Augustine Ibomabeka est « habitante relais » dans l’association Santé/bien-être de Saint-Denis [1]
Pouvez-vous nous présenter l’association et le rôle des habitants relais ?
L’association Santé/bien-être s’occupe de la santé au sens large, nous sommes là pour l’amélioration des conditions de vie des personnes, qu’elles soient bien logées, se nourrissent bien, et qu’elles aient des droits. Le but est qu’elles soient un peu mieux dans leur tête, leur corps et l’environnement social. On débrouille les problèmes d’accès aux droits. Quand quelqu’un a un problème de logement, on l’aide pour ce problème. On soigne quelqu’un dans sa globalité. Nous sommes actuellement cinq habitants relais. Nous avons été recrutés par les travailleurs de la cité, en tant que personnes disponibles et volontaires pour aider les autres. Ils nous ont offert une formation.
Moi-même, je vis en France depuis 1990, je suis venue du Congo Brazzaville rejoindre mon mari qui était étudiant, en rapprochement de couple. Nous devions repartir en 1993, mais nous avons décidé de rester ici, car il y avait la guerre dans notre pays. Nous avons eu une carte de séjour de 10 ans, les enfants nés ici avaient la nationalité française. J’ai d’abord travaillé dans l’association des femmes africaines de la cité, au soutien scolaire et à l’alphabétisation. Les gens venaient me voir avec leurs problèmes de papiers, car j’aidais leurs enfants à faire leurs devoirs. Je voulais les aider, mais je ne connaissais pas les lois, je les ai apprises ensuite.
Vous accompagnez les personnes exilées dans leurs problèmes de santé. Pensez-vous qu’il existe des pathologies spécifiquement liées à l’exil ?
Il n’y a peut-être pas de pathologie spécifique liée à l’exil, on peut tout de même parler de souffrances psychiques chez l’exilé, selon sa trajectoire. C’est déjà une souffrance quand on quitte sa famille, on est détaché, on souffre mentalement. Même si l’on est accueilli par un compatriote, ce n’est pas pareil que d’être entouré des siens. Vivre dans un milieu étroit avec une cohabitation obligée, c’est difficile. On a besoin d’aide pour tous les besoins de la vie quotidienne, pour s’adapter à la société. On sent les gens perdus.
Quelles difficultés rencontre-t-on pour se faire soigner quand on est exilé(e) en France ?
En France, il y a deux systèmes, privé et public alors que dans les pays d’où l’on vient, le ministère de la Santé gère tout. Les gens suivent une logique institutionnelle. Quand ils ont un problème de santé, on leur demande : « Tu as vu le médecin ? ». Ils ne voient que l’hôpital, à cause du vécu du pays. La plupart du temps, pour eux, la maladie, c’est l’hôpital. Mais ici, la confrontation avec l’hôpital est bureaucratique : il faut remplir les conditions. Vous n’êtes pas accueilli directement, on accorde beaucoup d’importance aux papiers, couverture sociale, CMU, AME... Au pays, à l’hôpital, on vous accueille directement. Ici on est confronté au système des papiers, il faut passer de service en service… Contrairement au médecin de la cité, qui vous accueille directement. Mais au départ, c’est compliqué d’aller chez le médecin de la cité. Quand j’interviens dans les associations de femmes ou dans les ateliers sur la santé, je dis qu’il faut avoir un médecin de famille, mais beaucoup raisonnent encore avec l’hôpital. Ils disent : « Parfois le cabinet est fermé, il vaut mieux courir à l’hôpital… » Les logiques sont restées. Ou bien ils trouvent qu’il y a le même temps d’attente chez le médecin et à l’hôpital. Les enfants qui ont grandi ici vont plus facilement chez le médecin de la cité. Certains gardent toujours la culture de l’hôpital.
Quelle part occupe l’obstacle de la langue ?
La langue est un obstacle majeur dans un exil, elle est déterminante dans la vie de l’exilé, pour son intégration dans la communauté. Certains parlent français en arrivant, d’autres ne parlent pas ou peu, et ce n’est pas forcément la même compréhension. Parfois on a du mal à se faire comprendre même en parlant français, avec la façon de parler, l’accent…Il faut tendre l’oreille. Nous faisons les interprètes. On accompagne beaucoup les gens dans les démarches, auprès des médecins ou des avocats…
Vous avez identifié des professionnels de santé accueillants (le médecin de la cité…), travaillez-vous avec d’autres professionnels moins identifiés ?
Oui, par exemple chez les spécialistes. J’ai accompagné une jeune fille qui a un handicap et avait été envoyée par un spécialiste dans un autre hôpital vers un chirurgien orthopédiste. Il a dit qu’il n’y avait pas assez de radios, il a fallu retourner voir le premier spécialiste qui lui aussi croyait que l’orthopédiste aurait fait les examens nécessaires. Certains sont accueillants, d’autres font rapidement, d’autres questionnent sur les antécédents pour comprendre la situation. Notre présence auprès des gens est utile, car nous osons dire : « Ton collègue nous a envoyés, il faut lui répondre ».
