Les Pénélopes : Attac a décidé il y a quelques mois de créer un groupe de travail intitulé "Genre et mondialisation". Pourquoi et dans quelle perspective ?
Bernard Cassen : Soyons francs : la question féministe n’avait pas été d’emblée mise au cœur des chantiers d’Attac lors de sa création en 1998. Et ce pour deux raisons principales. D’abord parce que les cibles de nos revendications - la spéculation financière, le FMI, l’OMC, les paradis fiscaux, les multinationales, etc. - sont des activités ou des entités qui n’apparaissent pas immédiatement comme "genrées". Le néolibéralisme et la dictature des marchés ne font pas le détail entre hommes et femmes, adultes et enfants, et exploitent indifféremment tout ce qui est susceptible d’être exploité. Dans cette logique, notre combat est générique plutôt que genré.
L’autre raison est d’ordre "culturel" et, à cet égard, les militants et les dirigeants d’Attac ne sont pas différents du reste des citoyens progressistes : nous faisons nôtre spontanément le discours contre les inégalités en général, et contre les inégalités entre hommes et femmes en particulier, mais sans creuser particulièrement le caractère spécifique de cette dernière inégalité. En d’autres termes, les revendications féministes bénéficient de la sympathie générale, mais c’est tout autre chose que de les intérioriser et de les intégrer dans un discours plus global. Il faut pour cela une démarche volontariste de réappropriation. La création du groupe de travail "Genre et mondialisation" constitue à cet égard un aiguillon très utile. Par ses travaux, il nous oblige à regarder de plus près et à prendre en compte une dimension que nous acceptons tous intellectuellement, mais que, faute de stimulus permanent, nous risquerions de laisser au stade de l’invocation rituelle. Désormais, Attac assume pleinement cette dimension : l’éducation populaire, qui est l’une de nos raisons d’être, a commencé à porter ses fruits dans nos propres rangs !
A votre avis, en quoi le féminisme est-il un facteur de résistance au libéralisme ?
Dans la mesure, pour prendre seulement ce cas, où il met en cause des situations d’inégalité professionnelle, même s’il s’agit seulement de l’inégalité hommes-femmes, le féminisme impose un surcoût salarial aux employeurs, qu’ils soient publics ou privés. Les libéraux, dont l’obsession est de déplacer toujours davantage le curseur des revenus du travail vers les revenus financiers ne peuvent donc qu’y être hostiles. L’égalité de droit de la femme au travail impose aussi des créations d’infrastructures (crèches, garderies, etc.) que, dans notre tradition républicaine, nous considérons comme relevant de la puissance publique. Là encore, cette revendication va à l’encontre de la tendance dominante au "moins d’Etat" et à la diminution des dépenses publiques. D’une manière plus générale, les femmes - et cela vaut encore davantage dans les pays du Sud où elles sont la variable d’ajustemement des plans du même nom - apportent aux luttes sociales une détermination, une imagination, un sens du concret et un dynamisme nouveaux. A cet égard, le féminisme, dès lors qu’il est exempt de sectarisme (les femmes devront encore longtemps être unitaires hommes-femmes pour deux !) constitue effectivement une énorme contribution au combat contre le libéralisme.