La récré n’a pas encore sonné, qu’un vent de colère souffle sur Londres. Entre les faux/vrais communiqués sur l’invitation du cheik Youssef al-Qaradhawi, l’une des autorités religieuses les plus influentes de l’islam sunnite, par les organisateurs du FSE, la succession d’informations et de démentis sur la tentative des islamistes de chasser l’Assemblée des femmes pour imposer en substitution un séminaire sur « fondamentalismes religieux et droits des femmes », les couloirs de l’Alexandra Palace se préparent à accueillir polémiques, railleries, croche-pieds, et autres anicroches, fidèles au rendez-vous des altermondialistes.
En avant-première, et en exclusivité, la préparation dudit Forum social a réservé quelques émotions, retournements de situations, pirouettes, effets spéciaux et silences qui valent les meilleurs moments des plus mauvais soaps hollywoodiens. Prenons tout d’abord la gestion du fonds de solidarité. On commence à s’habituer depuis St-Denis. Il s’agit de partager une infime partie des sommes perçues pour les inscriptions entre différentes personnes englobées dans un même magma, censé représenter ce qui est qualifié d’« élargissement » : les immigré-es, les « sans », les « invité-es » du Sud et de l’Est. Intéressante déjà, on l’avait soulignée l’année dernière, cette notion d’élargissement : un mélange d’expansionnisme culpabilisé à la sauce coloniale, saveur ras-du-béton occidental.
Il n’y a pas de petites économies
Arrêtons-nous quelques instants sur l’aspect géographique : le Sud et l’Est. Rappelons que nous sommes dans un cadre européen, et que l’Est ici ne qualifie pas l’Asie mais l’Europe de l’Est et Centrale. Ce volet inclut donc en soi, une partition entre les « vrais » Européens et les autres… sans doute en voie de démocratisation, comme on nous le souligne chez les organisateurs. Une espèce d’apartheid Ouest-Est, non-dit ou trop senti, au choix. Mais, cessons de geindre, intéressons-nous aux modalités. Si on est Bulgare, on peut s’attendre, après de multiples mails et autres coups de fil, à obtenir 233€ tout compris. Pour information, le billet charter Sofia-Londres vaut 360€. Cette obole, certes non négligeable, ne couvre donc pas les frais de transport, sans compter des dépenses de bouche et d’hébergement, qui, comme tout le monde le sait, sont fort abordables dans cette belle capitale britannique (100€ par nuit, une chambre dans un hôtel de faible catégorie). Elles l’étaient d’ailleurs tout autant dans ces antres touristiques que sont Florence et Paris. Mais c’est mieux que rien. Car ce que s’est vue répondre une autre Bulgare, c’est « vous ne pouvez bénéficier du fonds car vous n’êtes pas du Sud ». Les bras lui en sont depuis tombés, elle ne sait quand elle va les recouvrer. Et là ne s’arrête pas le cauchemar. Une Polonaise, téméraire et hardie, s’est enquise d’obtenir ces quelques 200€. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle apprit qu’à défaut d’obtenir de l’argent, on lui proposait de prendre un bus collectif, celui de la délégation polonaise de 300 personnes, qui partait tôt à date fixe, et repartait dans les mêmes conditions, avec des durées de voyage incommensurables. Or cette Polonaise, bien qu’organisée – elle est présidente d’une grosse Ong féministe - non seulement ne connaissait pas l’existence de cette coalition nationale, mais était engagée à travailler pendant le Forum à une couverture media féministe (intégrant personnes de l’Est et de l’Ouest), dont elle n’avait pas décidé les horaires, et à participer à un séminaire sur les délocalisations et leurs effets néfastes sur les femmes. La voici donc avec un billet valant 370€, un hébergement chez la militante et trois francs six sous pour se substanter entre deux articles et deux interventions. Fallait-il qu’elle renonce à ce témoignage, cette prise de position et cette action ? Ce n’est pas ce qu’elle a décidé et tout le monde, ou presque s’en fout, tout autant que de la Bulgare qui n’a plus ses bras…
Dong ! fin du premier round.
