Depuis le changement de régime survenu en 2000, le Sénégal affiche un taux de croissance de plus de 6,3%. Le pays a souscrit à l’AGOA [1] et son éligibilité au PPTE [2] lui a valu une réduction de plus de 800 milliards de dollars sur sa dette extérieure.
Toutefois au-delà de ces chiffres encourageants, le quotidien des sénégalais-es est loin d’être facile. En effet, près de 65% [3] de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins d’un dollar/jour. Corollairement à cela, l’accès aux services sociaux de base est encore un luxe pour la grande majorité de la population. L’eau, denrée rare et précieuse, manque cruellement en milieu rural comme en ville où elle demeure chère. L’électricité est également de plus en plus coûteuse malgré les nouveaux produits créés pour alléger les modes de paiements des couches sociales moyennes et pauvres. Le logement constitue l’autre casse-tête de la majorité des sénégalais-es qui se débattent avec des salaires leur permettant à peine de « boucler » les dépenses quotidiennes. Ainsi, en milieu urbain, les familles vivent dans une promiscuité de plus en plus aigue et avec des loyers qui croissent à une vitesse hallucinante. Partout, s’érigent des bâtiments qui respectent peu ou prou les normes de construction en vigueur, mais qu’importe puisque la demande est très forte. L’accès à la santé n’est guère plus facile. Malgré les nombreux efforts de l’état (près d’une centaine de dispensaires seront construits d’ici 2007 avec un coût global de 9,7 milliards de francs CFA [4]), les soins médicaux demeurent inaccessibles à une grande partie de la population.
Malgré les programmes de subvention des organismes internationaux (OMS, Banque mondiale entre autres), le coût des médicaments demeure encore élevé ce qui ne facilite en rien leur accessibilité. Il s’y ajoute la faiblesse des lits disponibles, de manière plus globale de matériaux médicaux et le manque de personnel médical(un médecin pour plus de 1000 personnes)...
Tout dernièrement la réapparition de l’épidémie de choléra vient augmenter la détresse des sénégalais-es. A la date du 07 avril 2005 plus de 4838 cas [5] ont été répertoriés dont 63 décès. La propagation de la maladie renseigne sur l’absence d’hygiène des masses accentuée par la promiscuité et le faible accès à l’eau.
Face à tous ces obstacles à une stabilité sociale durable, une recherche efficace de solution est urgente. Aujourd’hui il est évident que l’Etat ne peut plus faire face seul à cette demande sociale croissante. Parmi les solutions de l’heure, la micro finance est devenue à travers le monde la clé de voûte de la lutte contre la pauvreté.
la micro finance dans un contexte de pauvreté
Au Sénégal, les systèmes financiers décentralisés(SFD) ont connu leur réelle expansion dans les années 90. il s’agissait alors de trouver une solution pour faciliter l’accès au crédit des couches défavorisées voire très défavorisées. En effet, la majeure partie de la population est exclue des circuits bancaires classiques à cause des conditions de crédit souvent très lourdes(garanties allant de l’hypothèque sur maison, titres fonciers, biens matériels). Il faut ajouter à cela l’environnement de ces institutions, souvent « impressionnant » pour des couches analphabètes qui constituent 50% des sénégalais-es. Dans un tel contexte, les SFD constituaient un espoir pour ces exclus des banques, notamment pour les femmes, dont la faiblesse des revenus, l’absence d’éducation constituent de sérieux freins à l’accès au crédit. Au fil des années, les caisses mutualistes se sont multipliées dans le pays autant en milieu rural qu’urbain. Les conditions de crédit qu’elles proposent sont plus souples : possibilité de nantissement, caution solidaire, 6 mois de bail avant le remboursement d’un crédit, échelonnement des prêts entre 6 mois et 1 an etc. Ceci est important quand on sait les conditions difficiles que vivent les femmes, surtout en milieu rural, où sont concentré-e-s plus de 50% des pauvres du pays [6]. Au regard de l’engouement social suscité par ce circuit intermédiaire, l’Etat y a vu un vrai moyen d’impulser les activités génératrices de revenus et de créer des richesses à long terme. En 2002, le Ministère de la micro finance et de la PME/PMI a vu le jour avec comme mission principale de promouvoir ledit secteur. Dans la même lancée, le Fonds National de promotion de la Jeunesse(FNPJ) a été mis en place en avril 2005 afin de réduire ce qui est devenu un vrai casse-tête pour l’Etat : le chômage des jeunes. Après quatre années d’existence, près de 2378 projets d’un montant global de 6 milliards ont vu le jour et près de 12 408 emplois ont été créés [7]
Concernant les femmes, le Fonds de l’entreprenariat féminin a vu le jour en Décembre 2003 afin de permettre à cette couche défavorisée que constituent les femmes d’accéder à des prêts de manière avec des conditions particulières (caution solidaire, nantissement etc.).
Mais près de quinze années d’existence, quel bilan pourrait-on faire de la micro finance au Sénégal ?
