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Une femme dérangeante

mardi 15 janvier 2008, par David Boutigny

Il est de bon ton de commencer l’année par des vœux : bonheur, santé, prospérité. Pour le moment on ne voit pas bien comment ces vœux pourraient être exaucés pour la majorité du peuple et en particulier pour les femmes dont les conditions de vie ne s’améliorent pas, et même se dégradent. Temps partiels, chômage, précarité, violences conjugales et sociales : on connaît la chanson, et elle manque d’originalité. Ce qui est vrai ici, en France, l’est aussi au-delà des frontières, en Europe et plus loin encore.
Et puis l’année 2008 commence décidément bien mal. On célèbre le centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir. Non, ne criez pas au loup. Ce n’est pas le principe de la célébration qui nous fait dresser les cheveux sur la tête mais la bouillie de chat que les médias nous livrent et même le scandale que représente leur pervers besoin de faire de l’accrocheur avant de faire de l’information. D’anesthésier la pensée plutôt que de la susciter. Décidément, rien n’aura été épargné à Simone de Beauvoir, la femme libre et fière, la militante, la philosophe, l’écrivaine, la grande témoin engagée de son temps. Celle qui a marqué nos vies, qu’on le reconnaisse ou qu’on le dénie, celle qui a donné sens à l’intuition des rébellions isolées, des tourmentes individuelles, des malaises impossibles à formuler

Il est de bon ton de commencer l’année par des vœux : bonheur, santé, prospérité. Pour le moment on ne voit pas bien comment ces vœux pourraient être exaucés pour la majorité du peuple et en particulier pour les femmes dont les conditions de vie ne s’améliorent pas, et même se dégradent. Temps partiels, chômage, précarité, violences conjugales et sociales : on connaît la chanson, et elle manque d’originalité. Ce qui est vrai ici, en France, l’est aussi au-delà des frontières, en Europe et plus loin encore.
Et puis l’année 2008 commence décidément bien mal. On célèbre le centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir. Non, ne criez pas au loup. Ce n’est pas le principe de la célébration qui nous fait dresser les cheveux sur la tête mais la bouillie de chat que les médias nous livrent et même le scandale que représente leur pervers besoin de faire de l’accrocheur avant de faire de l’information. D’anesthésier la pensée plutôt que de la susciter. Décidément, rien n’aura été épargné à Simone de Beauvoir, la femme libre et fière, la militante, la philosophe, l’écrivaine, la grande témoin engagée de son temps. Celle qui a marqué nos vies, qu’on le reconnaisse ou qu’on le dénie, celle qui a donné sens à l’intuition des rébellions isolées, des tourmentes individuelles, des malaises impossibles à formuler. Celle, la première à décrypter la fabrication de la femme. Celle qui a démontré, rationnellement, qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient. Honte sur le Nouvel Observateur qui, prétendant illustrer le caractère scandaleux pour la morale bourgeoise du mode de vie de Simone de Beauvoir, et surtout des idées de liberté et d’indépendance qu’elle revendiquait fièrement et qu’elle incarnait, honte donc à l’hebdo « de gauche », celui qui a pourtant su publier en son temps le « manifeste des 343 salopes », honte à lui de publier une photo de Simone de Beauvoir, nue, dans l’intimité d’une salle de bain, et titrant « la scandaleuse ».
Mais quelle mouche les a piqués, ces responsables éditoriaux pour commettre une telle couverture ? Faut-il comprendre que tant d’années après les levers de bouclier de la bien-pensance qu’à soulevés la publication du « Deuxième Sexe », le feu de la haine et du mépris n’est toujours pas éteint ? Faut-il en déduire, après des décennies durant lesquelles les propos de la féministe, les livres de l’écrivaine semblaient ne plus faire frémir quiconque, que finalement les comptes ne sont toujours pas réglés ?
La pensée de Simone de Beauvoir resterait-elle donc si actuelle qu’elle mériterait qu’il faille, pour vivre tranquille, qu’on la désacralise, non par l’argument, le raisonnement, mais par l’image de ses fesses ? Comme s’il fallait avant tout montrer qu’elle était femme comme les autres, femme comme on regarde les femmes, c’est-à-dire, toujours et avant tout leurs corps, leurs formes, leurs culs. Et qu’ainsi, d’un coup de baguette magique de retouche à la palette graphique, soit mis en scène ce qu’il était impensable d’imaginer de cette philosophe délibérément rebelle jamais rentrée dans le rang ? Comme s’il était possible de rayer ainsi tous les effets de la pensée révolutionnaire (oui osons ce qualificatif) de celle qui a voulu vivre comme elle croyait juste de penser.
Dérangeante, oui elle l’est encore aujourd’hui. Tout simplement parce que sur le fond le patriarcat n’a pas cédé grand chose. Malgré les luttes des femmes, les lois, et l’éclatement des familles traditionnelles, la discrimination persiste, la domination demeure. Si nous sommes mieux armées aujourd’hui pour y faire face, pour en comprendre les racines, c’est en grande partie parce que Simone de Beauvoir a libéré un espace conceptuel dans lequel des centaines de femmes se sont engouffrées, pour dire, produire des idées, analyser la réalité de millions d’autres femmes. Des millions de femmes de tous pays qui se sont reconnues au fil de ses écrits, de ses paroles, de ses actions à leur côté. L’universalité de l’œuvre de Simone de Beauvoir est actuelle, vivante, vibrante. Cent ans après sa naissance, presque 60 ans après la publication du « Deuxième Sexe », elle continue de susciter admiration et dénigrement.
A celle qui ne croyait pas au destin éternel, il serait terriblement agréable de pouvoir dire que le combat qu’elle a mené a conduit à la victoire pour l’égalité, la liberté. Mais puisque ce n’est encore vrai, nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre ce combat et de passer le flambeau à celles qui, petites filles d’aujourd’hui, auront besoin, demain, d’armes pour résister au retour du conservatisme, de l’obscurantisme, de l’intégrisme et du libéralisme, tous prédateurs de l’égalité et de l’émancipation. Il nous faut, pour cela, d’abord ne pas perdre la mémoire de celles qui nous ont précédées.

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