Les interventions de la communauté internationale en matière de conservation et de gestion des ressources naturelles dans les pays en développement s’orientent de plus en plus vers les femmes. C’est parce qu’on a compris que sans elles, le développement durable ne se fera pas. Compte tenu de leur rôle d’éducatrice, elles constituent un instrument de communication incontournable dans la transmission du savoir, surtout quand l’on sait que nos sociétés sont pour la plupart basées sur l’oralité. Par voie de conséquence, les convaincre à adhérer aux principes de la gestion durable des ressources revient à convaincre toute la société. D’un autre côté, leur statut social de responsable de la vie familiale conféré par la tradition les place directement en contact avec l’environnement, qui fournit l’ensemble des ressources qui entrent dans la satisfaction des besoins premiers de l’Homme. De ce point de vue, l’on comprend aisément qu’elles soient les premières concernées par les problèmes de désertification qui touchent les pays sahéliens ces dernières années.
Diass est située à environ 70 km de Dakar, la capitale du Sénégal. Elle est située sur le massif de Diass qui a connu ces dernières années un processus de forte dégradation des ressources naturelles, avec en prime une forte érosion hydrique des sols et une dénudation des massifs.
L’enquête a intéressé 264 femmes vivant dans 9 villages différents. Nous leur avons soumis un questionnaire sur les thèmes suivants : alimentation en eau potable, utilisation de combustible, accès à la terre, niveau d’instruction, vie associative, etc. Il est impossible de reprendre ici l’ensemble des résultats obtenus dans le cadre de l’enquête ; nous dressons simplement la liste commentée des principaux problèmes soulignés par les femmes.
L’accès à l’eau potable
C’est l’un des problèmes les plus aigus auxquels les femmes sont confrontés. L’eau est dans ces contrées source de vie, c’est aussi un instrument de travail non négligeable puisque près de 75 % de la population travaillent dans l’agriculture. L’eau est également la clé d’accès à une bonne santé. Lorsqu’elle n’est pas potable, elle devient source de maladies. Pour preuve, les maladies d’origine hydrique (diarrhées, bilharziose...) sévissent encore partout en Afrique.
La sécheresse a pour effet de limiter la réalimentation des nappes phréatiques exploitées grâce aux puits. Par conséquent, dés les premiers mois de la saison sèche, les pluies s’assèchent, ce qui oblige les femmes à se tourner vers les bornes fontaines. Or, tous les villages n’en sont pas équipés. L’enquête montre qu’elles sont 53 % à dépendre du puits du village ou du quartier, contre seulement 15 % des fontaines. Moins de 2 % disposent d’un robinet à la maison. Le temps consacré au puisage montre bien l’ampleur des difficultés rencontrées : 29 % des interrogées affirment consacrer 1 heure par jour à cette tâche, tandis qu’elles sont 19 % à réserver quotidiennement 3 heures de temps au puisage de l’eau. On voit donc que le problème de l’alimentation en eau se pose à deux niveaux : au niveau de la rareté des ressources due à la désertification et au niveau du sous-équipement en moyens de ravitaillement.
L’accès à la terre
Au Sénégal, le droit foncier est régi par la loi 64-46 du 17 Juin 1964, dite loi du domaine national. Elle stipule que la terre appartient à celui qui la met en valeur. En d’autres termes, tous les citoyens ont en principe le même droit d’accès à la terre. Pour les femmes pourtant, la réalité est toute autre, puisqu’elles éprouvent encore de nos jours de grandes difficultés pour trouver des champs à mettre en valeur. Cela découle du fait que dans le droit traditionnel que remplace la loi sur le domaine national, le principal moyen de posséder des terres de cultures était l’héritage. Or, la société en question étant matrilinéaire, l’héritage s’effectuant de l’oncle au neveu, les femmes étaient défavorisées.
Les enquêtes révèlent qu’elles sont seulement 18 % de femmes à posséder un champs de culture. L’examen de la date d’acquisition montre que malgré l’entrée en vigueur de la loi en 1964, ce n’est que récemment que les femmes ont senti une amélioration. En effet, 15 % seulement ont affirmé avoir acquis leur bien avant 1980, tandis qu’elles étaient 41 % en 1992 et 78 % en 1997. Il ne s’agit en réalité que de petites exploitations, puisque 69 % ont une taille inférieure à 0.5 ha et seules 24 % ont une taille supérieure à 1 ha.
En réalité, l’autre difficulté majeure pour les femmes du point de vue de l’accès à la terre concerne leur pauvreté. Il faut en effet de l’argent pour en acheter et la mettre en valeur, ce qui n’est pas du tout évident lorsqu’on ce dispose que de faibles revenus issus du petit commerce. Les efforts à consentir doivent aller dans ce sens là, afin de les mettre en situation d’acquérir des portions d’espace pour leurs besoins. Dans ce domaine précis, la coopération technique société civile ont un important rôle à jouer. Les autorités doivent également s’employer à améliorer le cadre juridique et légal en prenant en considération la problématique du genre au moment de la conception des lois.
L’énergie
Au Sahel, la problématique énergétique est de taille, ce d’autant qu’elle est transversale et concerne pratiquement tous les secteurs du développement. Dans nos pays, le principal combustible est le bois qui sert à la cuisson des aliments et au chauffage. Les effets combinés de la sécheresse et de la désertification font qu’il y a de moins en moins de bois, alors que la demande s’accroît continuellement. Cela oblige à trouver des alternatives, ce qui nous a amenée à faire une évaluation des besoins des femmes de Diass et à voir si les stratégies mises en place par les autorités et par les ONG ont porté ses fruits.
