My Dan a quitté la maison paternelle à la fin de 1998 pour rejoindre son mari à Taïwan. Cette belle villageoise aux yeux de biche n’avait alors que 21 ans contre les soixante bien sonnés de son mari, maçon. Van My, son père, a pleuré son départ à chaudes larmes. "Je ne sais pas ce que tu deviendras. S’il y a quelque chose qui va pas, faut pas me reprocher. C’est que nous sommes trop pauvres." Il se souvient aujourd’hui encore de ses paroles.
My Dan n’est qu’un cas parmi les centaines de jeunes paysannes de Tan Loc mariées à des Chinois de Formose, se sacrifiant ainsi pour le bonheur des leurs. Mais My Dan a eu de la chance. Au bout de deux ans, le maçon a accepté le divorce et renvoyé son ex-femme au Vietnam, reconnaissant que l’union était sans bonheur. Contrairement aux autres restées auprès de leur vieil époux, rivées à leur labeur sans fin.
Certaines familles de Tan Loc ont ainsi jusqu’à trois gendres étrangers. Huu Ke, vice-président de la Croix rouge du village, par exemple, a donné sa fille aînée à un Chinois de Taïwan, laquelle a présenté sa sœur puînée à un homme de Taibei, laquelle a offert à son tour une autre sœur à un ami de son mari. Huu Ke a encore une fille cadette de 16 ans. Les cadres du hameau prévoient que, tôt ou tard, elle marchera sur les traces de ses aînées. C’est le premier pas qui coûte... Un oncle de My Dan a aussi accordé la main de sa fille à un "fils du ciel".
Pour l’intérêt de la famille
Ce réseau d’alliances a commencé un jour de pluie de 1995 à Tan Loc, ce sympathique petit village caché dans les verdures d’un îlot dans la banlieue de Can Tho, la plus grosse ville du Delta du Mékong, à 170 km à l’est de Ho Chi Minh Ville. Ce jour-là, Ngoc Suong, une jeune campagnarde, épousait un vieux Formosan. Grâce à l’argent apporté par cette union, sa famille a pu rebâtir la maison et acheter une moto.
Depuis, les jeunes filles de cette commune, l’une des plus pauvres du Delta, ont suivi ses traces. Les mariages se sont succédés. Au point que rapidement, cette terre – qui, dit-on, produit les plus belles filles de la région - a été baptisée "Ile Formose". Les mariages d’argent entre Vietnamiennes et Taïwanais se sont ensuite répandus dans tout le Delta du Mékong.
Le Service de recherche et d’assistance aux travailleurs mobiles de l’Association des psychologues éducateurs de Ho Chi Minh Ville, a procédé en août 2002 à une enquête de dix jours à Taïwan auprès des Vietnamiennes mariées. Il en ressort que les mariés sont pour la plupart vieux, voire infirmes, vivant à la campagne. Ils s’achètent une femme pour s’occuper de leur famille comme une bonne à tout faire. Les épouses, de 20 à 28 ans, sont de familles paysannes pauvres et de faible éducation. Les jeunes filles se marient sans connaître leur futur mari ni sa famille.
Près de 60.000 couples sino-vietnamiens
D’après le Bureau de représentation économique et culturelle de Taïwan à Ho Chi Minh Ville (mission diplomatique déguisée, le Vietnam ne reconnaissant pas Taibei), 58.264 couples sino-vietnamiens ont été enregistrés au bureau de 1995 à la fin août 2002.
Pour la famille de la mariée, la tentation est forte : elle perçoit en moyenne 16 millions de dong (environ 963 Euros) sur les 48 millions de dong avancés par le marié. Les 32 millions restants servent à payer les entremetteurs qui sillonnent les campagnes à la recherche de filles à vendre. Ils s’occupent des titres de transport de la future mariée, des frais administratifs et autres.
Seize millions de dong constituent une somme non négligeable au Vietnam. D’autant que si la mariée a de la chance, elle envoie ensuite régulièrement de l’argent à sa famille. C’est pourquoi My Dan, divorcée, pense à se remarier. Mais avec un Chinois "convenable" cette fois. "J’ai maintenant assez d’expérience pour faire un bon choix", explique cette femme mûre de... 26 ans.
Cet article est offert par l’agence Syfia