Mariam encadre en effet un collectif de plus de 100 associations des femmes des trois quartiers périphériques de Bujumbura particulièrement frappés par la crise, à savoir Kinama et Kamenge (quartiers hutu), ainsi que Cibitoke (quartier tutsi). Ces trois zones voisines ont été le siège d’actes d’épuration ethnique au plus fort de la crise en 1995. " Nos maris ayant été tués ou acculés à fuir, nous étions seules avec nos enfants, dépourvues de tout, et avec le temps nous avons remarqué que nous étions dans la même situation que les femmes hutu de l’autre côté ", lance Jeanne Niyongere, veuve de Cibitoke et membre de l’association Dukorere hamwe (Travaillons ensemble).
C’est en 1995 que fut mise sur pied à Kinama Abaniki, la première association où les veuves des deux ethnies ont décidé de se regrouper pour s’entraider dans l’exploitation des terres agricoles. Mais elles avaient d’abord refait les allées reliant les quartiers, embroussaillées pendant le temps de la méfiance. " Le rapprochement se faisait d’abord timidement par un bonjour ou un sourire d’abord vague puis franchement amical ", raconte Mwajuma, une vieille femme hutu de Kinama, qui a tout perdu dans la guerre.
Ces femmes se sont rendu compte de leur communauté de destin malgré leur différence ethnique : elles étaient toutes menacées de faim, leurs maisons avaient été détruites et leurs maris tués ou exilés. " C’est dans ces conditions que nous avons décidé d’unir nos forces pour cultiver des champs qu’on louait et nous partagions une partie de la récolte, l’autre étant vendue pour constituer la caisse de la naissante association ", déclare Mme Bukuru de Kamenge, qui élève ses deux orphelins grâce à l’appui de l’association.
Des femmes juges
Constatant qu’elles s’entraidaient bien dans la production agricole, elles ont alors décidé d’amorcer les travaux de reconstruction de leurs maisons, une tâche naguère réservée aux hommes. Elles y ont aussi excellé, avec l’appui d’instances comme le FAH (Fonds africain pour l’habitat). L’idée de base consistait à faire vivre de nouveau ensemble les Hutus et les Tutsis comme avant, si bien qu’à leur retour, les rapatriés ou les déplacés qui rentraient étaient sidérés de se voir chaleureusement accueillis par ceux qu’ils redoutaient le plus.
Outre les travaux champêtres et la reconstruction, ces femmes ont joué aussi les juges en cas de litige dans les quartiers. C’est une autre innovation car la tradition burundaise accorde ce rôle aux hommes investis dits les bashingantahe (intègres et vertueux). " C’est parce qu’on se rendait compte qu’il y avait des tas de litiges à régler, sans un seul homme pour ce faire ", explique Mme Nahimana de Kamenge aujourd’hui reconnue comme mushingantahe.
La réconciliation gagne du terrain
Depuis lors des associations semblables à Abaniki sont nées un peu partout dans ces trois quartiers toujours dans cet esprit d’entraide et de réconciliation. On en compte aujourd’hui des centaines. Leurs activités sont variées, mais l’esprit reste le même. C’est pour le partager que ces femmes se sont organisées pour porter assistance à leurs sœurs de Musaga (quartier tutsi au sud de Bujumbura) après la terrible attaque du FNL (Forces nationales de libération, le seul mouvement rebelle hutu encore en guerre) en juillet 2003.
Cette visite reste toujours gravée dans la mémoire des citoyens de Musaga qui, à l’époque, n’en croyaient pas leurs yeux. " C’est un appui qui nous aura le plus marqué d’autant plus qu’on ne s’attendait pas à un quelconque soutien des Hutus dans un contexte pareil où nos bourreaux étaient présumés être des Hutus du FNL ", déclare un habitant de Musaga qui affirme avoir reçu 20 kg de haricots grâce à leur soutien. Des liens d’amitié et de solidarité se sont dès lors tissés et entretenus si bien que les associations de Musaga leur ont rendu la pareille.
Dans leur détermination, les femmes entendent porter plus loin cette idée de réconciliation. C’est ainsi qu’elles ont créé des antennes d’association dans les provinces de Bujumbura rural, de Bubanza et de Cibitoke.
Cet article est offert par l’agence Syfia