Certains disent que les étrangers exigent beaucoup du système de soins…
De quels types d’étrangers parle-t-on, s’agit-il d’exilés avec ou sans statut ? Dans bien des cas, ils subissent plus qu’ils n’exigent. Généralement, ils se contentent du minimum. Tous ne connaissent pas leurs droits, certains ont eu des accidents de travail et ne les ont pas déclarés, car ils ne savaient pas. On leur dit que ce n’est pas trop tard, on va voir avec la Sécurité sociale et les professionnels, on peut peut-être obtenir un autre statut de reconnaissance. On les accompagne jusqu’au bout, jusqu’au tribunal des incapacités, parfois cela peut prendre deux ou trois ans. Les gens travaillent pour se nourrir, ils ne savent pas qu’ils ont des droits et qu’il y a des lois, ou très peu.
Les médecins sont parfois sur la défensive, ils ne comprennent pas toujours les demandes, par exemple les jeunes filles qui vont voir le gynécologue pour faire un bilan de stérilité alors qu’elles ne sont pas encore mariées…
Pour une femme africaine, ne pas avoir d’enfant n’a pas de sens, le besoin de maternité passe avant le mariage. Elles veulent faire des bilans gynécologiques pour se rassurer, savoir qu’elles sont bien dans leur corps. C’est de la prévention. Elles auront un mari un jour, on ne reste pas seule toute sa vie. Faire un petit bilan peut être utile. En Afrique, on fait un prélèvement à la recherche de MST et une goutte épaisse. Elles ne demandent rien de plus coûteux, même pas de radiographies. Elles veulent se soigner pour préparer leurs futures grossesses.
Comment répondre aux demandes qui nous paraissent superflues, comme les produits pour la toilette, les crèmes hydratantes… même si c’est un petit cadeau que la société peut faire, cela ne nous semble pas être de la médecine…
Les femmes africaines dans leur majorité utilisent des produits pour leur toilette, elles ne s’adressent pas souvent à des dermatologues, elles prennent leurs informations souvent auprès de leurs amies. Les médecins devraient leur en parler pour les conseiller. Certaines sont compliquées et ont besoin de choses sophistiquées. Cela dépend de l’éducation et du milieu. Parmi les exilés, il n’y a pas que des misérables, certains viennent de milieux très favorisés, contrairement à ceux qui viennent des villages. Ceux qui sont au gouvernement là-bas vivent comme des pachas. Leurs enfants viennent ici avec de petits moyens, ils ont du mal à vivre coincés dans des logements étroits en cohabitation...
Est-ce qu’il existe des savoir-faire traditionnels pour prendre en charge les problèmes de santé, quand un enfant est malade, par exemple ?
Oui, il existe des savoir-faire traditionnels pour prendre en charge des problèmes de santé : par exemple des suppositoires à base de savon contre la constipation chez l’enfant.
Là-bas, quand un enfant est malade, on se dépatouille, il y a des herbes que les mamans et les grand-mères connaissent, on vit en famille. Les femmes savent de petites choses, comme donner un bain à l’enfant qui a de la fièvre. Mais ici, elles ont besoin du médecin, même pour faire baisser la fièvre, parce qu’elles n’ont plus la famille avec elles.
Donner des explications aux soignants aide-t-il à mieux se comprendre ?
Oui, cela peut aider à mieux diagnostiquer un mal, à connaître les antécédents. On peut discuter : « Chez vous c’est comme ça, ici c’est de cette façon… ». Il y a des situations où l’on a besoin de savoir ce qui a été fait au pays, on peut communiquer par fax avec les médecins de là-bas. C’est une façon de changer les pratiques.
Généralement, les immigrés ne sont pas exigeants. En leur donnant des informations sur leurs droits, on leur permet de demander ce dont ils ont besoin. Ne sachant pas, ils ne cherchent pas beaucoup. Au pays, le système est gratuit, on ne peut pas exiger plus que ce qu’on ne peut pas se fournir soi-même…
Les soignants sont peu habitués aux problèmes des autres pays. Comment peut-on favoriser la communication ?
On peut favoriser la communication par des voyages, des conférences, ou des échanges entre praticiens. Mais aussi en communicant avec les patients. Les soignants devraient demander au patient ce qu’il veut pour se soigner. Dernièrement j’ai vu une personne exilée qui souffre de spasmophilie. Il disait : « Ici on ne me donne pas de piqûre, au pays on me donnait du calcium, cela me chauffait le corps ». Je lui ai dit : « Ici aussi on fait des piqûres, il faut en parler au médecin, mais il faudra payer des infirmiers dans la cité pour faire les piqûres ». Avant, je ne savais pas qu’il y avait des infirmiers qui faisaient des soins à domicile, au pays je ne connaissais que les infirmiers de l’hôpital.
Les gens attendent qu’on leur donne les mêmes soins que ceux qu’ils connaissent. Ils sont ambivalents. Ils aiment l’hôpital, mais quand il faut une hospitalisation, ils ont peur de l’hôpital à cause des maladies qu’on y attrape…On leur explique que les soins dont ils ont besoin ne peuvent être donnés qu’à l’hôpital. Il faut parler.
Article paru dans Pratiques – Les cahiers de la médecine utopique. Dossier "Face au défi de l’exil, des outils pour les soignants ».