Non, au traité constitutionnel européen pour lequel un référendum sera organisé en France en mai, à la date qui conviendra à Monsieur Chirac. Le plus tôt possible sans doute, car plus le temps passe, plus le risque est grand que les Français-e-s lisent le texte et se prononcent contre ! Comme d’habitude, ce n’est pas à pattes de velours qu’il y va le président de la République. Lors de sa traditionnelle visite au salon de l’agriculture, le 26 février, il annonçait clairement la couleur : pour lui voter non « serait une connerie » ! Bravo pour le débat démocratique (voir à ce propos sur le site le Communiqué signé par de nombreuses organisations réclamant l’équité d’expression dans les médias).
Et pourtant, Monsieur Chirac, les femmes ont réellement de quoi voter con , je veux dire de quoi voter non : 448 raisons comme le nombre des articles de cette pseudo Constitution qui mêle déclarations d’intention et programme politique et économique, 100% libéral. Le fil rouge est lumineux : « la concurrence libre et non faussée » (article I-3). A partir de là, se déroule tranquillement une véritable machine de guerre anti-sociale. Ah ! Je sens que vous attendez des preuves, des arguments fondés. En voilà quelques-uns.
Tandis que la Constitution française affirme le droit au travail, l’européenne la remplace par le droit de travailler. Tandis qu’existent en France des services publics, déjà durement attaqués, la Constitution ne parle que de services d’interêt général. Elle prévoit, en outre dans de multiples articles (exemple III-167) que l’intervention des Etats ne peut fausser la concurrence en accordant des aides au financement de production de biens ou de services ! On se croirait à l’OMC (organisation mondiale du commerce). Tiens, cela concernerait-il les crèches, les centres de loisirs, la santé, la protection sociale, les transports, voire l’école, l’université, l’économie solidaire ? Pas de problème : les articles III-184 et 194 ont tout prévu. Les dépenses publiques doivent être réduites. Tandis que le texte mentionne 78 fois le mot marché, pas une seule fois le mot chômage n’est cité, alors qu’il caracole à 10% en moyenne en Europe et touche en particulier les femmes ! A la trappe également la reconnaissance du SMIC, les droits à un revenu minimum, au logement, à une pension de retraite, aux allocations de chômage. Ne lâchez pas, continuez de lire : la Charte des droits fondamentaux (qui accompagne la Constitution) oublie carrément les droits fondamentaux des femmes ! Certes, figurent les droits à la vie, au mariage et à fonder une famille, mais pas au divorce, à la contraception et à l’avortement. Manquent également l’interdiction de la traite des personnes à des fins de prostitution et le droit à vivre sans violence. L’article I-52, lui, reconnaît les églises et les organisations religieuses comme interlocutrices régulières. Pof, pof, la laïcité ! Comment, vous y voyez malice ? Un rapport de cause à effet ? Le Vatican, la Pologne, Malte (où le divorce est interdit), l’Irlande ?
Oh, j’entends déjà les arguments des tenants du oui, en particulier du Parti Socialiste, qui prétendent nous rassurer. Pas de panique, Mesdames, le droit français, en ces domaines, continuera de s’appliquer pour vous. Mesdames, ce serait tellement toquard, ringard, voire souverainiste de dire non à cette belle avancée, à cette idée généreuse qu’est l’Europe. Attendez deux minutes, là, les socialistes. C’est quoi une Constitution européenne qui oublie les Européennes ? Ces millions de femmes qui revendiquent le droit de divorcer, de choisir le moment de la naissance de leurs enfants, d’avorter si elles veulent ? Des femmes qu’on renvoie aux pressions des églises et du conservatisme des gouvernements qui les administrent ? Elle est où, la belle idée généreuse, il est où le progrès ? Pourtant, dans d’autres domaines, les directives européennes n’ont pas manqué de s’appliquer au nom, soit disant, de l’égalité hommes/femmes, comme la levée, en France, de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes. Ah, quand il s’agit de l’économie libre et non faussée et des intérêts financiers, pas d’hésitation : application générale. Mais, pour l’émancipation des femmes, question secondaire, que chacun-e se débrouille. On verra plus tard. En Pologne, 60% de la population est favorable à l’avortement. Le gouvernement, en pleine connivence avec le Pape, refuse. Donc, le traité constitutionnel européen n’y peut rien.
Alors, à quoi sert-il, si ce n’est à organiser un immense marché libre où pourront se délocaliser (droit reconnu dans le texte) les entreprises multinationales, pour s’implanter là où le droit social, les salaires sont au rabais, la protection sociale balbutiante, les pensions de retraite inexistantes ? Qu’on pense aux femmes ouvrières dans le textile et l’électronique, dans des plateformes d’appel, qui subissent depuis ces dernières années des licenciements à tour de bras et survivent avec le RMI.
Enfin, il faut le dire, le rappeler, le marteler : toute modification du traité constitutionnel ne pourra se faire qu’avec l’unanimité des 25 pays composant l’Union. Autant dire que, comme l’annonçait fièrement Valery Giscard d’Estaing, qui se prend pour le père spirituel du texte, la durée de vie de la Constitution est a minima de 50 ans !
Alors, oui, nous avons 448 raisons et bien plus, de voter NON maintenant, lors du référendum.
Au nom des luttes féministes qui nous ont permis de conquérir des droits,
Au nom de la solidarité entre toutes les femmes d’Europe,
Au nom de la laïcité,
Au nom de l’égalité entre les peuples,
Pour nous donner les moyens de penser et de construire une Europe sociale et solidaire.
Si les femmes disent non en France, elles ouvriront un champ nouveau de résistances et d’alternatives sociales pour toutes les Européennes.
Elles démontreront que rien ne peut se décider sans elles, ou à leur place.
Cette fois-ci, le combat des femmes passe aussi par les urnes ! Ne soyons pas les grandes absentionnistes de ce scrutin. Militons pour le non.