C’est la scène consacrée pour l’impuissance masculine, la panne sexuelle qui fait rire et vise à ridiculiser le mâle, ou qui le fragilise dans une comédie romantique. Car Monsieur doit assurer, pas question d’avoir des hésitations, des défauts d’érection, des absences. Le pénis non performant n’est pas le bienvenu dans le lit conjugal ou l’étreinte d’une nuit. Et si, par malheur, cela devait arriver, l’homme doit le prendre comme une défaite extrêmement grave, une remise en cause de sa masculinité, une descente aux enfers de l’impuissance… A l’ère du Viagra et autres adjuvants chimiques, l’impuissance est d’autant plus inacceptable, bien qu’elle devienne plus visible, ainsi qu’en témoigne l’augmentation des consultations médicales pour impuissance sexuelle. La petite pilule magique, c’est celle qui restaure les choses dans leur état normal et fait des hommes ce qu’ils doivent être : des bombes sexuelles, toujours prêtes au coït ! Plus d’excuse désormais ! De la vigueur Messieurs, de la vigueur !
Pas question toutefois que la femme exige quoi que ce soit en termes de performances de son conjoint. Lorsque la panne survient, elle doit se montrer compatissante, tolérante et pardonner ce défaut passager. Accepter aussi le sous-entendu accusateur qui apparaît dans le « Mais, non ma chérie, cela n’a rien à voir avec toi ! » et se ronger de culpabilité : n’est-ce pas forcément sa faute si l’homme n’a pas de désir pour elle ? Aurait-elle oublié de s’épiler le maillot ? Son traitement anti-cellulite ne serait-il pas assez efficace ? Doit-elle reprendre son régime ? Ses seins tombent-ils ?
Quelle autre réaction que la compassion et la culpabilité pourrait-elle avoir devant la bite molle de son conjoint ? Revendiquer qu’on satisfasse son propre désir ? Mais en a-t-elle seulement du désir ? Outre le désir de permettre au mâle d’étancher le sien ? C’est ce qui explique sa volonté de pardonner le manque de vigueur de son partenaire, et la pauvreté des représentations de la panne sexuelle féminine. Car pour qu’il y ait panne, encore faudrait-il qu’il y ait une mécanique à faire fonctionner. Chez l’homme on voit bien la mécanique, celle qui consiste à faire bander le membre. Mais chez la femme, de quoi pourrait-il s’agir ? L’on sait que la femme n’a rien à faire d’autre qu’écarter les jambes, non ? La seule faute que la femme peut commettre dans le rapport sexuel est de le refuser. La bonne vieille migraine cache élégamment son éventuelle absence d’envie, rien de mécanique à cela, bien au contraire. La migraine renvoie à l’intellect, à la psychologie et à ces étranges maux féminins. Rare ici que l’homme pardonne ou tolère. La scène de la migraine souligne souvent la mauvaise volonté de l’épouse d’accomplir un devoir conjugal somme toute bien nécessaire, et le mari n’a pas tort d’en être exaspéré.
Représenter ainsi les pannes sexuelles de l’un et l’autre sexe, c’est bien entendu perpétuer dans l’imaginaire collectif le côté actif et mécanique de l’homme dans la sexualité, et le rôle passif et accueillant de la femme. Que l’homme bande mou est une faute impardonnable, mais seulement pour lui-même et toute la gente masculine. La femme ne peut toutefois s’en plaindre ; l’absence prétendue de sa sexualité lui refuse toute revendication sur ce point. Elle n’est que le territoire, l’objet sur lequel l’homme doit prouver sa vigueur. La performance que l’homme doit assurer, ce n’est pas à l’égard des femmes, c’est à l’égard de ses congénères masculins. Une bite viendrait-elle à flancher, ce serait toute la puissance masculine dont on pourrait douter…
C’est aussi rendre invisible le désir des femmes et les conditions physiologiques de celui-ci. Verra-t-on un jour sur nos écrans une femme s’excuser auprès de son partenaire de ne pas arriver à mouiller suffisamment ? Se plaindre que son clitoris ne bande pas assez ? De ne pas parvenir à jouir ? Quand on montrera toutes ces mécaniques de la sexualité féminine et leurs pannes possibles, la cause des femmes aura avancé d’un grand pas.
Déjà des parodies de cette fameuse scène de l’impuissance partent à l’assaut de cette représentation. Dans la série télévisée américaine Ellen, dans le fameux épisode où Ellen se révèle lesbienne, effrayée par cette conscience soudaine, Ellen se raccroche à l’homme présent et tente de se prouver une dernière fois qu’elle est bien hétérosexuelle. C’est l’échec sur toute la ligne et Ellen, assise au bout du lit, la tête entre les mains répète le refrain bien connu : « je ne sais pas ce qui m’arrive, c’est la première fois… ». Mais, en réalité, ce n’est pas son désir de femme qu’elle ne parvient pas à faire bander, c’est la mécanique de la relation hétérosexuelle elle-même. C’est tout de même joli que pour la déclarer lesbienne, il faille d’abord la reconnaître femme active dans une relation sexuelle !
