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Les langues dans le mouvement altermondialiste ?

dimanche 31 octobre 2004, par Dominique Foufelle

C’est l’affaire de tout-es ! Mais, depuis 2003, seuls les mouvements des femmes semblent l’avoir compris. Or, le choix des langues touche à l’accès à la parole, et aux questions d’impérialisme et de néo-colonialisme. Voire, à la teneur du message énoncé.

« Du » ou « des » ? « Du fondamentalisme », ou « des fondamentalismes » ? Le séminaire sur les droits des femmes et les fondamentalismes au FSE 2004, semble avoir donné lieu à des débats houleux. « Les Françaises mettaient en avant le pluriel, « des fondamentalismes », les Anglaises, le singulier « du fondamentalisme ». On ne s’y retrouvait pas. Il faut éviter d’ancrer des dérapages dans une traduction qui ne reflète pas ce qu’on dit. « Du » ou « des », ce n’est pas la même chose ! », s’insurge Josette Rome-Chastanet, membre de la Marche des Femmes en France. Si Josette devait encore se convaincre de l’incidence de la traduction sur l’échange d’idées et l’élaboration de propositions au sein d’un mouvement social et politique riche de ses différences, le FSE 2004 à Londres en a souligné toute l’importance. Ces discussions reflètent surtout les différences entre les contextes culturels, les lectures politiques et sociales et les pratiques des organisations dans chaque pays. Des différences qu’on ne peut occulter, si l’intention est de débattre - et de construire. Et qu’il faut donc reconnaître, sans juger, jusque dans le passage d’une langue à l’autre. Ce qui suppose une certaine préparation en amont de l’événement en lui-même.

Langues impérialistes et langues oubliées


Un an auparavant, pour l’Assemblée des femmes du FSE 2003 à Paris, Babels avait pris en charge l’interprétation de la plénière et des six ateliers simultanés du matin. A raison de deux personnes par cabine et par langue pour un minimum de « cinq langues officielles » (italien, espagnol, français, allemand, anglais) plus le russe. Soit, quelque 70 personnes, qui avaient, toutes, femmes et hommes, signalé leur intérêt pour les thématiques développées. La prise en charge d’un tel événement n’allait cependant pas de soi pour le réseau international d’interprètes et de traducteurs volontaires : discutée, acceptée, encore fallait-il qu’elle soit portée au sein du réseau par des babéliens intéressés. C’est que la mobilisation des interprètes le 12 novembre 2003 n’était que la partie immergée de l’iceberg. Bien avant le jour « J », Babels et la Marche des Femmes avaient donc travaillé de concert.
De quoi parle-t-on quand on prépare un débat international au sein d’un forum social ? Du nombre de langues qu’il était possible de traduire compte tenu de l’équipement disponible. Du choix de la langue des intervenant-es. De la préparation du vocabulaire lié à chaque question, à faire impérativement connaître aux interprètes pour qu’elles/ils puissent travailler au plus près de la nuance. La qualité de l’interprétation en dépend.
Or, chacune des demandes a priori « matérielles » de Babels suppose réflexion et interaction collectives entre les interprètes et les militant-es. « Ce que j’ai trouvé formidable, c’est qu’on nous a demandé notre avis. Nous étions impliquées dans la conception d’un moyen d’échange », s’enthousiasme la militante féministe. Ce qui imposait tout de même de prendre le taureau des responsabilités politiques par les cornes : « Il nous a fallu répondre à la question suivante : quelles langues souhaitez-vous pour vos ateliers ? Donc, raisonner en termes de priorité. Qui veut-on entendre ? A qui donne-t-on la tribune, qui écouterons-nous ? Après le Forum social européen de Florence, un choix s’imposait : il fallait qu’on entende les femmes de l’Est. Et celle du Nord, qu’on voit très peu. Donc, prévoir des langues « inhabituelles ». Au début, on s’est dit : les femmes du Nord parlent bien l’anglais, elles peuvent s’exprimer en anglais », se souvient Josette. Mais Babels défend le droit pour chacun-e de s’exprimer dans la langue de son choix. Et insiste pour que les intervenant-es puissent s’exprimer dans la langue qu’elles/ils maîtrisent le mieux pour construire et partager leur pensée.
Une exigence qui ne s’impose pas de prime abord aux mouvements sociaux. Or, son importance politique est énorme : « On ne s’était jamais posé ce genre de question. Quel est le rôle de la langue d’origine ? Question qui en amène une autre : quel est le rôle joué par l’interprète pour que nous nous comprenions mieux ? Nos choix nous ont montré nos faiblesses aussi : privilégiant les femmes de l’Est et leurs langues, on ne voyait et on n’entendait pas assez les femmes du Maghreb et de l’Afrique en 2003. Sans compter qu’on vivait une contradiction : on permettait à certaines de s’exprimer dans leur langue et donc de bien s’exprimer, mais on imposait à d’autres la langue du colonisateur. Soit l’anglais, soit le français, mais pas la langue d’origine. La question s’est posée pour les femmes Sénégalaises, par exemple. Il faut donc réfléchir aussi en termes d’impérialisme des langues et en termes d’accès à la traduction. Il nous semblait « normal » que des intervenantes s’expriment en anglais ou en français, parce que c’est l’habitude. Or, ce n’est pas le cas », retrace Josette.

