Coiffée d’un chapeau en carton où sont plantés deux fanions du drapeau US, la chemise ornée d’une étoile de shérif, encadrée de deux agents spéciaux, une femme martèle un discours où la débilité le dispute au cynisme. « Je suis W.G. Bush, clame-t-elle. Mais vous pouvez m’appeler le Messie ». Cette scène donne le ton du spectacle « Bienvenue dans l’Europe forteresse ! » : burlesque, outré, puisqu’il s’agit de le donner dans la rue. Mais pas seulement. Y participent en effet, aux côtés de militantes du Centre Crossroads, des demandeuses d’asile usagères de ce lieu d’accueil, d’échange et d’entraide.
Elles le présentent pour la première fois à l’occasion de cette Journée ouverte des femmes [1], avant d’investir l’espace public, dans l’espoir d’attirer l’attention sur le sort des milliers de migrantes qui tentent de franchir les murs de la forteresse Europe. « Pour communiquer aux gens ce que je ressens », explique Lucia, Ougandaise, séropositive, pour laquelle rester en Angleterre signifie sauver sa peau. « Leur montrer à quel point nous souffrons », ajoute son amie Mary. Une des responsables du Centre, qui endosse le rôle ingrat du policier des frontières, explique qu’en choisissant l’humour, elles espèrent retenir le public et le toucher subrepticement. Quant à la grosseur du trait, elle précise : « J’ai peur que nous n’exagérions pas. »
Partageons la parole
La Journée s’ouvrait sur cette représentation – ou plutôt, cet atelier, comme le rappelait la troupe, qui invitait le public à manifester ses impressions. Il n’y avait alors qu’une trentaine de femmes (et quelques hommes) dans la salle. Elle sera pleine quand débuteront les « prises de parole libres et communautaires ». Deux heures ont été réservées pour ces témoignages et échanges. Majoritairement, des migrantes, des réfugiées interviennent. Des militantes et des « femmes de la base », comme l’ont voulu les organisatrices.
Maggie Ronayne et Anna T. (Global women’ strike) racontent la genèse de la Journée… Depuis novembre, lors des réunions de préparation du FSE, la proposition d’une Journée des femmes incluse au programme officiel a été lancée et relancée, discutée et rediscutée. Le « non » définitif est tombé trois semaines avant l’ouverture, assorti de prétextes fallacieux (ghettoïsation des femmes, probable manque d’affluence…). Pourquoi cet ostracisme ? La proposition, estiment Maggie et Anna, n’a pas été assez défendue par les femmes du comité d’organisation, membres de partis, de syndicats ou de grosses ONG avant d’être féministes. Plus profondément, une telle journée ferait courir un gros risque aux professionnels du militantisme : celui de la démocratie. « C’est plus facile pour eux de considérer les demandeuses d’asile ou les victimes de violences comme des victimes que comme des résistantes. », analyse Anna, qui souligne que « dans les mouvements sociaux, le travail des femmes est aussi invisible que partout ailleurs. »
En finir avec l’invisibilité des femmes, de leur travail comme de leurs souffrances ou de leurs luttes, c’est justement l’objectif des organisatrices, qui ont fait jouer leurs réseaux pour mener l’affaire en trois petites semaines.
Demain, jeudi 15, premier jour du programme officiel, l’Assemblée des femmes se tiendra à l’Alexandra Palace, lieu non moins officiel. Il y aurait donc bien des féministes dans la place ? Maggie et Anna racontent que l’Assemblée des femmes est arrivée après la bataille, sans s’être impliquée dans le processus. Elles seront quelques-unes de l’Open Day à prendre la parole demain depuis la salle. Pour parler des migrantes et demandeuses d’asile… Pour lancer, peut-être, la question de la démocratie dans les forums sociaux… Peut-être… Elles ne viendront pas chercher la bagarre mais le débat.
Qu’on se le dise : l’Assemblée des femmes sera peut-être moins ennuyeuse que l’année dernière !