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Les Casques bleus, pachas de Kinshasa

lundi 30 septembre 2002, par Dominique Foufelle

A Kinshasa, les Casques bleus s’offrent les plus belles villas, les plus belles filles et paient sans compter… La population leur reproche de participer à la guerre des prix plus qu’au maintien de la paix.

Sur les rues cabossées de Kinshasa, les véhicules blancs, flambant neufs, marqués du sigle " UN " pour Nations Unies, ne passent pas inaperçus. Ce sont ceux de la Monuc, la Mission d’observation de l’Onu au Congo. Etablie en République démocratique du Congo, depuis décembre 1999, la Monuc a pour mandat de veiller au respect de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, signé en juillet 1999 entre différents belligérants de la guerre qui déchire le pays depuis août 1998.
Au total, ce sont quelque 450 observateurs militaires, soutenus par 3354 officiers et soldats assurant leur protection, qui ont été déployés dans cet immense pays, grand comme 4 fois la France et 80 fois la Belgique ! Ces Casques bleus sont uruguayens, marocains, sénégalais, ghanéens et tunisiens. A Kinshasa, la capitale, le contraste est saisissant entre leur niveau de vie ostentatoire et la galère quotidienne des quelque six millions de Kinois.
" Ils sont dans les plus beaux palaces de la ville, les lieux de plaisance, les restaurants et boîtes de nuit réputés, les grandes surfaces… Ils passent ici les plus beaux moments de leur vie ", estime une Kinoise qui les fréquente avec assiduité. Dans la capitale, ils font figure de pachas : à Gombé, Limeté, Binza, les quartiers les plus chics, ils occupent les plus belles villas et s’occupent des plus belles filles !

Des loyers en folie


C’est, dit-on, pour des raisons de sécurité qu’ils logent dans ces quartiers cossus, notamment ceux du centre-ville, appelés " ville blanche " du temps de la colonisation belge. Leur arrivée a fait flamber le prix des loyers, chassant les nationaux, même les mieux nantis. " Avant, je louais au centre-ville un appartement de quatre pièces à 350 dollars. Je l’ai quitté pour la cité, parce que mon bailleur voulait y loger à 900 dollars un agent de la Monuc ", témoigne un Congolais qui travaille…. à la Mission de l’Onu.
Par l’odeur des dollars alléchés, les bailleurs ont doublé voire triplé les loyers au centre-ville. " Ils ne discutent pas les prix, même s’ils sont exorbitants ", révèle M. Thomas, commissionnaire de l’agence Immo de Limeté. " Certains paient une garantie (ndlr : caution) de plus d’une année alors qu’elle est légalement de trois mois ", ajoute M. Azangisa, commissionnaire à l’agence Immoba.
Pour séduire ces étrangers et faire monter les prix, les propriétaires leur proposent des logements tout meublés " parce que leur mandat est limité dans le temps, précise l’un d’eux. Et ce sont des locataires respectueux de leurs engagements qui paient sans retard leur loyer ".
Ces opérations immobilières sont tellement juteuses que certaines entreprises de la place, comme Utexafrica et Tissakin, deux usines textiles, ont carrément loué les villas et appartements destinés à leurs cadres à des agents de la Monuc. " Pour, dit-on, faire face à la conjoncture ". Fourchette du loyer mensuel : entre 1500 et 2000 dollars.

De bons payeurs


A la Monuc, les explications sont un peu embarrassées. Un Casque bleu, sous couvert d’anonymat, reconnaît que " les prix sont élevés, mais nous n’avons pas le choix ". Un autre, Ousmane Kory, ne voit pas le rapport entre la présence de la Monuc et l’envolée des loyers. " C’est une affaire entre bailleurs et commissionnaires qui viennent avec des offres, dit-il. Si la maison nous intéresse, nous la prenons quel que soit le prix… "
C’est précisément le fait que les agents de la Monuc ne discutent jamais les prix et paient sans compter qui entretient leur image de " bons payeurs ". Dans les magasins, des vendeuses apprécient ces " gentils Casques bleus ". " Ils adorent acheter les vins et les liqueurs. Et quand ils sortent un billet de 100 dollars pour de la marchandise de 70 dollars, ils ne demandent pas le reste ", témoigne Thymine Nzengi, une ancienne vendeuse. Les prostituées, elles aussi, profitent de leur générosité " Une de leurs qualités, c’est qu’ils règlent bien la facture : 100 dollars la nuit contre 30 dollars pour les autres ".
Les Kinois qui ne bénéficient pas de ces largesses, voire qui en paient les conséquences inflationnistes, apprécient beaucoup moins la présence de ces étrangers bourrés aux as. " Ils ne sont pas venus ici pour rester en ville, grogne un cadre de l’Office national de transport (Onatra). Ils doivent aller au front surveiller le cessez-le-feu pour mettre fin à la guerre ". Des voix commencent en effet à s’élever dans le pays pour contester le rôle des hommes de l’Onu en Rdc. Leur mandat vient d’être prolongé d’une année, jusqu’en juin 2003… Beaucoup de Congolais espèrent voir enfin la troupe internationale passer de l’observation au maintien de la paix.

Paru sur www.syfia.com

P.-S.

Dalida Matondo, Irène Manginzila, Solange Nkutakani, Laetitia L. (Syfia RDC) -Juillet 2002

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