Trouver le mot juste


Dernier apport de la démarche babélienne : le travail sur le vocabulaire. Chacune des organisations traduites travaille sur des thématiques précises, générant un vocabulaire et un jargon bien spécifiques. Pour saisir le contexte, traduire sans trahir, ne pas avoir la langue qui fourche, les interprètes se préparent aux sujets des débats. En lisant, en cherchant les discours des uns et des autres, en dressant des listes de vocabulaire. Ici, il s’agissait donc de préparer des lexiques thématiques multilingues cernant les mots et les concepts à maîtriser absolument quand on parle de violences faites aux femmes, du rôle des femmes en politique, ou encore, de droits reproductifs. « La demande de nos mots-clé nous a amenées à faire un travail enrichissant : tout d’abord, quels sont nos mots-clé ? Et quel est le message que nous voulons transmettre ? Quels sont les mots-clé qui déclenchent une réaction ? Ce fut un vrai travail collectif », commente la militante. Ardu. Mais les six ateliers ont débattu et abouti à une proposition, envoyée en avance aux interprètes retenus pour cette journée. Le but premier des lexiques thématiques multilingues était certes de leur faciliter le travail. Mais lors de cette première assemblée des femmes, il a eu un autre impact pour les organisations impliquées : « On s’est aperçu qu’on retrouvait les mêmes mots-clé dans plusieurs ateliers, alors qu’on les pensait très différents les uns des autres. Au final, cette démarche sur nous-mêmes a créé un lien qu’on ne soupçonnait pas entre ces ateliers ».
Après des mois de contacts avec les responsables babéliens, la rencontre. La veille de l’Assemblée, Babels avait réuni les volontaires pour distribuer le travail, en demandant aux organisatrices de présenter l’Assemblée des femmes : « On s’est senti sur un pied d’égalité : les interprètes n’étaient pas qu’un instrument, elles/ils étaient partie prenante de l’événement. Et nous, nous avons eu l’occasion d’expliquer à quoi correspondait l’Assemblée des Femmes et comment elle était organisée. Il y avait tellement de jeunes femmes ! », sourit Josette. Qui conclut : « Ce fut un travail d’ensemble, qui nous a permis de découvrir que les interprètes aussi peuvent s’engager et militer, qu’ils ne sont pas des « machines perfectionnées » ».
Un an après cette première Assemblée, les mouvements des femmes qui y ont participé, restent les seules organisations du mouvement social et citoyen international à l’avoir compris. Et les seules à avoir entamer une réflexion commune autour des langues au sein du mouvement altermondialiste.

P.-S.

Stéphanie Marseille – octobre 2004

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