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Je suis femme, je suis féministe.
Je vote "Non" au projet de constitution européenne.

samedi 30 avril 2005, par Dominique Foufelle

X. J’ai cherché à savoir dans quelle mesure le vocabulaire employé prenait en compte les femmes.
Voici ce que j’ai relevé. J’ai lu cités :

- « citoyens » (Art.I-1, I-45, 46, intitulé :« Principe de la démocratie représentative »,47, intitulé : « Principe de la démocratie participative », I-50, II-99,100,102,103,104,105,106, III-125,126 127, 334

- « habitants » (Préambule)

- « ressortissant » (ArtI-26, ArtI-31, III-133)

- « Jeunes européens » (Art.III-321)

- « consommateurs » (Art.I-14.2, II-98, III-120,172), « consommateur individuel » (Art.III.167)

- « chefs d’Etat » (ArtI-21, ), et « Président » (Art.1-21,22,25, III348) :
* « du Parlement européen » (Art. I-39)
* « du Conseil » (Art. I -39),
* « du Conseil européen » (Art.III-295)
* « de la Cour de Justice » (Art.III-355)
* « du Tribunal » (Art. III-356)

- « le ministre » (Art.I-26,27,28…), « le ministre des affaires étrangères » (Art.III-293), le « secrétaire général » (Art.III-344), le « représentant permanent » (Art.III-344), « le candidat » (Art.I.27), le « juge », « l’avocat général » , « les avocats généraux » (Art.1-29, III-355), « le négociateur » (Art.III-325), « le Chef de l’équipe » (Ibid.), « le médiateur européen » (Art I-49, III-335)

- « les employeurs », « les salariés » et « autre acteurs représentatifs de la société civile ». (Art.I-32)

- « les travailleurs et leurs représentants » (Art.II.87), « le travailleur »(Art. II-90, 91, III-133, 134 (3 fois cités), 136), « les jeunes travailleurs » (Art.III-135), « les travailleurs migrants, salariés ou non salariés » , (Art III. 136), « le travailleur salarié ». (Art.III-138, 172). Enfin, il est une fois évoqué les « travailleurs féminins et masculins »(Art.III-214), le terme générique, étant, là encore, toujours masculin.

- Et, enfin - la liste n’étant pas exhaustive – « représentants » (Art. I-23, 24 32, 44), « membre » (Art. I-59, III-355), « agents » (Art.III-372), « agents nationaux compétents » ( Art. III-273) ….
Je constate qu’aucune fonction, aucun qualificatif, aucune référence, aucun poste, aucun statut, ne peut être considéré-e dans ce projet, comme concernant aussi les femmes.
Il n’est pas utile d’insister sur la dimension exclusivement masculine, patriarcale, machiste et donc non universelle des termes employés dans ce texte.

XI. J’ai cherché ce que signifiait « l’égalité entre femmes et hommes ».
Il importe, là encore, de procéder à une analyse précise. Par ordre de référence aux articles.

1) Dans le « Préambule » du projet de constitution, je constate que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas citée ; seul le mot « égalité » - en soi, sans plus de précision - est lisible.
J’en déduis qu’en tant que femme - même par rapport à un homme - je n’ai pas de place reconnue dans et par l’Union. Plus encore, que l’emploi deux termes, celui d’« habitants » et de « citoyens », tous deux au seul masculin, m’en exclue formellement.

2) Dans la « Définition et objectifs de l’Union », je lis dans l’article consacrée aux « valeurs de l’Union » (Art.I-2) :

- « L’Union est fondée sur les valeurs [….] d’égalité » [ ….].

- « Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par [ ….] l’égalité entre les femmes et les hommes » (cité par ailleurs en dernier lieu, et notamment après la « non discrimination »).
Je constate que l’Union n’est pas fondée sur les « valeurs » de « l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Je constate que l’Union se contente de considérer que la dite « égalité » est simplement considérée comme « caractéris [ant] les « société [s] » de l’Union.
J’en déduis que l’ « égalité entre les femmes et les hommes » ne fait pas partie des « valeurs » européennes.

3) Dans l’article I-45 qui concerne le « principe d’égalité démocratique » [de l’Union], je constate qu’il n’est question que d’« égalité des citoyens ».
Je déduis que pour l’Union européenne, les citoyennes n’existent pas.

4) Dans l’article I-3 qui concerne « les objectifs de l’Union », je lis au 3 ème paragraphe, que l’Union [ ….] « promeut […] l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Je constate que l’Union ne défend pas le principe même de l’égalité entre les femmes et les hommes, puisque « promouvoir » signifie : « élever à une dignité, à un grade supérieur » et « encourager (qqch .), provoquer la création, l’essor de ». (Le Littré)

5) Je lis que, dans le « Préambule » de « la Charte des droits fondamentaux », à nouveau, que le mot « égalité » est, seul, cité.
J’en déduis que l’analyse évoquée concernant le « Préambule » de la Constitution est confirmé.

