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Est-Ouest, une liaison mal établie

jeudi 14 octobre 2004, par Dominique Foufelle

Dans ce grand rassemblement de la société civile progressiste européenne qu’est le FSE, symbole tant de la gauche que des altermondialistes, les pays d’Europe de l’Est, parent pauvre de l’Europe, sont sous-représentés, voire laissés pour compte.

Les deux premiers Forums sociaux européens (FSE), organisés à Florence et Paris, ont accueilli près de 50 000 participants, dont seulement 1 000 provenaient de l’Europe de l’Est. Et selon toutes probabilités, ce chiffre ne grimpera pas beaucoup cette année. Ce faible taux de participation des groupes de l’Est s’explique en partie par des raisons techniques. D’abord, pour les Est-Européens, la participation au FSE coûte cher. À cela, s’ajoute, selon Christina Haralarova, directrice d’Internet Rights Bulgaria, "la restriction liée à la libre circulation dans l’Union européenne qui oblige les militants de certains pays, de se procurer un visa afin de pouvoir prendre part au forum".

Citoyen(ne)s de deuxième classe


Cependant, s’ajoute d’autres obstacles, plus politiques. "Beaucoup ont l’impression que les nouveaux pays membres sont considérés comme des citoyens de deuxième classe au sein de l’Union européenne", déplore Joëlle Palmieri, cofondatrice des Pénélopes, une organisation féministe française ayant développé plusieurs projets avec des groupes de femmes en Europe de l’Est et centrale.
Cette vision eurocentriste, fortement critiquée lors de l’élargissement de l’Union européenne, en mai 2004, en raison du partage inégal des subsides agricoles et de l’absence de liberté de travailler partout dans l’Union, se retrouve aussi au sein du FSE. C’est ainsi que l’Europe centrale et orientale est considérée comme un seul bloc monolithique, au contraire des pays de l’Ouest, qui sont considérés de façon indépendante les uns des autres, lors de l’attribution des quotas en termes d’intervenants, de conférences et de plénières, que chacun peut proposer au programme.
De plus, selon Tracey Wheatley, coordinatrice des relations internationales du réseau hongrois Un autre monde est possible, "ne voulant pas de complications, le comité d’élargissement sur l’Europe centrale et orientale du FSE favorise le dialogue avec les coalitions nationales unifiées des pays de l’Est. Or, outre la Pologne et la Russie, peu de pays peuvent fournir des plateformes consolidées, étant donné la fragmentation de la société civile. Cette stratégie démontre une méconnaissance totale de la réalité de ces pays."

Des nouveaux mouvements ignorés


Après la période soviétique, les mouvements sociaux doivent se reconstruire et peinent à reprendre de la force. Parmi les groupes sociaux traditionnels, on retrouve quelques partis politiques de gauche, l’Église et les syndicats. Mais ils sont encore faibles. Cependant, commencent à apparaître d’autres groupes, plus originaux, avec d’autres orientations et d’autres façons de faire. En Hongrie, par exemple, on retrouve maintenant un mouvement écologiste progressiste en pleine émergence. Il est composé principalement de jeunes, pour qui ce nouvel espace est vu comme un lieu d’expression et d’organisation démocratique autonome et horizontal, dissocié à la fois des "nostalgiques" de l’ancien régime, et des nouvelles élites "sceptiques", qui ne jurent que par le néolibéralisme.
Or, c’est justement le manque de transparence, d’inclusion et d’horizontalité du processus organisationnel du FSE que décrient ces nouveaux groupes (Jeunes Verts de Hongrie, réseau Un autre monde est possible, Internet Rights Bulgaria). C’est que les grands partis politiques européens de gauche (souvent sous le couvert de groupes sociaux et de syndicats), y ont une influence très importante. Par exemple, la proposition de tenir cette année le FSE dans la capitale anglaise, est venue d’une poignée d’organisations, dont Globalise Resistance (liée au Parti travailliste de Blair), en collaboration avec l’administration municipale de Londres. Cela s’est fait de façon unilatérale, sans consultation des organisations civiles locales.
"Les groupes de l’Est qui recherchent des alternatives politiques plus participatives et qui désirent conserver leur indépendance vis-à-vis des partis politiques demeurent dans la marge du Forum", précise Joëlle Palmieri. Selon Gabor Csillag, porte-parole des Jeunes Verts de Hongrie, "en Europe de l’Est, les catégories gauche et droite ont perdu leur sens dans l’imaginaire collectif étant donné l’incohérence de divers régimes au pouvoir. Tout est à reconstruire. J’ai l’impression que la gauche traditionnelle européenne évite d’aborder l’expérience des pays de l’Est tout simplement parce que cela la mettrait au défi d’être plus imaginative et de créer de réelles alternatives", ajoute-t-il.

Une dynamique de réflexion

"Malgré ces difficultés, le Forum social européen demeure important", affirme Gabor Csillag. Il expose les militants de l’Est à une certaine diversité qui existe néanmoins à la base du Forum et leur permet d’acquérir de nouvelles perceptions sur ce que "la gauche" et "la droite" veulent dire ailleurs dans le monde, de même que pour le concept de mondialisation, largement mal compris. Le Forum est aussi un espace où l’expérience militante en tant que "mouvement" se vit, une sensation inexistante dans la société atomisée de l’Est. Mais selon Tracey Wheatley et Joëlle Palmieri, au-delà de l’événement ponctuel, l’importance du FSE réside avant tout dans la dynamique de réflexion et de débat continus qu’il crée au niveau national et international.
"Afin d’inclure davantage la participation des groupes sociaux de l’Est, des efforts doivent être faits autant à l’Ouest qu’à l’Est",conclue Christina Haralarova. D’une part, il s’agit d’accroître les ressources financières disponibles pour faciliter leur présence et donc une plus grande transparence du Fonds de solidarité établi à cet effet. D’autre part, une volonté politique sera nécessaire de la part des organisateurs et de tous les participants d’être à l’écoute et d’accepter les différences historiques.
Quelques signes en ce sens. L’Autriche a proposé de tenir le prochain forum social autrichien en Hongrie, proposant que cela soit aussi un forum régional. "Nous espérons également que le prochain FSE, prévu en Grèce en 2006, attirera une participation accrue des militants de l’Est grâce à la proximité géographique et des affinités avec les Balkans", ajoute Christina Haralarova. Quant aux pays de l’Est, il leur faudra s’investir dans les campagnes d’information et de sensibilisation auprès de la population, dont la majorité n’a jamais entendu parler du FSE. C’est pourquoi Internet Rights Bulgaria et le réseau Un autre monde est possible, se concentreront principalement sur la couverture médiatique du FSE à Londres. Et bien sûr, le prochain défi sera de s’engager davantage dans les débats politiques afin d’exposer les alternatives provenant des pays de l’Est…

Csilla Kiss est agente de projets pour l’Europe de l’Est pour Alternatives.

P.-S.

Csilla Kiss – octobre 2004

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