Nous partons à la rencontre de l’association Sigi Diya à Baguineda, (30 km de Bamako).
A notre arrivée, des femmes impriment des motifs sur des vêtements à la teinture végétale, devant la maison de la secrétaire de l’association, Assitan. Un bâtiment, leur futur local, vient d’être construit en face, il ne reste qu’à clore le terrain pour emménager. En attendant, les machines à coudre et autre matériel envahissent le salon d’Assitan.
Aujourd’hui est prévue une séance de production de confiture de mangues. Emilie est très intéressée et pense que cette activité est tout à fait transposable au Bénin. Autour des bassines de fruits, pendant qu’on lave, pèle et coupe, on fait connaissance, on échange, on prend des notes. Ne pas prendre des mangues trop mûres, on ne peut pas les peler facilement.
Emilie raconte comment est né le cercle. Quelques femmes participaient à des cours du soir animés par des étudiants de l’université du bénin. Elles ont été obligées d’arrêter car elles ne pouvaient pas payer la petite participation demandée en fin de mois. Les animateurs leur ont conseillé de se grouper pour mettre leur argent en commun, pour épargner un peu dès que possible et faire des crédits si besoin. Le principe est né. En 1996 un premier groupement est créé. Aujourd’hui le CADD compte plus de 40 groupements, soit plus de 4000 femmes.
Comment font les femmes de Sigi Diya pour faire des crédits ? Elles utilisent les services d’un organisme de microfinance, il y en a beaucoup au Mali. Mais les intérêts sont élevés, 12% tous les 4 mois (environ 40% annuel). "Au Bénin aussi les taux sont importants, 3 à 4 % par mois, c’est de l’usure, beaucoup d’organismes dépassent le seuil légal des 27% annuels. Et les pénalités sont énormes, 3000f (cfa) par jour de retard. Dans les groupements, les taux sont de 1,5% / mois, et les intérêts retournent dans le fond de caisse." En plus, ces banques demandent des garanties : papier d’achat d’une moto ou d’une voiture, permis d’habitation. Comment faire quand on n’a rien de tout cela ? Les femmes pauvres n’ont pas d’accès au crédit.
La métamorphose d’Emilie
Emilie conseille : "Vous devriez créer votre groupement d’épargne et crédit, c’est très facile et ça marchera". Et elle raconte la création d’un nouveau groupement en novembre dernier. Au départ, 20 femmes cotisent 1000 f, plus 100f d’adhésion, et 100f pour un carnet. Elles ont ouvert un compte, décidé d’une réunion hebdomadaire. Il a fallu régler le problème des retards, d’autant plus gênants que les réunions se font aux domiciles des femmes. Il a été décidé collectivement de faire payer 50f par retard et 100f par absence non justifiée. En 2 semaines, tout le monde était à l’heure. Au bout de 6 mois, l’argent épargné permettait de faire les premiers crédits. En ville, ils servent surtout à l’achat de marchandises pour le commerce.
L’attention des femmes est générale, et l’intérêt d’un tel système par rapport aux banques semble évident. "On se rend compte qu’on travaille pour ces gens". Beaucoup de conseils suivent : comment fixer les cotisations, les rythmes de remboursements, comment gérer les retards. Emilie continue de prendre des notes sur la recette de confiture, les prix d’achat des bocaux, des mangues, leur prix de vente. C’est la 2ème fois que les femmes de Sigi Diya fabriquent des confitures. La première fournée n’a pas rapporté de bénéfices car beaucoup de pots ont été offerts pour la promotion. "Ce n’est pas grave si vous ne gagnez pas d’argent. Vous êtes ensemble, et c’est important. Vos filles vous voient et plus tard elles se réuniront comme leurs mamans et feront des choses ensemble".
Sur notre demande, Emilie raconte avec humour comment elle est devenue présidente, elle qui a arrêté les études avant le brevet. Elle est repérée pour son caractère liant et joyeux, mais quand on voulait la désigner à des postes, elle se cachait en disant pas moi, pas moi. Elle commence comme secrétaire de l’UFAD. "Maintenant j’ai pris beaucoup d’assurance, parler devant les gens n’est plus un problème". Rires et admiration. La confiance des autres femmes du CCAD est venue lorsqu’en tant que présidente, elle, une chrétienne, a refusé une forme de main mise de l’église. Les musulmanes, et les autres, ont eu la preuve que l’intérêt collectif passait avant les siens.
On cause encore beaucoup, et on se quitte avant que la confiture ne mijote. Assitan présente sa fille, "ma benjamine", la cinquième, la dernière ? "Oui, cinq ça suffit, maintenant je veux voyager."