Ah... Enfin le soleil nous tente au dehors ! Le printemps nous invite à prendre l’air, parfois l’huissier s’en mêle un peu aussi. C’est une tradition de saison... douce France, doux pays de mon enfance... La trêve hivernale est rompue, la guerre anti-pauvres va pouvoir redoubler ! Mais le précaire aviné transportant son histoire en titubant sur le trottoir a subi un relooking de choc : il s’est mué, comme dans les contes, en une douce jeune femme, discrète, soignée, travailleuse, et bien souvent, mère de famille... eh oui souvenez-vous : ils eurent de nombreux enfants, enfin « elles » surtout.
Voici donc la fée du logis, petite princesse, reine du foyer... expulsée de la sphère domestique, son milieu « naturel » ce qui, pour une femme, est inconcevable, et pour le gouvernement certainement l’expression d’un vrai désordre auquel il faut remédier sans tarder. Allons, rangez ces pauvresses que l’on ne saurait voir ! Aujourd’hui, dans un silence... assourdissant (aux oreilles des travailleurs sociaux), la France d’en-bas n’en finit pas de dégringoler... pourtant les femmes savent cultiver les apparences et l’État leur vient en aide courageusement, en posant un voile pudique sur les chiffres, en oubliant de les comptabiliser.
Mais, de quoi oseraient-elles se plaindre encore, n’ont-elles pas un toit sur leur tête ? Camping, caravaning, cabanes de jardin, hôtel : les vacances à l’année et l’hôtel au mois... Bien sûr c’est un peu chiche : la caravane ne possède aucun confort, le terrain de camping est inondé et la cabane de jardin fait office de résidence unique et principale. Pour les étoiles, l’État vous laisse le choix : c’est « avec » sous le ciel, ou « sans » à l’hôtel. Vous y cultiverez des champignons frais sous l’évier, la plomberie se révèle pleine de fantaisie, et les insomniaques pourront toujours compter les cafards pour tromper l’ennui...
De bonnes âmes, investisseurs avertis à leurs heures, tiennent ces établissements de main de maître. Royalement réglés rubis sur l’ongle par les services sociaux, ils font ainsi le plein d’une population cosmopolite et docile, majoritairement féminine ! Pourquoi donc aller ennuyer les maires de nos belles villes avec la construction de logements sociaux qui traumatiseraient à coup sûr leurs fidèles électeurs ?!
On peut bien entendu préférer la vie au grand air, le romantisme des bougies, le charme du puits, façon retour aux sources, les précaires ont aussi leur Koh Lanta ! Question d’actualité brûlante qui alimente nos conversations et la Une des journaux : les kilos en trop ou "l’épreuve du maillot"... tant redoutée ! Comment... maigrir enfin et retrouver une taille de guêpe ? Les précaires vous dévoilent leur secret en exclusivité : sautez un repas, voire deux... et le tour est joué ! Ah il fallait y penser. Mais que les pauvres sont ingénieuses ! Et diplômées aussi. Plus de la moitié d’entre elles possède une qualification. Bonnes filles, elles officient néanmoins dans des secteurs sans importance, comme veiller sur nos vieux parents, ou garder la "chair de notre chair", mais « ça » fonctionne à l’instinct. On ne va tout de même pas les rémunérer pour une chose aussi naturelle ? Allons, est-ce que l’instinct guerrier, attribut viril par excellence, fait l’objet de transactions financières ?
Remarquez, c’est un peu normal d’avoir peur de la précarité féminine, ce fantôme de l’exclusion rode sans visage... force invisible, silencieuse. Il n’y a qu’un ministre pour remettre les clés de son appart’ la voix chargée d’émotion, devant la France entière au journal de 20 heures... les femmes le font sur la pointe des pieds, pauvres mais dignes, surtout ne rien montrer. Sans un bruit, sans scandale ni centrale syndicale, sans faire grêve ou défiler. Grêve ? Ah oui, car elles travaillent ! Les Sans-Papières ont presque toutes un job, mais pas de fiche de paye, ce qui leur évite le tracas des impôts à déclarer, des feuilles de soin à compléter... pourtant certaines en rêvent, d’autres en crèvent.
Les Françaises aussi s’activent, surtout si elles ont des enfants, les mono-mamans premières levées, dernières couchées... abonnées au temps partiel, aux horaires asociaux : il s’agit de s’adapter aux nécessités de l’entreprise pendant que la marmaille se démène avec les fractions, les soustractions, assise sur un coin de lit... égalité des chances quand tu nous lâches !
Mais, que trimballent-elles dans leur sac à main, pour être ainsi handicapées, précarisées dans notre société de gaspillage et d’abondance ? Dans le sac d’une précaire on trouvera pêle-mêle : un conflit familial, un peu de maquillage, un diplôme, la violence conjugale, des enfants mais pas de crèche, une incitation au temps partiel, beaucoup d’énergie, des soucis de santé en suspens, des jobs, et au final une toute petite retraite. Ces denrées de précarité, les gouvernants nous en promettent encore et toujours plus pour régler le chômage et nous aider à regagner nos foyers, enfin... quand nous avons un toit sur la tête !
Les pauvresses et les précaires, c’est pas un sujet de saison… Mais, justement ma bonne dame, y’a plus de saison !