phrase de Benoîte Groult : "Le féminisme n’a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours."…
Les violences sexuées restent – hélas ! il le faut - le thème majeur des combats féministes (Dossier : En revenant du Forum et En direct du FSE 2003). Il semblerait que leur existence soit désormais admise, puisqu’il existe une journée internationale contre les violences envers les femmes. Qui n’a pas bousculé les programmations des chaînes de télévision, certes, mais tout de même coûté la rédaction d’une pétition au Sous-Ministère de Nicole Ameline.
Donc, on convoque les associations ad hoc, on écoute leurs témoignages, on constate, on promet que ça va changer… Mais cela changera-t-il tant que le lien ne sera pas fait entre toutes les violences, entre celles-ci et le patriarcat, entre le patriarcat et le principe de domination qui gouverne le monde ?
Finalement, cela nous oblige, encore une fois, à faire le lien entre le public et le privé.
A travers les champs de mines
Tout le monde sait (n’est-ce pas ?) que la guerre, c’est moche et ça tue. On commence à savoir que partout où il y a conflit armé, il y a viols (Est de la RD Congo : le règne des violeurs, par Déo Namujimbo, Syfia RD Congo). Par conflit armé, entendons conflits entre Etats, conflits entre ethnies, mais aussi conflits entre Etat et opposants. Le viol, c’est une arme de guerre, mais c’est aussi une arme de répression (Communiqué de la CONAP, Haïti).
Ceci posé, comment se fait-il que ces crimes restent impunis ? Que le problème ne soit même pas posé lors des négociations ? Y aurait-il, par hasard, un rapport avec le fait que les femmes ne siègent pas aux dites négociations ? (Communiqué du Lobby Européen des Femmes).
Et voici des foules d’errantes, "déplacées" - mais jamais sans leurs descendant(e)s, ascendant(e)s et apparenté(e)s, qui attendent de ces réduites au silence leur survie. Elles émigrent donc, de plus en plus nombreuses, non plus pour rejoindre un conjoint ayant déjà atteint l’Eldorado, mais pour subvenir aux besoins de tou(te)s. Voilà qui impose le respect, n’est-ce pas ? Allons donc ! Pour les femmes, l’immigration se révèle encore plus déchirante, conduit à des discriminations encore plus rudes ; parce que où qu’elles aillent, les lois de leur pays les poursuivent, tandis que celles du pays "d’accueil" les ignorent (L’expérience du RAJFIRE).
Dans l’ordre des choses
Car ces femmes ont aussi d’autres raisons qu’économiques d’émigrer. Peut-être ont-elles entendu dire que dans les pays riches, les hommes souffraient moins et donc éprouvaient moins l’impérieux besoin d’exercer leur pouvoir sur leur famille ? Hélas ! les violences conjugales sévissent partout en Europe (Rencontre Est-Ouest : à problème universel, réponse collective, par Agnès Boussuge). Elles sont, et c’est heureux, identifiées comme un mal à combattre, à coup de lois, de campagnes d’information, ici et maintenant (Un observatoire départementale des violences envers les femmes, par Ernestine Ronai). Des pays d’Europe et l’UE s’éveillent au problème (Réformes judiciaires sur les violences domestiques en Serbie, par Vesna Nikolic-Ristanovic et Sanja Copic). Timidement ! Parce que ce qui justifie, rend possible et pérennise ces violences remet en cause l’ordre du monde.
On avait bien dit que c’était dans les classes laborieuses/classes dangereuses qu’on était violent, non ? Non. Comme l’a démontré le rapport récemment commandé par le gouvernement français, et aussi contesté ait-il été par les féministes de salon, les violences conjugales ne sont pas cantonnées aux classes sociales défavorisées. Donc, pas uniquement la conséquence de la frustration engendrée par le chômage, la pauvreté, etc. Pas davantage d’un manque d’"éducation".
Il en va de même de l’inceste. Tabou, l’inceste. Dans les conversations, c’est certain. Mais dans les chaumières, pas le moins du monde. Et si le code pénal n’entérine pas cette réalité en le nommant comme crime en tant que tel, et en donnant aux victimes la possibilité d’obtenir justice, la tolérance envers cette "tradition" séculaire survivra aux survivant(e)s (Pour l’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels sur mineur(e)s, Association Internationale des Victimes de l’Inceste). Et on mettra toujours en doute la parole des enfants et de leurs mères.
Ah ! ces mères ! quelle culpabilité ne portent-elles pas dans le désordre des relations familiales ! (Récupérons notre dû, par Louise Amstrong). Ne sont-ce point les femmes qui enfantent les hommes ? Qui les élèvent ? Et par conséquent, fabriquent les monstres qui retourneront contre elles leur violence (Les tueurs en série à caractère sexuel, par Richard Poulin) ?
Tout serait de notre faute, alors ? Trop belles, trop tentantes : voilez-vous ! Féministes, castratrices : récoltez ce que vous avez semé !
Et si on faisait le pont entre le mécanisme de la violence sexiste et celui de la violence en général (Une question de pouvoir et de contrôle par les hommes, par Ajli Bajramovic) ? Et si on faisait commencer la violence à l’intimidation verbale, la non-jouissance de l’espace public pour les femmes (Trop bonne, sister, par Marguerite Priol) ?
Et si on retraçait l’histoire de ces violences pour mieux les dénoncer (Brève histoire des tribunaux de femmes, par Corinne Kumar) ? Et si on décidait de replacer le débat sur des bases féministes ?