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Notre corps nous appartient-il ?

vendredi 31 octobre 2003

" Notre corps nous appartient ! " - le slogan a fait mouche durant les glorieuses années 1970. Il en englobait un autre, célèbre : " Un enfant si je veux, quand je veux ". Mais aussi, l’affirmation d’une sexualité féminine non assujettie aux désirs des hommes. Affirmation Ô ! combien révolutionnaire ! Revendication dépassée ? Dites plutôt : encore inconcevable dans bien des régions du monde, où le corps des femmes est mutilable, vendable, violable, engrossable à merci. Et si l’on veut bien balayer devant notre porte, on verra que le phallocentrisme y a la peau dure !

En ce moment même, tous les défenseurs du droit de choisir aux Etats-Unis se mobilisent pour que le président Bush ne signe pas le " Partial Birth Abortion Ban Act ", amendement qui restreint le droit à l’avortement. Elles et ils s’y étaient préparé-es : depuis son investiture, Bush, poussé par ses amis des lobbys " pro-life " (" pro-vie ", ainsi que se nomment eux-mêmes ceux qui, dans la foulée, réprouvent l’usage du préservatif en ces temps de Sida), manœuvre pour arriver à une interdiction de l’avortement (Dossier : Résistances, les yankees aussi). Sans que cela semble provoquer indignation et inquiétude chez ses alliés. Ce sont là des affaires " intérieures ", n’est-ce pas ? Autant dire le privé des Etats. Et tant pis si des milliers de femmes dans le monde pâtiront, par ricochet, des mesures prises au nom de leurs convictions par une bande de pathologiquement frustrés !

Droits sous influence


De même que les droits sociaux, les droits sexuels et reproductifs ne peuvent jamais être tenus pour acquis (Vue d’Europe, par Hélène David). Les deux, semble-t-il, marchent ensemble. Est-ce un hasard si, en situation de crise politique et/ou économique, le patriarcat revient en force ? En Europe de l’Est, il était dans les bagages du libéralisme (Europe de l’Est : un réseau de veille et d’action, par Jivka Marinova). On nous avait pourtant dit que libérés du joug communiste, ces pays s’ouvriraient au progrès. C’est à n’y rien comprendre !
A moins que le droit des femmes à disposer de leur corps ne soit pas considéré comme un signe d’une évolution positive de l’humanité ? Pas par tous les législateurs, à l’évidence. Car ce sont les lois, édictées très majoritairement par des hommes, qui déterminent les limites de l’exercice de ce droit. Nous en concluons qu’il n’est pas admis comme un droit fondamental, dont le respect s’impose. Il est soumis à l’appréciation des idéologues de tous poils, qui s’entendent au moins sur un point : restreindre les libertés.
Plus les lois sont restrictives, et plus elles entraînent des effets mortifères pour les femmes : limitez l’accès à la contraception, et vous aurez des avortements ; interdisez l’avortement, et vous aurez des tripatouillages clandestins entraînant infirmités et décès (Dossier : Femmes souffrant dans un monde malade). Alors, qu’on ne vienne pas nous parler de respect de la vie !

De vie ou de mort


Nous ne nions pas que la procréation soit aussi l’affaire des hommes : nous attendons juste qu’ils s’en mêlent autrement qu’en imposant aux femmes leurs diktats. Que les enfants les passionnent autant que l’affirmation de leur virilité et la passation de leur nom. Et le plaisir plus que la possession.
Car le fin mot de cet acharnement à imposer une quelconque morale, c’est bien de préserver la domination sexuelle masculine. Le commun des mortels, aussi socialement humilié soit-il par ailleurs, peut accéder à ce pouvoir : si ce ne sont les lois, les " traditions " l’y autorisent. Dès l’enfance, les femmes sont préparées à se résigner aux unes comme aux autres. Par la violence, s’il le faut (Afrique de l’Ouest : exciseuses sans frontières, par Judith Kabore). Des millions de filles sont mariées, engrossées, avant même d’avoir pu soupçonner le sens du mot " désir ". Un mot qui restera peut-être toujours synonyme de violence, puisque le désir, ce sera toujours celui de l’autre. Qu’il faudra subir, avec ses récurrentes conséquences : grossesses non désirées, contamination par des MST, et tout ce qui s’en suit (La situation en Afrique francophone de l’Ouest, par Nina Bauer). Le corps n’existera plus que comme machine à reproduire, déversoir des frustrations et des hargnes, terre de souffrance (Dossier : Prostitution : pour un abolitionnisme féministe).

Fenêtre sur le désir


Pendant ce temps-là, il y en a pour trouver " ringarde " l’insistance des femmes à lutter pour leurs droits génésiques. Quelle inélégance de remettre sur le tapis ces questions triviales à la moindre occasion ! Quel besoin d’en discuter sempiternellement " entre nous " ? (Résistance en Haïti, par Myriam Merlet)
C’est que, dès le moment où elles maîtrisent leur fécondité, les femmes cessent potentiellement d’être des objets. Certes, cela ne se fait pas en un jour ! Dans nos contrées relativement aimables où des lois acceptables ont été votées (non sans mal), il n’est pas toujours aisé de bénéficier de leur application (Le parcours de la combattante, " Eve Errance "). Le dialogue avec les soignants n’est pas toujours aussi ouvert qu’on le souhaiterait (La contraception en questions, Nathalie Bajos). Et puis les lois ne résolvent pas tout. Elles n’éclaircissent pas les désirs troublés par des siècles de domination masculine (Contraception et échec de contraception, par Sophie Eyraud).
Puisque notre corps nous appartient, qu’allons-nous en faire ? Plus le vendre, ni le donner. Pas non plus le gaver et le garder pour nous. L’écouter, d’abord. Et voir si ce qu’il a à nous dire ne pourrait pas nous inspirer de quoi faire aussi, en plus du nôtre, le bonheur de quelques autres.

P.-S.

Dominique Foufelle - octobre 2003

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