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Multiculturalismes et droits des femmes : le cas de l’excision en Grande-Bretagne

lundi 31 janvier 2005, par Laurence

Ce texte est le résumé d’une thèse qui sera soutenue le 7 février prochain. Elle étudie à partir des débats autour de l’excision des petites filles africaines, en particulier somaliennes, en Grande-Bretagne, comment une politique basée essentiellement sur la notion de races, qui néglige complètement celle de genre, engendre des inégalités.

Le multiculturalisme implique l’idée, selon le philosophe politique Bhikhu Parekh, qu’aucune culture n’est parfaite et qu’un dialogue critique avec d’autres cultures ne peut qu’être bénéfique. Dans ce sens, le multiculturalisme exige que toutes les cultures soient ouvertes, autocritiques et en interaction. L’objectif est une société démocratique qui combine respect de la diversité et valeurs communes. Aujourd’hui, sur le plan politique, le multiculturalisme britannique protège principalement certains groupes ethniques, culturels et religieux, contre les discriminations « raciales » de la société d’accueil. Il s’agit aussi de promouvoir l’égalité des chances pour les individus de ces groupes afin qu’ils exercent leur citoyenneté. Celle-ci est censée être garantie par l’Etat en vue d’une égale protection des droits individuels.
En Grande-Bretagne, le multiculturalisme est vu essentiellement sous l’angle de l’anti-racisme car l’Etat et la société d’accueil envisagent leurs relations avec les groupes ethniques des anciennes colonies, en termes de « race ». En résulte une protection et une valorisation des différentes cultures présentes dans la société britannique, fondées sur les relations interraciales. La question est de savoir comment l’Etat peut garantir à la fois l’égalité entre les citoyens, l’égalité de « race » et de genre, tout en valorisant une culture où l’égalité de genre n’est pas de mise. A partir des discours britanniques autour de l’excision de petites filles africaines, en particulier somaliennes, installées en Grande-Bretagne, et dont les parents sont pour la plupart demandeurs d’asile ou réfugiés, j’ai exploré, dans une perspective déconstructiviste, le caractère contradictoire de la citoyenneté lorsque l’Etat prétend protéger à la fois les droits des individus et celui des groupes et de leurs cultures spécifiques. Mon hypothèse était que le multiculturalisme britannique est « racialisant » et androcentrique.

L’examen des tentatives d’éradication de l’excision dans l’histoire coloniale britannique de la première moitié du XXe siècle, permet de comprendre certaines origines historiques de ce multiculturalisme. Par ailleurs, l’analyse du processus législatif qui a conduit à la loi de 1985 interdisant l’excision en Grande-Bretagne - au moyen des débats parlementaires et de la correspondance privée entre les personnes impliquées dans ce processus - montre la manière dont le débat a été « racialisé ». En tant que système d’inégalités fondé sur la construction sociale des différences biologiques de sexe, le genre n’a pas été pris en compte. L’analyse de ce processus montre aussi la manière dont certaines femmes somaliennes appartenant à une association luttant contre l’excision en Grande-Bretagne et en Somalie, en viennent à se constituer en tant que groupe « racialisé » qui s’oppose à la loi pour son contenu « raciste ».

Les différentes politiques et mesures de prévention de l’excision mises en place par le gouvernement, par la profession médicale et par des associations abolitionnistes - explorées à travers des documents d’archives, des entretiens semi-directifs et une correspondance écrite avec des acteurs de ces secteurs - montrent le dilemme britannique actuel entre droits individuels et collectifs. Est évoquée non seulement la responsabilité des pouvoirs locaux et du gouvernement dans le domaine de la protection de l’enfance dans un contexte ethnique, mais aussi celle de certaines institutions médicales, d’organisations non gouvernementales, ainsi que de la population d’origine somalienne dont certains membres souhaitent faire perdurer l’excision, comme le montre, entre autres, mon enquête auprès de huit Somaliennes âgées de 18 à 38 ans. Tel qu’il est appliqué, le multiculturalisme britannique montre que la reconnaissance culturelle fondée sur la « race », qui sépare sphère publique et sphère privée, se fait au détriment de l’égalité socioéconomique et des droits individuels des femmes et des petites filles, c’est-à-dire des futures citoyennes.

P.-S.

Thèse présentée et soutenue par Anouk Guiné
sous la direction de Martine Spensky, Professeure à l’Université Blaise Pascal [1]
Lundi 7 février 2005
14h, Salle des Thèses - Maison de la Recherche - 4, rue Ledru - Clermont-Ferrand

Notes

[1] Membres du Jury :
Bernard d’Hellencourt, Professeur en études britanniques à l’Université de Paris 3
Rada Ivekovic, Professeure de sociologie à l’Université de St Etienne
Jean-Paul Révauger, Professeur en études britanniques à l’Université de Bordeaux 3
Michel Wieviorka, Directeur d’Etudes en sociologie à l’EHESS

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