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Faire face

mercredi 30 avril 2003, par Dominique Foufelle

Il est parfois des rencontres dans ma salle d’attente qui m’émerveillent, quand le hasard rassemble et fait se parler certaines de mes patientes. Ces femmes, différentes par l’âge ou l’origine, ont en commun le courage et la solidarité. Au contraire, parfois, dans les visages de ma salle d’attente, je ressens surtout le poids écrasant de l’injustice et la paralysie…

Mais pour les unes comme pour les autres, il s’agit de toute façon de prendre acte des symptômes, d’entendre la violence que représentent l’épuisement et l’oppression au quotidien de bien des femmes.
Alors, que faire ? Mille et une choses concrètes, modestes ou moins modestes, par exemple :

- D’abord, bien sûr, écouter, ne pas banaliser, affirmer que "même si elles sont nombreuses à mener une vie de marathonienne, cela n’est pas normal."

- Se préoccuper des anémies, vraiment, s’informer de l’abondance des hémorragies des règles, ou des carences liées à des petits sandwichs pris sur le pouce à midi, pour donner du fer suffisamment longtemps. Combien de femmes se traînent à 11 g d’hémoglobine et ressuscitent à 13 g !

- Proposer largement des arrêts de travail aux mères d’enfants malades, et même aux pères, ainsi qu’aux femmes épuisées. Histoire de souffler un peu, de pouvoir être un peu seules tranquilles chez soi.

- Donner l’adresse de l’inspecteur du travail et de la permanence syndicale interentreprises du quartier pour celles qui n’ont pas de syndicat. Adresser à la consultation de pathologie du travail quand on en a une dans son secteur. Participer comme cela existe dans certaines associations à un groupe de paroles qui réunit citoyens, syndicalistes, médecin du travail autour de la lutte pour l’amélioration des conditions de travail, pour des personnes en butte à une intensification du travail ou à un harcèlement, savoir utiliser l’outil de l’inaptitude pour éviter une démission dans ces cas.

- Lutter contre le décervelage ambiant et l’absence de culture politique, qui met les relations professionnelles sur le terrain affectif ou psychologique. Rappeler le vieil adage des ouvriers " Tout ce qu’on peut attendre des patrons, c’est de la rallonge ". Nommer " la lutte des classes " quand la politique de management cherche une rentabilité à n’importe quel prix, celui de la santé des personnes.

- Conseiller des lectures éclairantes, comme Reprise d’Hervé Le Roux [1], qui retrace sous forme d’un polar sensible et d’une romance l’histoire du mouvement ouvrier.

- Donner des trucs pour faciliter la vie de famille, l’adresse de la bibliothèque municipale pour les histoires du soir. Parler de recettes de cuisine simples, de réduire le repassage à son plus strict minimum. Encourager à faire un tableau pour la répartition des tâches ménagères avec les enfants et le conjoint.

- Prendre le temps de parler de l’école, des difficultés liées aux classes surchargées, ou à l’épuisement ou la rigidité des enseignants. Proposer des séances d’orthophonie même pour les grands pour débloquer des situations. Rappeler l’utilité de joindre les associations de parents d’élèves.

- Entendre le désarroi des adolescentes, ou des femmes plus âgées qui se sentent exclues de la norme, comme si le modèle se trouvait dans les feuilletons de Miami beach, inventer les mots qui rassurent, dire par exemple que notre capacité de stocker les graisses a sauvé les mères et donc l’humanité de la famine, raconter que dans certaines tribus de Polynésie le modèle de la séduction est la femme ménopausée, qui a souvent plus de sagesse, d’indulgence et de sens de l’humour que la femme plus jeune.

- Avoir dans son carnet d’adresse les centres d’IVG disponibles et respectueux où les femmes peuvent être accueillies dans les délais légaux et sans culpabilisation, prendre le temps d’écouter les femmes souvent partagées dans des sentiments contradictoires, même si leur décision est fermement et raisonnablement prise.

- Ne pas se laisser abuser par la publicité des laboratoires pharmaceutiques et prescrire des pilules remboursées, surtout aux jeunes filles dont on connaît les petits budgets, démédicaliser la contraception, proposer de montrer leur col avec un miroir lors de l’examen gynécologique.

- Affirmer que le désir et le sexe ne sont pas forcément synonymes de rapports de force, qu’ils peuvent être joyeux et respectueux, qu’hommes et femmes ont tout à y gagner, conseiller des lectures comme l’Amant de Mireille Sorgue [2], qui avait su trouver malgré son très jeune âge les mots d’un érotisme partagé, même si à l’époque avant 1968, elle n’avait pu su ensuite trouver les moyens d’être différente du modèle de soumission classique, et même si elle avait mis fin à ses jours, proposer par exemple aux professeurs de littérature et de biologie de faire des lectures de son chapitre sur le langage des mains parallèlement à une information sur la contraception.

- S’appuyer sur le lien de la relation médicale pour redonner confiance aux femmes sur leur capacité à nouer des liens.
Alors peut-être nous saurons les aider à résister.

Article paru dans Pratiques – Les cahiers de la médecine utopique, n° 20, janvier 2003, " La santé des femmes : tout reste à faire ".

P.-S.

Elisabeth Maurel-Arrighi, médecin généraliste

Notes

[1] Reprise d’Hervé Leroux, Calmann-Levy, 1998, Paris.

[2] L’amant de Mireille Sorgue, Albin Michel, 1985,réédité en livre de poche 2002.

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