Deux femmes, deux parcours, deux façons de résister...
Les études, le travail
Aïssa vient de soutenir brillamment son mémoire de maîtrise. Elle a étudié la géographie, une filière peu choisie par les filles (environ 10% dans sa promo et c’était une année faste), à cause, selon elle, de matières assez scientifiques comme la climatologie ou la cartographie. Elle a eu pour cela une bourse de 26 000 F(CFA, environ 260 FF) par mois, auxquels la famille rajoutait un peu. Maintenant que les études sont terminées, avant un éventuel 3ème cycle, les anciennes étudiantes s’organisent pour ne pas se perdre de vue. Elles cotisent 5 000F chaque mois et se retrouvent à tour de rôle chez l’une d’entre elles pour une petite fête et beaucoup de papotes. Même organisation pour les sorties, les anniversaires, on cotise et on se retrouve en boite, au cinéma, ou au bord du fleuve le dimanche.
Son sujet de maîtrise portait sur la micro finance, l’impact des caisses de micro crédits sur les femmes rurales de Saye (région de San). Elle découvre le monde rural. "Les femmes font tout ! Elles travaillent énormément, sont très organisées et solidaires". Par exemple, elles tiennent des petits commerces, font des foires, travaillent la terre de leur mari ou font des prestations pour travailler la terre des autres, se réunissent en groupe pour acheter des céréales, les stockent, les revendent plus cher et se partagent les bénéfices. "J’ai été très bien accueillie, les femmes sont très chaleureuses, on m’a fait des cadeaux et j’ai encore des contacts avec elles".
"Mon rêve c’est de travailler avec des femmes car je pense mieux m’en sortir, je les aime beaucoup et elles ont besoin de notre aide des grandes villes. Il faut du changement dans les habillements, les activités génératrices de revenus".
Kadiatou a été à l’école franco arabe, où une heure chaque jour était réservée à l’apprentissage des prières. Elle sait donc lire et parler un peu l’arabe, en plus du bambara et du français. Elle a ensuite poursuivi jusqu’au DEF (équivalent du BEPC français) puis étudié deux ans à la SETEC, une école privée de secrétariat, renforcée par une formation en informatique. Depuis elle travaille comme secrétaire. "Je regrette beaucoup de n’avoir pas continué les études car je me suis mariée. Faire des enfants et des études, c’était trop pour moi, comme j’avais un diplôme j’ai choisi de travailler. Je préférais la médecine". Son vœu le plus cher, c’est que ses enfants fassent de longues études. Mais Kadiatou est satisfaite de travailler ; "c’est mieux que de rester à la maison", et son mari l’encourage, "il est d’accord, même pour les missions". Parfois elle aimerait trouver un meilleur travail, "dans un projet ou une ONG, certains bailleurs payent mieux".
La famille
Dans la maison d’Aïssa, il y a du monde : deux frères qui ont fini leurs études, deux sœurs jumelles lycéennes, et la mère qui travaille à la maison aidée par trois bonnes et un homme qui s’occupe de l’entretien. Elle a un frère qui travaille en France et n’est pas rentré depuis trois ans. Son père, magistrat, est décédé. Il faut rajouter les étudiants et lycéens au nombre de cinq ou six qui viennent d’autres régions et sont hébergés le temps de leurs études et de nombreux visiteurs de passage pour une semaine, un mois. Ca fait beaucoup… Quand Aïssa ou les frères et sœurs protestent devant l’envahissement ou l’argent du père qui file, la mère répond qu’elle n’aime pas être seule, que ce sont des gens de passage et qu’elle ne peut pas refuser de toute façon. Aïssa a sa chambre seule, ouf.
Une future famille ? Le boulot d’abord, la famille ensuite. Et dans une maison seule. La grande famille : non merci !
Kadiatou s’est mariée en 1992. Son mari est inspecteur de police à l’immigration. Elle loue un logement dans une concession avec trois autres familles. Kadiatou a quatre enfants, trois garçons et une fille, la dernière qui a trois ans. Une bonne aide aux tâches ménagères. "Quatre enfants ça suffit, je préfère arrêter car les cellules vieillissent, après les grossesses deviennent difficiles. Je me suis donc fait planifier" à l’hôpital de Kati (proche de Bamako). Son mari est sur la même longueur d’ondes, ça tombe bien car pour avoir accès à la planification familiale, il lui a fallu son autorisation. "A Bamako, tout le monde est bien au courant de la planification grâce à la télévision, aux journaux ou aux saynètes jouées dans les quartiers".
Kadiatou et son mari ont signé pour un mariage polygame. Pour l’instant elle est la seule épouse à la maison. "Je préfère être seule mais je suis obligée de rester si une deuxième femme arrive car j’ai signé, si je ne suis pas d’accord, je dois partir, et j’ai des enfants", qu’elle ne pourrait pas entretenir seule.
Les femmes
Aïssa : "Pour les femmes je suis optimiste, à 100%, les femmes, avec la volonté, vont y arriver".
Kadiatou : "Chez moi tout va bien, mais pour les femmes qui ne travaillent pas, c’est dur". Elle a organisé une petite caisse dans son quartier : chaque samedi, 31 femmes donnent 1250 ou 2500 F, le total est donné à l’une d’entre elles à tour de rôle, "pour les aider à faire quelque chose", petit commerce, etc. Quand elle a voulu arrêter, toutes les femmes l’ont prié de continuer.
La religion
Aïssa est croyante et pratiquante (musulmane). Elle vient d’une grande famille de marabout. Du vivant de son père, chaque fin de mois avait lieu une cérémonie où l’on lisait le Coran, maintenant il y a moins d’argent, on ne le fait plus. "Je n’ai connu que ça, ça me va". Certaines de ses copines se voilent, pas elle. La foi et les prières, ça suffit. "Si tu te voiles, tu n’es pas plus proche de Dieu". A l’université, il existe une association des étudiants islamiques. "On leur fait un lavage de cerveau". Ils prient, les femmes se voilent, on ne se serre pas la main. "Ils sont très minoritaires, c’est pour les étudiants déçus de la vie".
Kadiatou est très religieuse. Elle fait les cinq prières par jour mais à la maison ou au bureau, car les horaires ne lui permettent pas de se déplacer à la mosquée. Elle porte parfois le voile au bureau mais pas à la maison, "mon mari préfère sans le voile, il trouve ça plus joli. Je préfère le voile, c’est la religion, même les mèches, je mets ça malgré moi, pour mon mari, je pense que Dieu me pardonne pour ça".