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Khalida entre deux maux

jeudi 30 juin 2005, par Dominique Foufelle

Membre de la délégation sahraouie au Forum social méditerranéen (FSMed), Khalida Boulahi avait revêtu le voile traditionnel… Exceptionnellement, car cette jeune diplômée en informatique, devenue femme de ménage pour obtenir son permis de séjour en Espagne, le juge « incompatible avec la vie moderne ». Partisane de l’autonomie des femmes, elle peine cependant à se désolidariser totalement des intégristes.

« Le Sahara, un conflit oublié » - tel était l’intitulé d’un des multiples séminaires proposés par la délégation sahraouie, qui a fait entendre sa voix avec force lors du FSMed. Il résume la colère et l’amertume d’un peuple qui ne se sent pas soutenu dans sa lutte. « Nous aussi, nous avons notre mur, rappelle Khalida Boulahi. » Il empêche l’accès des sahraouis à la bande côtière, dont certain-es sont originaires. La plupart de celles et ceux qui n’ont pas émigré s’entassent désormais dans des camps de réfugié-es, sur la frontière entre le Maroc et l’Algérie.

Une société ouverte, mais…


Khalida Boulahi vit depuis un an à Barcelone. Arrivée en Algérie à l’âge de 12 ans, elle y est restée jusqu’à celui de 23 ans. Ce qui l’a convaincue que « la situation des femmes est meilleure au Sahara que dans les autres pays du monde arabe. La société est plus ouverte. Les femmes peuvent sortir librement. »
Il y a tout de même un bémol, reconnaît-elle. Durant les années de guerre, les hommes partis au front, les femmes ont acquis des habitudes d’autonomie. Mais, les accords de paix signés et les hommes revenus, il s’est produit un phénomène qu’elle compare avec la situation en France après la Première guerre mondiale : « On les a priées de retourner à la maison. »
A Barcelone, personne ne contraint Khalida Boulahi à porter le voile. « Mais quand je retourne au pays, je le mets. C’est obligatoire pour toutes les femmes de plus de 18 ans. » Qu’en pense-t-elle ? Pragmatique, elle considère ce vêtement comme « incompatible avec la vie moderne. Pour travailler, ça n’est pas pratique. Il y a des choses que vous ne pouvez pas faire avec un voile. »

Profession : esclave

Arrivée en Espagne avec un diplôme en informatique acquis en Algérie, Khalida Boulahi n’a pu le faire valoir car il n’y est pas reconnu. Elle n’avait pas de papiers. Pour obtenir son permis de séjour, elle a pris l’unique travail qui s’offrait à elle : employée de maison. « Les hommes ont plus de choix. Ils peuvent travailler dans l’agriculture ou le bâtiment, où ils sont mieux payés. Mais pour nous, il n’y a que ça. »
La loi espagnole exige que le/la candidat-e à la régularisation occupe six mois d’affilée le même emploi ; l’avis de l’employeur figure dans le dossier. Autant dire que celui-ci détient un pouvoir exorbitant, dont rien ni personne ne l’empêche d’abuser. Khalida Boulahi a travaillé dans deux familles : un médecin qui lui faisait cumuler l’entretien de la maison et celui du cabinet pour un seul salaire, puis des retraités qui la surexploitaient pour 600 € par mois. Elle a tenu bon et obtenu ses papiers. Elle a fait une demande d’équivalence de son diplôme et espère que, moyennant une année supplémentaire d’études, elle pourra enfin exercer sa profession.

Le monde arabe avant tout


Si elle déplore le manque de solidarité des jeunes Arabes avec les Sahraoui-es, Khalida Boulahi souligne une meilleure communication : « Les jeunes du Sahara apprennent l’arabe à l’école [1]. J’ai des amies marocaines ; ma mère n’en avait pas. »
Elle appelle de ses vœux l’unification du monde arabe. Optimiste, elle estime que la démocratie gagne du terrain parmi la jeunesse du Maghreb. Certes, mais le monde arabe ne se résume pas au Maghreb. Ne craint-elle pas l’arrivée au pouvoir des intégristes ? Non, elle croit que les aspirations à la démocratie sont assez fortes pour l’emporter. Du moins, elle l’espère. « Je ne suis pas intégriste. Mais j’ai eu envie d’aider les intégristes contre les Etats-Unis à cause de l’Irak », finit-elle par lâcher, tout en avouant ne pas leur faire confiance pour respecter ses droits. Qu’une jeune femme aussi paisible et amicale puisse envisager de soutenir des partisans de la violence, au prix de sa propre liberté, voilà qui donne la chair de poule.

P.-S.

Dominique Foufelle - 21 juin 2005

Notes

[1] Les Sahraoui-es parlent l’hassanya, un dialecte proche de l’arabe, enrichi d’apports divers.

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