6) Dans le titre III - de la partie II - consacré à « l’Egalité », je lis :

- Art. II-80 : « Toutes les personnes sont égales en droit ».

- Art II- 83. « L’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération.
Le principe de l’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté »
.
Je constate que l’« égalité des personnes en droit » - phrase sibylline s’il en fut - est affirmée alors même que les « Préambules » ne font pas référence à « l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Je constate que l’ « égalité entre les femmes et les hommes » ne relève pas explicitement du domaine de l’« égal[ité] en droit ».
Je constate que l’« égalité entre les femmes et les hommes » à laquelle il est fait référence à l’Art. II -83 (soit, après 82 autres articles) est simplement posée, sans plus de précision, comme devant « être assurée ».
Je constate qu’immédiatement après, des mesures dérogatoires - extrêmement floues par ailleurs - à cette affirmation sont posées.
Je constate que la référence explicite à « l’emploi, au travail et à la rémunération », peut aussi être considérée comme affaiblissant ce principe dans d’autres domaines.
J’en déduis que tout est fait pour vider de signification, de valeur, de portée et de projet juridique, politique « l’égalité entre les femmes et les hommes ». Et créer de la confusion.

7) Dans la partie III - consacrée aux « politiques et [au] fonctionnement de l’Union », je lis l’article III-116 : « Pour toutes les actions visées à la présente partie, l’Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Je constate, en sus de la critique déjà évoquée du terme « promouvoir », que l’expression : « chercher à éliminer » n’engage l’Union à rien. Et qu’en outre, ces termes ne concernent que les « actions visées » dans la partie III du texte, sus évoquée.

8) Toujours dans la partie III, je lis l’article III-214 : « Chaque Etat membre assure l’application du principe d’égalité des salaires entre travailleurs féminins et masculins et pour un même travail ou un travail de même valeur ».
Je constate qu’assurer l’« application d’un principe » n’implique aucune obligation concrète.
Je constate que dans ce même article, il est fait référence à équivalence de statut à « l’égalité des chances » et à « l’égalité de traitement » « entre les femmes et les hommes », alors que ces deux termes non seulement ne sont pas entre eux équivalents, mais en outre tous deux s’opposent à la notion d’« égalité en droit ». Et a fortiori d’ « égalité des droits ».
Je constate enfin que les critiques déjà explicitées s’appliquent à l’identique aux paragraphes 3 et 4 de cet article.
Au terme de cette présentation des articles concernant l’égalité entre femmes et hommes, je conclus que l’analyse faite par certain-es présentant comme un symbole positif, le fait que tout au long du texte de la Constitution européenne, les références à l’égalité femmes-hommes soient mentionnées sous l’appellation « égalité entre les femmes et les hommes », alors que le Traité établissant la Communauté européenne, parlait d’« égalité entre les hommes et les femmes » paraît, dans le contexte, dérisoire.

XII. J’ai enfin cherché ce que signifiait « la discrimination ».
1) Je constate que le premier article qui concerne la « non-discrimination » concerne « l’interdi[ction] de « toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». (Art.I-4) Et que cette interdiction est réitérée une seconde fois - à l’identique - dans l’article II-81, consacré à la « non discrimination ».

2) Je constate que l’article II-83 - le seul qui concerne l’« égalité entre femmes et hommes » - vient après l’article consacré à la « non-discrimination ».
J’en déduis que l’« égalité entre les femmes et les hommes » est moins importante, et pourrait même être une sous-rubrique du concept de « discrimination ».

3) Je constate que l’article II-83 consacré à la « non discrimination » affirme : « Est interdit toute discrimination fondée, notamment sur le sexe […] ou l’orientation sexuelle ».
Je constate qu’une interdiction est posée, mais que les moyens posés pour les combattre ne sont pas évoqués. Et je rappelle que les procès concernant les discriminations exigent tant de conditions préalables qu’ils sont extrêmement peu nombreux.
Je rappelle aussi que la référence au « sexe » ne concerne pas plus les femmes que les hommes et que « l’orientation sexuelle » ne veut rien dire [5].

4) Je lis l’article III-118 : « Dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions visées à la présente partie, l’Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe [….] ou l’orientation sexuelle ».
Je constate que l’« interdi [ction] » posée à l’article II-83 perd sa signification et sa valeur, puisque dans cet article, il n’est plus question que de « chercher à combattre ».
Là encore, cette expression n’implique aucun engagement.

