Sudha Varghese fait partie des vingt-deux membres de la National Campaign on Dalit human rights (NCDHR – « Campagne nationale pour les droits des Dalits ») venus à Porto Alegre, grâce au soutien du Réseau de solidarité des Dalits en Europe. « A Mumbai, on a pu venir nombreux parce que ça ne coûtait pas cher, explique-t-elle. On a pu montrer notre force, exposer notre situation et constater l’intérêt des gens. » Celles/ceux qui y étaient se souviennent de leur forte présence au FSM 2004. Sortir de l’invisibilité, pour les Dalits, c’est accroître leurs chances d’obliger le gouvernement indien à, tout simplement, faire respecter la loi.
Officiellement, le système des castes est aboli en Inde. Mais dans les faits, les Dalits subissent des discriminations persistantes. « Les Dalits, les femmes surtout, travaillent sur les terres mais n’en possèdent jamais, raconte Sudha Varghese. Nous sommes appelées comme sage-femme par les familles des castes supérieures, mais après la naissance, nous n’aurons plus le droit de pénétrer dans leur maison. Si nous osons demander une augmentation de salaire, nos employeurs peuvent nous punir ; ils nous dénudent et nous exhibent en procession dans les rues. » Toutes pratiques illégales, certes, mais jamais réprimées.
Prostitution religieuse
La caste supérieure, les Brahmanes, exerce sa domination comme un droit naturel, avec d’autant plus de facilité qu’elle s’abrite derrière sa fonction religieuse. Lors d’un séminaire organisé hier, la NCDHR dénonçait vigoureusement l’esclavage auquel les fillettes dalits sont réduites par les Brahmanes. Dès leur plus jeune âge, certaines sont enlevées à leur famille pour être dédiées au temple. En fait, livrées au bon plaisir des prêtres qui abusent d’elles puis s’en débarrassent dès qu’elles ont cessé de plaire. Ils les vendent à des soit disants futurs époux, en réalité des proxénètes. Les voilà donc la proie du système prostitutionnel auquel, n’ayant bien sûr reçu ni éducation ni formation, elles auront peu de chances d’échapper.
Cette pratique sévit plus particulièrement dans le Sud de l’Inde. « Les familles croient accomplir leur devoir religieux en confiant leurs filles aux prêtres », explique Sudha Varghese. Même en leur accordant le bénéfice de la crédulité, cette complaisance est symptomatique du peu de cas accordé aux enfants femelles. Sans doute aussi, pour ces pauvres parmi les pauvres, le départ d’une bouche à nourrir peut-il être considéré comme un soulagement. Quoiqu’il en soit, grâce aux campagnes d’information menées par la NCDHR, les familles peuvent de moins en moins ignorer ce qu’il advient réellement de leurs fillettes.
Tradition contre progrès
Et qu’en est-il de la place des femmes dans cette ONG ? Bonne, affirme Sudha Varghese. « Des femmes qui ont eu la chance de recevoir une éducation sont à sa tête. On travaille ensemble, hommes et femmes. » Elle précise toutefois que chacun-e doit garder son rôle. Mais encore ? Elle n’en dira pas plus, concluant avec un sourire malicieux que « aucun mouvement ne peut marcher sans les femmes ».
Aujourd’hui, les Dalits organisaient une session sur le droit à la Terre, un thème essentiel pour ces éternels exploité-es qui ne possèdent rien. Sudha Varghese explique que la NCDHR n’a pas encore tissé beaucoup de liens avec des mouvements homologues d’autres peuples, et espère que le FSM lui en fournira l’occasion.
Faire bouger les mentalités sera peut-être encore plus difficile que de faire bouger le gouvernement. Sudha Varghese ne mésestime pas le poids des habitudes : « Nous avons des siècles de tradition derrière nous, ça ne changera pas du jour au lendemain. Mais nous devons continuer pour nos enfants. »
Pour en savoir plus : www.dalits.org