Une femme défie tous les pronostics politiques, à gauche comme à droite, dans son propre camp comme chez ses adversaires. Elle nargue les faiseurs d’opinion, les analystes, les politicologues et les sondeurs. Mais, pourtant, elle n’est pas née de la dernière pluie. Depuis plus de vingt ans, elle trace sa route : ENA, conseillère à l’Elysée, députée en 1988, ministre de l’Environnement en 1992, ministre déléguée à l’enseignement scolaire en 1997 puis chargée de la Famille et de l’Enfance en 2000. Elle n’est donc ni novice, ni béotienne. Mais disons qu’elle restait dans les clous, sur le territoire dévolu le plus souvent aux femmes impliquées en politique. Ah, oui, c’est vrai, en plus, elle a gagné la Région Charentes Poitou contre Raffarin en 2004. Là on l’a applaudi bien fort. Ouf ! Une femme présidente de région, c’est chic !
Mais alors, pourquoi, malgré ce parcours de baroudeuse, la dame crée-t-elle la surprise, « fait irruption » (cf. médias et experts en tout genre) quand elle affirme, cet automne, ne pas exclure d’ambitionner d’être candidate à la candidature de la présidence de la République ? Pourquoi donc s’émeut-on, s’interroge-t-on aussi bruyamment ? Sans doute parce que les sondages s’envolent. De semaine en semaine. Et le dernier en date, mi-mars 2006, continue de faire grincer des dents à ses amis du parti socialiste. Imaginez vous que 64% des Français déclarent pouvoir voter pour elle. Mieux (ou pis, c’est selon), dans un second tour où elle affronterait Sarkozy, les scores d’afficheraient à 50-50. Ce qu’aucun des autres candidats de la gauche (plurielle ou pas) ne peut espérer réaliser. Bizarrement, au lieu de se réjouir de ces prévisions (qui valent évidemment ce que valent les sondages), les éléphants mâles barrissent, désespérés : enfin, elle n’a pas la carrure, ni la compétence pour une telle fonction, elle manque de conviction économique solide, elle est inculte en matière internationale. Figurez vous qu’elle serait même réac et coincée et autoritaire ! Certains de ses collègues ne parviennent pas à maîtriser leur indignation, braillant sans retenue « mais qui va garder les enfants ? ».
Le peuple, décidément idiot, va droit dans le mur en la plébiscitant. D’ailleurs c’est unanimement que les experts lisent dans le marc de café : elle ne tiendra pas la distance, c’est un engouement conjoncturel, elle retombera comme une crêpe. Les médias se lancent dans une croisade d’éducation populaire afin d’éclairer le lecteur et la lectrice. Ils mènent campagne d’ (dé)information. Quand la dame part soutenir la candidate socialiste, Michelle Bachelet, à la présidence du Chili les journaux « zooment » sur son style de chaussures ! Le Monde titre allègrement « la compagne de François Hollande », ouvre ses papiers en s’apitoyant sur le premier secrétaire du PS qui serait réduit à la fonction de prince consort. Mieux encore, les journalistes s’interrogent, inquiets : vont-ils décider « en couple » ou laisser le soin au parti de mener le débat sur la candidature à la présidence de la République ? Et ça continue. L’Express daté du 16 au 22 mars fait sa une sur le « couple 2007 » : elle et… Sarkozy Ils sont mis en scène sur le modèle des romans-photo des années 70. L’hebdomadaire titre « quel est le meilleur ? » (vous noterez le masculin). Les politologues, sociologues s’en donnent à cœur joie, cherchent à comprendre cet emballement subi du peuple pour cette empêcheuse de pronostiquer en rond. Parmi les théories exposées, l’une d’entre elles mérite une attention particulière : le mothering. La future éventuelle candidate, soucieuse d’inventer un nouveau modèle d’être en politique, fondé sur la co-intelligence, mettrait en œuvre le mothering, c’est-à-dire un processus de construction mutuelle de l’enfant et de la mère. Comme c’est le co-président d’Ispos qui l’écrit on peut le croire !
Compagne, prince consort, mothering, escarpins, etc. Vraiment, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs, ils ne savent plus quoi inventer pour nous convaincre que femme en politique n’est qu’anomalie, surtout si elle n’autocensure pas l’ambition de devenir la première. Première du pays. Première présidente de la République française. Et si le temps des femmes était enfin venu ? Finlande, Chili, Allemagne, Libéria : là, le peuple a fait le choix d’une présidente à sa tête. La France, qui n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1945, continuera-t-elle d’être machiste, sexiste, archaïque ? Il semblerait que citoyens et citoyennes aient la volonté de changer la représentation du pouvoir. Il reste aux tenants des institutions et des partis à accepter de se plier à ce désir nouveau.
Nota bene : Que les lectrices et lecteurs de cette humeur ne se méprennent pas : Les Pénélopes n’ont pas décidé de lancer une campagne de soutien à Ségolène Royal, dont nous ne préjugeons pas du programme politique ! Ce qui motive cette humeur est, vous l’aurez compris, la brutalité avec laquelle cette élue est traitée, par les médias comme par les politiques. Une illustration supplémentaire des combats qui restent à mener pour parvenir à l’égalité et à la parité !