Autre parodie, celle d’une autre série américaine lesbienne, the L-Word. Les lectrices fidèles du Scum Grrrls reconnaîtront cette série récente dont nous avons déjà parlé, qui représente des lesbiennes fortunées et sacrément lipstick de Los Angeles. L-Word ne vaut que pour une scène : une des héroïnes passe sa première nuit avec sa nouvelle copine. On la voit assise sur le lit, morte de honte, la tête entre les mains, répétant « je ne sais pas ce qui m’arrive, c’est la première fois, je t’assure » et la copine de la consoler en l’assurant que ce n’est vraiment pas grave… Serait-ce simplement la déclinaison lesbienne de la scène de la panne sexuelle ? Déjà la public rit, à la seule évocation de la situation archiconnue…. Mais le plan qui suit montre la lesbienne « en panne » au café, entourée de quelques amies. Elle a encore tellement honte qu’elle ne parvient même pas à leur expliquer ce qui s’est passé, jusqu’à ce que, pressée de questions, elle chuchote à l’oreille de l’une d’elles ce qui s’est réellement passé. Et celle-ci de s’écrier : « quoi ? tu as éjaculé ! mais il n’y a vraiment pas de quoi avoir honte ! Toutes les femmes rêvent de cela ! Quelle chance tu as eue ! ». On ne pouvait espérer mieux comme subversion de la scène hétéro classique ! De l’invisibilité de l’activité sexuelle des femmes, on est passé à l’éjaculation comme action physiologique normale et enviée. Allez, on retire un peu toutes nos critiques de L-Word…
Et que dire de la représentation classique de la panne sexuelle chez les lesbiennes, le fameux Lesbian Bed Death ! Ou la mort du lit lesbien (un nom sympathique, n’est-ce pas ?). Révélé par une étude scientifique de 1983, le Lesbian Bed Death serait la conséquence normale de quelques années de couple lesbien. Plus de désir, plus de rapports sexuels attendraient les lesbiennes en couple, au terme de quelques années seulement… Le phénomène est souvent décrié mais il s’installe dans la communauté lesbienne comme le résultat inéluctable d’une sexualité déjà fort précaire. Que peuvent bien faire deux femmes ensemble se demandent beaucoup ? Faut-il s’étonner qu’après plusieurs années, cette sexualité forcément plus faible que dans un couple hétérosexuel (mais si, rappelez-vous, il n’y a pas de pénis, donc pas de sexualité !) s’émousse et que ces deux femmes, toutes lesbiennes qu’elles soient, en reviennent à une simple relation de copines fort innocente ? Bien sûr d’autres études nuancent cette « panne » annoncée dans les couples lesbiens ou la décèlent chez des gays ou des hétéros également. Certains spécialistes en ont aussi trouvé les causes dans les images de leur propre sexualité que la société renvoie aux femmes et aux lesbiennes : à sexualité invisible ou niée, comment s’étonner que, par une sorte d’homophobie et de sexisme intériorisés, réponde un désir de réduire sa sexualité ou de lui accorder moins de place dans le couple ? Certains scientifiques ont aussi démontré que les questions posées dans les enquêtes concluant au Lesbian Bed Death impliquaient une représentation hétérocentrée de la sexualité et de la performance sexuelle qui négligeaient tout un pan des actes sexuels lesbiens. En tenant compte de ceux-ci, les études prouvent, que loin de se raréfier avec le temps, le sexe chez les lesbiennes est plus riche et plus satisfaisant que dans de nombreux couples hétéros.
Le mythe de la panne sexuelle lesbienne annoncée a en tout cas la vie dure et permet de fournir une vision pathologique de la sexualité entre femmes, dans la société mais aussi dans la communauté lesbienne elle-même. Même le terme est effrayant, il y a mort dedans. Et puis il réduit la sexualité lesbienne à leur lit, d’une part (on ne baise quand même pas qu’au lit) et à leur couple d’autre part (et le polyamour alors ? et l’amour à trois ?).
Et que penser de l’image populaire de la promiscuité sexuelle des gays, de leurs multiples partenaires et de leur désir sexuel qui ne semble pas avoir de limites ? Les homos masculins portent une représentation de sexuellement très actifs et les femmes homos, celle d’une non-sexualité, étonnant non ? C’est le symbole de la panne sexuelle qui se répercute dans la sexualité homosexuelle, avec ses clichés, ses fantasmes et ses stéréotypes sexistes.
Ne ferait-on pas mieux d’aller voir ce qui se passe dans les chambres à coucher ? Ce qui s’y passe réellement ? Cela permettrait probablement de dédramatiser les pannes sexuelles, féminines et masculines, hétéros et homos, occasionnelles ou résultant d’une longue relation. Il faudrait en tout cas rendre plus visible la sexualité des femmes, lesbiennes ou non, et surtout la représenter comme une sexualité active, qui implique du désir, des actions, des réactions, ce qui nécessitera probablement qu’on admette aussi la panne sexuelle chez la femme. Mais au moins, il s’agira d’une vraie panne, et pas uniquement d’une réaction ennuyée à la panne de l’autre.
Plus d’infos sur le Lesbian Bed Death : http://www.pinklemonz.com/articles/bed_death.htm
Article publié dans le n° 7 de Scum grrrls, semestriel féministe trilingue (français, anglais, néerlandais).
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