Ah ! ce mutisme pudique, cette modestie prometteuse ! On prête communément aux femmes asiatiques une docilité et un raffinement propres à alimenter des fantasmes aux relents de racisme des plus prononcés. Comble de félicité, les fillettes seraient précoces. Résultat : le tourisme sexuel prospère dans l’Asie du sud-est, et la région fournit aux proxénètes un de leurs plus abondants et lucratifs cheptels (Dossier : Prostitution : pour un abolitionnisme féministe). Pourquoi se gêner, puisque les familles elles-mêmes ne font guère de cas de leurs fillettes ? Quand elles ne les éliminent pas dès avant la naissance comme en Chine, elles les vendent à des vieillards (Vietnam/Chine : des mariages d’argent, par Hang Long). On les pardonne, pauvreté oblige ; et la pauvreté, ça rapporte.
Femmes otages des conflits
On oublie un peu vite que l’Asie a été la proie d’un colonialisme féroce, qui a pris la fuite en laissant derrière lui des peuples torturés par les conflits, mais certes pas les richesses accumulées en exploitant leurs terres.
Tout être civilisé sait que les populations sauvages donnent libre cours à leurs instincts dès qu’on n’est plus là pour les en protéger. Mais on ne peut pas être partout ! Puisque les Français avaient été chassés d’Indochine, puisque les Etats-Unis avaient été si incompris dans leur croisade contre le communisme, pourquoi se seraient-ils mêlés de freiner les dictatures et d’arrêter, par exemple, les sinistres Khmers rouges ? (Les neuf années volées de Tran Chin, par Dominique Foufelle). Après avoir abandonné leurs palaces indiens, pourquoi les Britanniques se seraient-ils souciés des conséquences de la partition du sous-continent ?
Déplacez des populations, chargez les unes de réprimer les autres, distribuez des bons et des mauvais points, les privilèges et les brimades, puis quittez la scène et attendez : vous avez toutes vos chances d’assister à de magnifiques conflits "ethniques". En Asie, comme en Afrique ou en Europe de l’Est, vous verrez en prime les femmes subir des violences économiques, sexuelles et domestiques décuplées (Dossier : Femmes dans les conflits – Femmes contre les conflits).
Vous les verrez parfois aussi, comme en Algérie ou en Amérique latine (Dossier : Femmes d’Amérique latine), enrôlées dans des luttes armées. Les promesses des "frères" seront-elles tenues quand la paix (pour laquelle, elles, profondément, combattent) aura recouvré ses droits ? On demande à voir (Tamouls et Cinghalaises : la double lutte de libération, par Joëlle Palmiéri).
Il serait de toute façon malhabile de se priver leur pouvoir de conviction. Rien de mieux pour attirer la compassion internationale sur une cause, que de placer les femmes en première ligne ! Mais, même instrumentalisées, elles ne témoignent jamais de discriminations imaginaires – hélas. Même si l’on peut douter du féminisme du Dalaï-Lama, il n’empêche que la Chine phagocyte implacablement le Tibet (Renforcement de la politique du contrôle des naissances au Tibet, Association France-Tibet). Même si l’on ne considère pas les sectes comme les mieux placées pour "libérer" les individu-es en général, il reste inacceptable que la Chine, encore, persécute des gens au motif de leurs croyances (Falun Gong : des femmes témoignent, par Joëlle Palmiéri).
Echapper à l’isolement de la "tradition"
Prétendre que le colonisateur occidental a définitivement quitté la place serait toutefois abusif. En cas de catastrophe environnementale et/ou humanitaire, il conserve et défend le principe de non-ingérence. Mais si ses intérêts économiques sont menacés, alors, gare aux sanctions !
Après tout, est-ce la faute d’une multinationale si les cadres locaux auxquels elle a confié la gestion d’une filiale "délocalisée" ne respectent pas les droits du travail ? Exiger des pays une réforme de leur législation, ce serait s’immiscer dans leurs affaires privées ; mieux vaut tolérer une violation des droits humains reconnus par les conventions internationales qu’on a signées par une nuit d’allégresse collective. Il se trouve que la main d’œuvre la plus exploitée se recrute parmi les femmes et les enfants ? La faute aux traditions – du "privé", encore, donc de l’intouchable.
La productivité effrénée aurait-elle depuis la nuit des temps appartenu à cet art de vivre asiatique dont les Occidentaux augurent de si délicieux bienfaits (voir plus haut) ? Toujours est-il qu’elle s’est imposée dans toutes les entreprises du monde, jusqu’en Chine dite populaire (Etrangère à Liushi Town, par Aissata Maiga). Le bon travailleur, la bonne travailleuse, reçoivent partout la même injonction : bossez ! Ne pensez qu’à participer à l’essor de l’entreprise, du pays, du monde – ou du moins, faites semblant. Rendus à l’intimité de vos foyers, vous les hommes pourrez, vous les femmes devrez, renouer avec votre "culture" (Des Chinoises, aujourd’hui, par Aissata Maiga). Et les vaches sacrées seront bien gardées.
On considère le Japon comme un modèle de cette intégration au monde occidental tel que l’imposent ses dirigeants. On lui envie ses employé-es dévoué-es – mais pas son record du monde de suicides d’adolescent-es. La geisha, c’est le rêve des hommes "bien sous tous rapports", disposant d’assez d’avoirs pour mériter une "jeune femme, bon physique, non fumeuse, gaie et cultivée". Certes, le Japon reste un providentiel réservoir à potiches ; mais les Japonaises aussi se rebiffent, avec tout ce que cela suppose d’obstacles dans un monde poli et policé à l’extrême (Mariko Mitsui, féministe et femme politique, par Laurence Vouillot).
La mondialisation libère-t-elle la femme ? On aimerait nous le faire croire, dans une confusion des valeurs qui nous maintiendrait dans le rôle d’objets. Mais il est certain que l’altermondialisation des échanges renforce l’impact des alternatives (L’échange fait la force, par Dominique Foufelle). L’Asie, paradis des fabricants de nouvelles technologies, va-t-elle voir sa population féminine profiter de ces opportunités ? C’est en marche.