A l’issue d’un débat dont les un-e-s et les autres s’accordent à louer la qualité, avec une participation importante au scrutin, nous avons donc rejeté un texte mal écrit et prônant une société fortement teintée de libéralisme, texte que l’on eût aimé nous faire adopter comme constitution européenne. Pourtant, le non était mal parti, tant la propagande des ouistes avait démarré avec les gros moyens. Rappelez-vous : le rouleau compresseur du oui avait si implacablement aplati les médias, qu’il a fallu un bon moment et beaucoup d’indignation pour que l’on commence à entendre le non, en particulier le non de gauche, celui qui ne rejette pas l’Europe, et qui, justement, a permis la haute « qualité du débat » que le monde nous envie. Il faut croire, pourtant, que cette qualité-là n’est pas spontanée sous nos latitudes, car à peine le référendum passé, les brillants analystes – les politiques comme les journalistes – qui nous expliquaient auparavant quelle « connerie » [1] ce serait de voter non, dissertent maintenant sur les « forces hostiles à l’élargissement », le « rejet du gouvernement » la crainte du plombier polonais ou de l’islamiste turc ou que sais-je encore….
Si l’on revenait à un « débat de qualité », on se demanderait peut-être ce qui a été refusé dans ce traité constitutionnel. Pas par les souverainistes façon messieurs Villiers ou Le Pen, eux rejettent l’Europe politique, de toutes façons. On se demanderait si derrière le non il n’y aurait pas la volonté que la politique reprenne le pas sur l’économie, sur le tout-puissant marché, sur la compétition libre et non faussée. Parmi les presque 55% qui se sont exprimé-e-s contre ce texte, il y a aussi le « peuple de gauche » [2], il y a beaucoup d’ouvrier-e-s, d’employé-e-s, de sans-emploi, de gagne-petit ou moyen, tous ceux et celles qui ont bien compris que les effets du traité les menaçaient à court ou moyen terme. Ceux et celles qui ne font pas partie des bénéficiaires du libéralisme mais qui en subissent les effets néfastes. Parce qu’il n’y a pas besoin d’habiter un pays du tiers-monde pour ressentir (même si c’est nettement moins dur ici) la violence structurelle qui est la conséquence du libéralisme, violence subie par les laissés pour compte. Les citoyen-ne-s qui ont dit non ne voient dans le modèle de société proposé par le traité constitutionnel aucun espoir, aucune alternative à une société violente, qu’illustre l’ambiance de guérilla qui a régné à Perpignan le soir du référendum.
Des expériences déjà anciennes l’ont montré : stressez et maltraitez de façon répétitive deux animaux de laboratoire puis mettez les ensemble, ils se battront immanquablement. Ça ne résoudra pas leurs problèmes mais l’animal est ainsi, la violence subie ressort. L’humain est parfois un animal capable d’autre chose que de se plier à la nature, capable, par exemple, d’un « débat de qualité ». Encore faut-il que ce débat puisse avoir lieu, cela ne se fera pas tout seul, les ouistes s’accrochent à leur texte comme si c’était ça ou le néant.
Mr. Barroso, président de la Commission Européenne, a déjà averti qu’il n’y aurait pas de re-négociation. On fait quoi, alors ? Pour commencer, on continue à dire non, en tout cas pour celles et ceux qui en ont la possibilité : aux Pays-bas, au Danemark, en Irlande, au Luxembourg, en Pologne, au Portugal, en République Tchèque et au Royaume-Uni - si Mr Blair ne change pas d’avis - . Ailleurs, on a dit ou on dira oui pour vous !
Faire entendre la voix du non est la première étape, la prochaine sera de sortir d’un type de société qui nous asservit.