Il n’y a que dans la guerre de Troie qu’on a vu des armées s’affronter pour une femme ! D’ailleurs, délivrer la belle Hélène, n’était-ce pas plutôt un alibi ?
La cause des femmes ne semble guère mériter un engagement dans l’enjeu géopolitique international, aussi cruelle que puisse être la situation dans laquelle elles se trouvent. L’Afghanistan dans les années 1990 en est un exemple éloquent – parmi tant d’autres.
Six ans d’indifférence
Reconnus partout aujourd’hui comme une aberration totale, les Talibans – groupe de fanatiques opérant sous une étiquette religieuse - ont systématiquement bafoué les droits des femmes par une politique de "gendericide" déterminée froidement pour déstabiliser le pays en commençant par l’élimination de 50% de sa population (féminine).
Il est inutile de développer encore ici les horreurs infligées aux femmes de ce pays pendant 6 ans : femmes bannies du travail et de l’école, empêchées de sortir dans la rue sans accompagnement masculin, leurs fenêtres peintes en noir, imposition du port de la burqa, interdiction de consulter un médecin ou de recevoir des traitements médicaux… et des femmes publiquement battues et assassinées pour violation des lois imposées par les talibans.
Grâce à quelques mouvements internationaux, surtout féministes, tel que le nôtre, NEGAR–Soutien aux Femmes Afghanes, les atrocités commises contre les Afghanes pendant cette période étaient dénoncées en permanence. Pourtant ce ne fut pas la cause des femmes qui a finalement réveillé le monde entier au drame de l’Afghanistan. Deux événements ont projeté cette région à la "une" des médias : d’abord la destruction des Bouddhas de Bamyan au printemps 2001, puis l’attaque du 11 septembre au World Trade Center, sur le territoire américain. Face à ce dernier événement, les grandes puissances mondiales ont – enfin – pris position contre un terrorisme qui a fini par menacer non plus seulement les femmes, mais aussi les valeurs de nos sociétés dites démocratiques… comme si les violences commises contre les femmes ne les bafouaient pas déjà.
Des citoyennes prêtes pour l’action
Depuis un an, l’évolution de la situation a fait un bond énorme. Les femmes commencent à jouir d’une liberté retrouvée. Elles peuvent participer à la vie publique, retourner à l’école, se faire soigner, et travailler. Ceci est vrai surtout à Kaboul, où les forces de sécurité (ISAF) présentes en grand nombre doivent en principe assurer la protection des femmes. En dehors de Kaboul, la situation est moins rassurante [1], bien que les droits fondamentaux soient théoriquement garantis [2].
Les femmes sont souvent politiquement avancées, éloquentes, et plus que capables, sachant très bien que même débarrassées des talibans, elles doivent faire face à une société qui traditionnellement, ne les favorise pas. L’Afghanistan, comme le Pakistan, l’Arabie Saoudite ou l’Iran, est un pays où l’on voit encore des exemples des droits des femmes bafoués et des situations sociales désespérées. Mais les femmes afghanes ont une longue histoire et une tradition de résistance pour leurs droits civils et politiques. Aujourd’hui elles ont la possibilité d’avoir leur place et de jouer un rôle important dans la reconstitution de l’Afghanistan.
Une nouvelle constitution sera rédigée dans les deux prochaines années, et il est impératif que la communauté internationale veille à que les droits de la femme y soient inclus. Mais actuellement, les femmes en Afghanistan doivent faire face à des problèmes de tous les jours, et c’est en les aidant à sortir de ces impasses quotidiennes, sans perdre de vue à plus long terme leurs droits fondamentaux, que les autres pays peuvent les aider et les soutenir. Il faudrait, donc, que la communauté internationale travaille sur deux fronts : vigilance pour l’avenir et aide financière immédiate. Aujourd’hui, avec la loya jirga relativement bien réussie derrière elles, les Afghanes font face à un avenir difficile. Comment sortir de la misère sans aide sanitaire et sociale, de l’obscurantisme sans écoles ni formations ? Certaines sentent que si les promesses d’aide pour sauvegarder la paix (peacekeeping) ne sont pas honorées assez rapidement, la démocratie en Afghanistan sera sérieusement menacée, et leurs espoirs ruinés.