Comment réussir sa dope
Les organisateurs se bougent, remontent le moral de leurs troupes, passent un peu l’éponge, donnent quelques conseils et repartent de plus belle. Nous voilà sur le programme. Quelle prise de tête ! Non seulement il faut être chrono, histoire de ne pas distribuer la version papier à la fin de l’événement, mais en plus faut faire rentrer tout le monde. Cette année inaugurait la technique du chausse-pied, autrement appelée la fusion. Ne nous embrouillons pas, il ne s’agit pas ici de fusion des éléments, ce qui pourrait créer quelques précipités aguichants, mais de fusion de séminaires et de création d’ateliers ! Voyons ça ! C’est simple. Vous prenez des altermondialistes, vous les faites bouillir à feu doux pendant quelques années, en ajoutant chaque année une pincée de sel. Au fur et à mesure que les bêtes frémissent, vous les arrosez d’un petit vin, doux lui aussi, celui de la traduction. Vous constaterez alors que les animaux se raidissent avant de blanchir afin de s’imprégner au mieux du léger élixir. Tous n’auront pas la même dose, or la bouteille ne fait que 75cl quelle que soit la quantité de bestiaux. S’opère alors un mouvement que vous vous devez ne pas louper. Cette phase du met est alors essentielle au bon effet sur vos invité-es. Il faut que de façon synchronisée vous sépariez ceux plutôt chargés en alcool et ceux qui le rejettent (ça se voit à la couleur et au mode de regroupement ; ceux-là détestent la promiscuité) et aussi que vous transformiez le premier groupe en petites masses gluantes ou pavés agglutinés, selon votre humeur. Là, il faut que vous fassiez très vite, ce qui ne vous demande pas beaucoup d’imagination mais plutôt de l’instinct : les femelles avec les femelles, les petits avec les petits, les bruns avec les bruns et ainsi de suite… Si vous avez passé ce cap, vous avez réussi. Vous pouvez servir chaud ou froid, cela n’a aucune importance.
Autrement dit, lors de la phase « fusion des séminaires » (150 places pour 700 propositions), les pires ultimatums de la part des organisateurs ont été lancés aux organisations proposant des séminaires : soit elles renonçaient au séminaire et créaient un atelier (on sait maintenant que c’est peine perdue, car personne ne s’y rend faute de les trouver dans le programme), soit on leur imposait l’organisation et le séminaire avec lesquels elle devait s’entendre. C’est ainsi, pour ne citer qu’in exemple, qu’on a proposé à un groupe de structures féministes (dont Les Pénélopes), qui organisait un séminaire sur les effets néfastes sur les femmes des politiques des institutions financières internationales et de leur utilisation accélérée d’internet, de se mettre d’accord avec un autre groupe de… femmes qui organisaient, elles, un séminaire sur l’environnement et l’eau. Trouvez l’erreur.
Dong ! fin du second round.
Des barbus à la ramasse
Les organisateurs sont contents, la situation évolue, même si les joueurs ont une fâcheuse tendance à se chamailler. Y aura-t-il un troisième round ? Les spectateurs verront-ils la fin du match ? Seule une attention soutenue pourra nous le confirmer. En attendant, il faut serrer les dents, respirer par la bouche et digérer le fait que décidément les protagonistes du FSE n’entendent rien ni à la démocratie, celle de la participation et du droit à l’expression, ni au féminisme, porteur de changement social, mais il est ici inutile de le répéter. Décidément, les altermondialistes, disons plutôt les vieux mâles blancs, n’ont pas effectué leur révolution culturelle, attachés qu’ils sont à des souvenirs, purement ancrés dans le phantasme, et tellement éloignés d’une réalité accélérée. Dites-moi, nos ancêtres les marxistes, Karl Marx, Friedrich Engels, Leon Trotsky n’étaient-ils pas des barbus ?