Accueil du site > autres > Entretien avec Nicola Bullard : "Il a de l’espoir dans l’action"

Entretien avec Nicola Bullard : "Il a de l’espoir dans l’action"

dimanche 1er septembre 2002, par Josefina Gamboa

"Nous ne réfléchissons pas en termes de grands concepts auxquels arriver, nous ne voulons pas qu’un changement pareil pour tous se produise, car nous ne voulons pas homogénéiser les gens. Nous croyons que chaque endroit doit inventer ses processus de changement, ses propres chemins de non-exclusion. Il y a des formules qui peuvent fonctionner dans certains endroits et non ailleurs", soutient cette chercheuse et activiste qui a travaillé pendant 20 ans avec des syndicats, organisations de femmes, groupes de défense des droits humains et agences de développement en Australie, Thaïlande et Cambodge. "L’existence de mondes parallèles prend de plus en plus forme, des mondes avec leurs propres institutions, règles et qui donnent une nouvelle valeur à la démocratie –ajoute-t-elle-. Il faut tout reconceptualiser. Le nouveau monde est un travail en élaboration".

Le visage frais et les cheveux foncés en bataille, Nicola Bullard, lucide et précise, parle avec optimisme et engagement sur les sujets qui aujourd’hui traversent le débat et l’action du mouvement antimondialisation néolibérale. Elle est née à Melbourne, Australie, mais elle travaille depuis une décennie à Bangkok, Thaïlande, où elle intègre à présent l’organisation Focus on the Global South, l’un des centres les plus sérieux de recherche sur économie et processus de changement du mouvement. Elle a participé aux deux éditions du Forum Social Mondial comme membre du Conseil International et elle est arrivée en Argentine débordante de curiosité et d’enthousiasme.

Pourriez-vous expliquer le concept "sud global" qui désigne votre organisation ?
Il y a un Nord dans ce que l’on considère le Sud traditionnel et un Sud dans ce qui est d’habitude appelé le Nord. Dans le dit Nord on trouve la concentration de capitaux mais c’est dans le sud qui se subissent les pressions de ces grands groupes de capital, qui écrasent quoique ce soit pour leur survie, faisant le monde tourner au son des marchés. Le Sud est donc un concept globalisé, qui est présent dans tous les pays et qui ne reconnaît pas de frontières. Un mot qui évoque une métaphore. C’est pour cela que notre groupe globalise le concept de Sud. Car cela représente les régions du monde où l’exclusion existe.

Comment mettre fin à l’exclusion ?
D’abord, il s’agit d’une question de mentalité, de ne pas essayer de lutter pour un autre monde supposé meilleur qui reproduise exactement les comportements des structures de ce modèle néolibéral, impulsé par le FMI, la Banque Mondiale et les pays riches. L’existence de mondes parallèles prend de plus en plus forme, des mondes avec leurs propres institutions, règles et qui donnent une nouvelle valeur à la démocratie. Il faut tout re-conceptualiser. Le nouveau monde est un travail en élaboration.

Voulez-vous dire que l’objectif est en soi un processus constant ?
Pas du tout. Ce mouvement est très récent et il est en train de définir encore ses processus, mais ses objectifs sont clairs et simples. Son objectif est la "liberté" des individus, de la façon dont chacun l’imagine et en a besoin. Nous ne réfléchissons pas en termes de grands concepts auxquels arriver, nous ne voulons pas qu’un changement pareil pour tous se produise, car nous ne voulons pas homogénéiser les gens. Nous croyons que chaque endroit doit inventer ses processus de changement, ses propres chemins de non-exclusion. Il y a des formules qui peuvent fonctionner dans certains endroits et non ailleurs

Il y en a qui disent qu’il est temps d’arrêter de réaliser des actes symboliques, comme les rencontres intellectuelles et les marches de protestation, et que le moment est venu de passer à l’action. Etes-vous d’accord ?
L’action existe déjà. Nous pouvons le constater ici même. L’Argentine est un bon exemple avec ses assemblées de quartier [1], le mouvement des piqueteros [2], les organisations de base. Où il ne faut pas se tromper, comme auparavant, c’est sur quel moment choisir pour envisager l’action. Ceux et celles qui veulent faire des actions les mèneront ou bien, laisseront passer l’opportunité historique d’agir, ce qui est en soi un mode d’agir. Je crois qu’il faut respecter les temps de ceux et celles qui mènent les processus. Induire des changements ne marche pas si les gens ne veulent pas ou ne sont pas prêts à les réaliser.

Le gouvernement de George Bush a conduit le monde à une guerre qu’ils ont nommé « perpétuelle ». Comment lutter aujourd’hui pour la paix ?
Précisons que la guerre en affrontement direct représente toujours une affaire pour le néolibéralisme. C’est toujours une question d’argent. L’intervention à Kaboul a les mêmes objectifs que ceux qu’auparavant avait celle du Kosovo : faire tourner une machine, concentrer l’attention sur un ennemi qui est une fausse cible. Le seul « business » possible est la paix.

Vous êtes une spécialiste de l’Asie. Quelles ressemblances trouvez-vous entre les processus des pays asiatiques et ceux d’Amérique Latine ?
Premièrement, je dois souligner les diversités de ces deux continents pour, après, oser une considération très générale sur leurs ressemblances et aussi sur leurs différences. Bien que beaucoup de pays d’Asie fonctionnent sans les pressions du FMI ou de la Banque Mondiale, leurs gouvernements génèrent un schéma de marché néolibéral aussi fort que ceux des grands organismes mondiaux. Aujourd’hui il n’y a pas de pays sur la planète qui échappe au schéma libéral. Quant aux différences, la plus évidente est que les pays asiatiques fondent plus leurs économies sur la campagne. Par exemple, en Chine, 80% de la population est engagée dans des tâches agraires. Et une autre différence est leur relation avec le dollar. J’aime croire que tant dans un continent comme dans l’autre, des chemins de mondes alternatifs commencent à s’ouvrir.

Etes-vous féministe ?
Oui, je crois.

Ce mouvement a-t-il récupéré le mot « espoir » comme une possibilité réelle ?
Oui, il l’a récupéré au moment où il l’a associé inexorablement au mot action.

P.-S.

Equipe de presse alternative au Forum Social Mondial en Argentine, 25 août 2002

Notes

[1] Suite à la crise, plus de 200 assemblées de voisin-es se sont créées spontanément à Buenos Aires et ses alentours. Il s’agit de rassemblements hebdomadaires visant à devenir un espace de débat horizontal, sans récupération politique, où tous et toutes peuvent s’exprimer afin d’établir des priorités et faire des propositions pour résoudre les problèmes, au niveau du quartier puis au niveau national

[2] Mouvement de dénonciation sociale apparu en 2001 qui appelle à manifester pour bloquer les routes nationales, installant des feux et des campements. Les femmes ont adhéré à cette forme de revendication audacieuse et souvent réprimée par la police, et y ont souvent participé avec leurs enfants.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0