97 % des femmes déclarent utiliser le bois comme combustible. La consommation journalière varie en fonction de la taille des ménages : 30 % consomment entre 1 et 2 kg par jour, 41 % entre 3 et 5 kg et 2 % consomment plus de 10 kg/jour. Ce bois est obtenu en grande partie par ramassage dans les environs des villages (55 %) et par achat (17 %). Ces chiffres montrent une forte pression sur les ressources puisque nos estimations montrent qu’à ce rythme de consommation, et si rien n’est fait, le stock sera épuisé à l’horizon 2008 (Thioubou, 2002). D’ailleurs le temps réservé à la collecte de bois montre déjà que le bois n’est pas trouvé facilement puisque 19 % mettent près de 2 heures, 33 % près de 4 heures. Le plafond est à 6 heures pour 0.5 % des femmes.
Le charbon de bois est utilisé par 22 % des interrogées. Quant au gaz butane, elles sont près de 50 % à en faire usage, mais de manière restreinte puisqu’il est utilisé pour la préparation du petit déjeuner qui se fait rapidement et donc limite la consommation du gaz subventionné qui est vendu tout de même assez cher pour ces bourses (environ 0.98 Euros pour la bouteille de 7 kg environ).
En dehors de la promotion du gaz butane par les autorités, la stratégie de réduction de la consommation en bois est la diffusion de foyers améliorés censés promouvoir l’économie substantielle d’énergie. Elle est plutôt le fait des organismes internationaux et des ONG. A Diass, seules 13 % des femmes interrogées utilisent les foyers améliorés. Parmi elles, 57 % les achètent, 10 % les fabriquent et 30 % les ont eus par l’intermédiaire de projets. 81 % des utilisatrices trouvent ces foyers améliorés efficaces. Celles qui ne l’utilisent pas évoquent comme raisons : l’ignorance de la technique de fabrication (33 %), le manque de moyens pour en acheter (5 %), l’absence de points de distribution (28 %) etc. Ces chiffres montrent que si le taux d’utilisation des foyers améliorés n’est pas plus élevé, ce n’est pas dû à des problèmes d’acceptation de la technologie, mais simplement à un manque de moyens et à des problèmes de vulgarisation et de distribution. En d’autres termes, pour réduire efficacement la consommation de bois et préserver le peu de ressources forestières disponibles, il faudra aider les femmes à accéder à des alternatives autres que le foyer traditionnel.
Les stratégies de survie
Les effets combinés de la sécheresse et de la désertification ont eu pour effet d’installer pour longtemps encore et d’intensifier la crise économique et le déficit alimentaire. Les champs cultivées ne suffisant plus à nourrir les familles, les forêts fortement dégradées ne fournissant plus de compléments alimentaires (fruits, feuilles, baies etc.), les femmes sont obligées de changer de stratégie pour survivre et faire survivre leurs familles.
L’activité qui attire le plus les femmes est le petit commerce, appelé aussi commerce de détail. Plus de 97 % ont pratiqué ce métier de façon temporaire ou permanente (il n y a que 0.5 % de salariées dans l’échantillon). On les voit le long des voies de communication portant sur la tête des paniers de fruits et autres produits récoltés sur les massifs environnants. Le recours au commerce s’explique par le fait que c’est une activité à laquelle elles peuvent accéder même sans avoir un niveau d’études élevé. L’enquête montre aussi que peu d’entre elles ont suivi des études : 79 % ont affirmé n’avoir eu aucune instruction, 11 % ont fréquenté l’école primaire, 2 % le secondaire, 2 % l’enseignement arabe et 6 % ont été alphabétisées. Sans instruction, elles sont donc confinées dans les métiers où des connaissances préalables ne sont pas requises.
L’autre stratégie de défense que les femmes privilégient sur le terrain est le regroupement en association selon la devise « ensemble nous sommes plus fortes ». On assiste ces dernières années à une multiplication du mouvement féminin . L’intérêt pour elles réside entre autres dans la plus grande facilité d’accès au crédit qui constitue pour les femmes un obstacle majeur dans l’exercice de leurs activités. Elles sont 56 % à s’être engagées dans une association. Les activités au sein de ces associations concernent le petit commerce (69 %), la tontine (23 %), le maraîchage (4 %). La connaissance de ces réseaux est très importante dans le cas de la lutte contre la désertification, puisque ce sont des structures très dynamiques sur lesquelles l’on peut s’appuyer aussi bien pour la sensibilisation que la diffusion de technologies alternatives. D’ailleurs elles sont 91 % à souhaiter exercer des activités environnementales au sein de leur association.
Voilà les difficultés quotidiennes des femmes en milieu rural. Elles sont surchargées de travail et malgré les efforts consentis jusqu’à présent pour les aider, on se rend compte que le chemin est encore parsemé d’embûches que les femmes se sont engagées à vaincre. A quelques semaines de la tenue du Sommet Mondial sur le Développement Durable à Johannesburg, il est plus que d’actualité de souligner ces questions que l’on retrouve pratiquement dans tous les pays en développement.
Il serait également important de s’intéresser de près aux réalités institutionnelles et politiques dans nos pays qui nous permettent de mieux comprendre la situation actuelle des femmes. Ainsi, l’on peut se demander si les textes qui régissent la gestion des ressources favorisent ou non la promotion des femmes et leur participation au processus de développement durable.