Le Sénégal à l’heure du bilan
Comparé à des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin et de l’expérience totalisée ailleurs, les SFD sont apparus récemment. Toutefois, loin d’être un handicap, ceci montre le dynamisme dont ont fait montre les différents acteurs du secteur. En effet, des institutions financières se portent bien dans l’ensemble, et surtout, leur implantation à travers tout le pays s’est faite de manière fulgurante. Il est difficile de contenir l’engouement et l’espoir qu’elles suscitent. Concrètement, des personnes à faibles revenus ont pu bénéficier de crédit, mener des activités rentables et sortir peu à peu du cercle de la pauvreté. Néanmoins, le secteur a mûri. La recherche de viabilité financière tout en restant fidèle à la « mission » sociale a longtemps suscité des controverses. Force est de reconnaître que les grands réseaux mutualistes sont devenus de vraies banques avec comme conséquence majeure un alourdissement des garanties exigées (hypothèque sur maison, biens matériels tels des bijoux…). Certains grands réseaux comme le Crédit mutuel du Sénégal envisage même de former une banque à part entière. En zone urbaine, il se dessine une tendance générale qui favorise de plus en plus le macro au détriment du micro. La clientèle à faibles revenus devra de plus en plus recourir à des formes informelles de finance telles que les tontines. D’ailleurs, ces tontines n’ont jamais disparu du paysage financier sénégalais en particulier et africain en général. Il est impressionnant de voir les rapports complexes que les SFD et tontines entretiennent ; en effet ces dernières, loin d’avoir disparu, ont su se redéployer dans ces réseaux. De plus en plus, les femmes gardent la collecte de leur tontine dans les caisses mutuelles et dans certains cas puisent dans les fonds de ces « natt [8] » en dernier recours pour rembourser un crédit qui arrive à échéance.
La force de ces épargnes dites informelles réside dans leur souplesse mais aussi dans les causes sociales qui fondent leur création : solidarité, identification à un quartier, une confrérie, un métier ; tout un ensemble de logiques sociales complexes qui rappellent qu’en Afrique le comportement économique est un phénomène social « total ».
Aujourd’hui, la maturité du secteur se traduit par le financement des PME/PMI. « Ce dévoiement » d’objectif est porteur de sens pour les pays pauvres où la création de richesses est une priorité mais aussi où les circuits classiques sont frileux pour financer ces PME/PMI malgré leur sur liquidité ! Cependant, gérer une petite entreprise nécessite des conditions telles qu’une formation appropriée.
Micro Finance, PME/ PMI : le défi de la formation
Il convient de souligner qu’en dehors de ce secteur, la formation est aujourd’hui le grand défi de l’Afrique. Parmi les différentes fractures dont souffre l’Afrique(agricole, sociale) la fracture numérique est celle qui rend le mieux compte du retard dans la formation. A l’heure de la mondialisation, les savoirs deviennent obsolètes rapidement. Sur le plan économique, la gestion des compétences est importante pour rester compétitif. Le Sénégal a pris conscience de cet état de fait. Sur le plan de l’éducation, des solutions sont proposées afin que les formations soient plus en conformité avec les besoins réels du pays. Mais il reste beaucoup à faire.
Les petites et moyennes entreprises au Sénégal ont pour la plupart pris racine dans le secteur « informel ». Autrement dit, les acteurs/actrices sont très peu formé-e-s et maîtrisent très peu les règles de la gestion et les exigences de la conduite d’une entreprise. Cet état de fait limite beaucoup leur expansion. Ce déficit de formation se traduit dans l’établissement de dossiers de crédits peu bancables. Souvent, ils se soldent par des échecs au niveau des banques classiques et de certains réseaux mutualistes. Les idées ne manquent pas, elles sont même porteuses de créativité mais la difficulté réside dans la possibilité de les traduire dans un langage économique, proposer des business plans etc.
Il est évident que le problème est plus crucial chez les femmes. L’analphabétisme est plus important chez les femmes que chez les hommes [9]. En effet, s’il concerne globalement plus de 50% de la population sénégalaise, les femmes affichent un taux de 70% contre 48% pour les hommes. Cette quasi-absence de formation handicape doublement les femmes dans l’accès au crédit et dans la conduite de leurs entreprises.
Il devient une priorité de canaliser les acteurs de ces petites et moyennes entreprises vers des formations solides en gestion, comptabilité, et d’autres techniques importantes dans la vie d’une entreprise. Car il est évident qui si création d’une entreprise est relativement aisée, la maintenir viable est autrement plus difficile.
Conclusion
L’année internationale de la micro finance a été lancée en Mars 2005 et aujourd’hui le monde entier est tourné vers cet outil afin de réduire de manière significative la pauvreté. En Afrique, la promotion des PME/PMI est une des voies identifiées pour la création de richesses. Néanmoins, il faudrait que les acteurs/actrices de ce secteur soient mieux informé-e-s des exigences de la conduite d’une entreprise. Habitué-e-s à « gérer » de manière plus ou moins informelle, il leur faut une solide formation pour être compétiti-fs-ves sur le marché local, voire mondial. Néanmoins, il convient de retenir que le fait économique dans ce contexte est « total », par conséquent requiert une expertise économique mais reste imbriqué dans des logiques sociales souvent complexes dont il faut tenir compte. En ce qui concerne les femmes, le déficit de formation est plus criant malgré les nombreux efforts de l’Etat et des partenaires au développement. Il est opportun de mieux les organiser afin qu’elles puissent maximiser les résultats de leurs efforts et accéder à des revenus plus élevés. Grâce à la « discrimination positive »( caution solidaire, nantissement, prêts spécifiques femmes, subventions …) dont elles font l’objet, l’accès au crédit est aujourd’hui grandement facilité. Seulement, il ne suffit pas de disposer de fonds, il faut savoir quoi en faire, ce qui nous pousse à méditer ce proverbe wolof : "xam fi nga jem, mo genn mun waxu [10]."