Que sont les fonds devenus ?
Hélas ! les derniers indices sur l’aide à venir des Etats-Unis ne sont pas du tout encourageants, malgré les promesses faites pour le soutien à la reconstruction du pays. La guerre terminée, George Bush compte-il vraiment contribuer à reconstruire le pays et à garantir sa sécurité, et, bien sûr, la sécurité des femmes ? On peut sérieusement en douter.
Les aides humanitaires et autres volontaires sur place en Afghanistan sont pessimistes, car ils voient leurs fonds diminuer ou longs à venir. Peu de l’argent promis arrivera avant 2003, et encore bien moins que promis : sur les $10 milliards d’aide nécessaires pour la reconstruction, seulement $3 milliards paraissent confirmés aujourd’hui [3].
En réponse à une crise humanitaire que la guerre a encore exacerbée, George Bush vient de refuser une proposition du Congrès d’accorder un Fonds supplémentaire d’aide d’urgence d’un montant total de $5,1 milliards. Ce fonds comprenait $174 millions pour la reconstruction de l’Afghanistan - dont 2,5 alloués au Ministère de la condition féminine, pour la création de "maisons des femmes", prodiguant informations, soins, éducation et formations. Coïncidence ? La décision est tombée juste après que Colin Powell a fait le forcing pour obtenir une augmentation du budget de la défense.
Parallèlement, des abus commis contre des femmes n’ont pas suscité de réponse officielle des Etats-Unis. Sima Samar, l’ancienne Ministre des affaires des femmes a dû démissionner face aux menaces dont elle a fait l’objet ; Masouma Jalal et d’autres femmes qui s’avancent dans la politique afghane font également l’objet de menaces sérieuses provenant des éléments conservateurs du pays ; et le manque de sécurité, et le manque de moyens, pour faire progresser la cause des femmes, laissent le gouvernement Bush sans réaction.
La politique étrangère de George Bush ne couvre en principe pas un programme de " nation building ". Pourrait-elle être différente dans le cas d’Afghanistan ? On en doute. Le centre d’intérêt de l’administration Bush s’est reporté sur l’Irak, sans qu’ait été mis en œuvre le projet annoncé en grandes pompes pour l’Afghanistan : la victoire de la démocratie sur l’obscurantisme. Il semble que les promesses, relayées notamment par la first lady Laura Bush, soient tombées aux oubliettes.
On bouge au Sénat
Cette attitude ne fait pourtant pas l’unanimité. Quelques membres du Congrès militent en faveur des Afghanes. Au sein du Sénat, Barbara Boxer (Californie) mène la bataille. La Commission du Sénat pour les Relations Etrangères (l’une des commissions les plus importantes du Congrès américain) vient d’autoriser l’augmentation des fonds de reconstruction, avec un amendement d’assistance pour les femmes d’Afghanistan (Assistance for Women in Afghanistan Amendment). Cette préconisation a fait l’objet d’un vote unanime : $2 milliards pour la reconstruction sur les 4 ans à venir et $1 milliard sur 2 ans pour maintenir des forces de maintient de la paix. Compris dans ce projet, l’amendement de Mme Boxer spécifie une aide pour les femmes dans les domaines des droits politiques et sociaux, santé, éducation, formation professionnelle, et habitat, avec $15 millions pour le Ministère des Affaires féminines, et également $15 millions pour le Ministère des Droits humains (Human Rights Ministry), nouvellement dirigé par Sima Samar (ancienne Ministre des Affaires féminines). Reste à faire adopter la proposition de la commission par le Sénat.
Des groupes comme la Feminist Majority Foundation ou Vital Voices (cher à Hillary Clinton, et qui a invité des femmes afghanes à venir témoigner devant le Foreign Relations Committee), n’ont pas relâché la pression sur les élu-es ; il se félicitent d’avoir été entendus par une partie d’entre eux [4]. Même s’il est évident que l’avenir des Afghanes ne se jouera pas sur les seules aides financières, aussi indispensables soient-elles, l’obstination de George Bush à les refuser laisse présager qu’il fera peu de cas du droit des femmes dans la région où il continue de livrer une bataille géopolitique. Mais s’en est-il jamais soucié ?