Quelles sont vos impressions et sentiments à la fin du Forum ?
La participation a été très importante, et j’ai été heureuse de remarquer la présence des jeunes. Auparavant nous les femmes étions peu nombreuses dans les débats ; aujourd’hui nous sommes beaucoup plus. Les points clés débattus nous ont conduit à prendre des résolutions fermes contre l’ALCA (Zone de Libre Echange des Amériques), contre le remboursement de cette dette illégitime et contre la militarisation en Amérique latine. Si le premier Forum de Porto Alegre a été un contre-Davos, maintenant nous pouvons affirmer qu’il a déjà atteint une personnalité et une identité propres. Aujourd’hui, après cette assemblée, l’engagement est très fort, et tout-es ceux et celles qui sont parti-es d’ici l’ont fait en tenant cet engagement. Les mères de Place de Mai [1] , nous rejetons la re-colonisation de notre continent, ainsi que la dette et l’ALCA. De plus, nous avons convoqué un Cabildo Abierto [2] pour discuter des possibilités de mise en place de la démocratie participative, ce Cabildo aura lieu les 5 et 6 octobre prochains.
Quelle est la participation des femmes dans les mouvements sociaux qui se sont multipliés spontanément à partir des événements de décembre 2001 en Argentine ?
Elle est considérable ! Nous avons toujours eu du mal à militer et à nous insérer, car notre éducation nous a appris à laisser le patriarcat et le machisme rentrer et régner partout. Avant, nous étions cantonnées aux secteurs de santé, d’éducation et d’assistance sociale. Mais tout cela a changé, nous avons avancé avec prudence, fierté et douleur. Par exemple, les Piqueteras [3] sont des femmes courageuses qui sortent dans la rue avec leurs enfants pour réclamer ce que l’Etat leur doit et pour demander du travail. Leur force de dénonciation est remarquable. Les Assemblées de quartier [4] ont d’abord été conduites par des hommes ; aujourd’hui les femmes ont trouvé leur place dans cet espace social. Il s’est passé la même chose quand avec les Mères nous avons commencé notre lutte. On nous prenait pour des folles. Mais il fallait commencer à parler, et il fallait commencer à sortir de nos quartiers. Nous sommes sorties chercher nos enfants, sans appeler à la violence. Mais comme nous parlions, et ça a beaucoup dérangé, de nombreuses femmes ont aussi disparu.
Croyez vous que ceux qui écrasent le peuple argentin sont rassurés lorsqu’ils voient que les mouvements sociaux se réunissent dans des conférences internationales pour débattre et tirer des conclusions mais sans réussir pour l’instant à se structurer vraiment, ni à élaborer de plans d’action concrets ?
Pas du tout ! Ils ne sont pas du tout tranquilles ! La meilleure preuve, ce sont les cages qu’ils construisent lorsqu’ils se réunissent entre eux. S’ils mettent en place des grilles et des forces de sécurité c’est parce qu’ils ont peur. Ils vont au Parlement effrayés par les agressions éventuelles dans la rue. Ils se rassemblent de plus en plus dans des endroits éloignés. Ils n’ont ni gloire ni victoire, car ils ne profitent pas de ce qu’ils nous volent. Ils mangent les meilleurs plats et portent les vêtements les plus raffinés, mais ils ne sont pas rassurés. Ils ne nous tuent pas avec des balles, mais avec des mécanismes plus subtils et plus efficaces : ils nous tuent par la faim, par les maladies pourtant guérissables en d’autres temps et avec la tyrannie du pouvoir économique. Pourtant le capitalisme meurt maintenant parce qu’ils ne peuvent pas continuer à vivre isolés.
Comment peut être conçu un programme de démocratie participative en Argentine ?
Nous croyons au budget participatif, et pour cela il faut d’abord appliquer un système de démocratie participative. Cela sera ouvertement discuté les 5 et 6 octobre prochains à Buenos Aires. C’est un premier pas vers le contrôle du budget par le peuple. Car notre pays est en "default" [5] à cause d’une corruption sans précédent. Et les traîtres doivent tous être expulsés de leurs postes, jugés et condamnés comme ils le méritent.