5) Je lis l’article III-124 : « Sans préjudice des autres dispositions de la Constitution et dans les limites des compétences que celle-ci attribue à l’Union, une loi ou une loi cadre européenne du Conseil peut établir les mesures nécessaires pour combattre toute discrimination fondée sur le sexe […] ou l’orientation sexuelle ».
Je constate que les engagements diminuent encore ; il n’est en effet plus question que de « pouvoir établir les mesures nécessaires ». Plus encore, il est explicitement affirmé dans cet article que dans ces cas, « le Conseil statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen ».
J’en conclus qu’en sus de toutes les confusions relevées, ce projet de texte - qui ne reconnaît aucun droit aux femmes - ne peut en toute logique reconnaître de fondement au principe de l’égalité entre les hommes et les femmes.
J’en conclus qu’à ces titres, penser - dans les limites évoquées - que la lutte contre les discriminations puisse être un outil dont les femmes pourraient se servir - relève du leurre.
En tout état de cause, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes est lui-même un leurre.

XII. J’ai cherché à savoir si l’Europe avait un quelconque avenir féministe.
J’ai cherché la référence aux luttes de femmes, à leurs apports à l’histoire, au droit, à la politique, à la paix, aux multiples combats féministes, je n’ai pas lu aucun de ces mots écrits et je n’ai trouvé aucun de ces termes.
J’en déduis que l’article I-47 qui affirme : « Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile » risque fort d’exclure les associations féministes du champ du dit « dialogue ».
J’en déduis que les avancées des féministes, les critiques que les féministes font au monde, aux hommes, à la politique, risquaient fort de n’avoir plus lieu d’être, que les valeurs féministes n’étaient pas considérées comme des « valeurs de l’Union », et donc qu’elles ne feraient pas non plus partie de son futur.
J’en déduis que la domination masculine avait de beaux jours devant elle. Et qu’elle n’avait plus grand-chose à craindre.
J’en conclus que tout ce qui, pour moi, est politiquement essentiel [6] n’existe pas dans ce texte.

Pourquoi devrais-je soutenir une Europe qui sacrifient les femmes sans état d’âme ?
Pire - pour la grande majorité sans doute de ses rédacteurs, comme de ses critiques - sans même conscience de les sacrifier.

Je vote « Non » le 29 mai.
Sans l’ombre d’une hésitation.

P.-S.

Marie-Victoire Louis - 10 avril 2005

Notes

[5] Cf. Marilyn Baldeck, Catherine Le Magueresse, Marie -Victoire Louis, « Le projet de loi du gouvernement Raffarin « relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe » est indéfendable. 30 septembre 2004, modifiée le 26 novembre 2004.

[6] En conclusion, je souhaite ajouter certaines autres dimensions de ce projet - qui n’entrent pas dans le champ strictement délimité de ce texte, parmi bien d’autres, particulièrement inacceptables :

- L’absence du mot : « chômage » et donc d’ « indemnité chômage »  ;

- La référence à la notion de « prévention de la menacé terroriste » ( Art.I-43), à la « lutte contre le terrorisme » , non défini par ailleurs. (Art.III-309) ;

- La dimension colonialiste de l’article III-286, qui affirme « conduire au développement économique, social et culturels qu’ils attendent » les pays et territoires non européens d’Outre-mer (Art.III-286), renommés « pays et territoires »  ;

- L’affirmation d’une coopération « structurée permanente » en matière militaire, dans le cadre d’un projet affirmé de « d’amélioration [ …des ] capacité militaires ». (Art. I-41 et III-312) ;

- Le droit conféré à « l’Union » qui « possède la capacité la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales » d’ « acquérir ou d’aliéner des biens immobiliers et ester en justice ». (Art.III-426)

- L’assimilation de statut de la « santé publique » et de la « culture » et de l’« éducation, jeunesse, sport et formation professionnelle » à l’« industrie » et au « tourisme », dans le chapitre V consacré aux « domaines où l’Union peut décider de mener une action d’appui, de coordination ou de complément ». - L’assimilation de statut de la « santé publique » et de la « culture » et de l’ « éducation, jeunesse, sport et formation professionnelle » à l’ « industrie » et au « tourisme », dans le chapitre V consacré aux « domaines où l’Union peut décider de mener une action d’appui, de coordination ou de complément ».
- La déclaration : « L’Europe facilite l’accès à la justice » (Art. III-257) et ce, en outre, ne concernant nommément que « le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires ».

- La déclaration : [ …] « sont incompatible avec le marché intérieur […] les aides accordées par les Etats membres ou au moyen de ressources d’Etat, sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » . (Art. III-167) Plus article III- 161.

- La déclaration : « Les Etats -membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services […] » (Art. III-148) qui sonne en principe le glas de la notion même de « service public », le terme lui-même, n’étant pas cité. Par ailleurs, cet article détruit les analyses de ceux et celles qui considèrent que la directive Bolkenstein ne fait pas partie du projet de constitution.

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