* Concernant l’ " injure ", " sale pédé " adressé à une personne à raison de son " orientation sexuelle " est plus grave que " sale pute " adressé à une personne à raison de son " sexe ". De même : " C’est tous des tapettes " est plus grave que : " C’est toutes des putes ". Enfin, " T’es qu’une pute " adressé à un-e homosexuel-le est considéré comme plus grave que la même injure adressée à une femme.
Il en coûterait en effet 6 mois de prison et/ou 22 500 euros d’amende dans le premier cas, et 12.000 euros dans le second.
* Concernant la " diffamation " : " Il a eu son poste parce qu’il a couché avec son chef " si la diffamation concerne un homosexuel, elle est plus grave que : " Elle a eu son poste parce qu’elle a couché avec son chef". Il en coûterait en effet un an de prison et/ou de 45.000 euros d’amende dans le premier cas, et une amende de 12.000 euros dans le second.
3) Les articles 4, 5 et 6 du projet de loi modifient les articles de la loi de 1881 relatifs à la poursuite par le Parquet, la constitution de partie civile des associations, la prescription et la récidive.
Les mêmes - graves - différences de traitement entre les personnes victimes " à raison de leur orientation sexuelle " et " à raison de leur sexe " se retrouvent dans ces trois articles, lorsqu’ils traitent des délits de " diffamation " et d’" injure ".
Concernant les poursuites par le Parquet.
Selon l’article 4, le Parquet peut poursuivre seul, c’est-à-dire sans plainte de la victime, les infractions de diffamation et/ou d’injure lorsqu’elles visent les personnes à raison de leur " orientation sexuelle ".
Il ne le peut pas lorsqu’elle vise les personnes à raison de leur " sexe ".
Concernant les poursuites par les associations.
Selon l’article 5, une association peut exercer seule les poursuites, c’est-à-dire sans l’intervention de la personne concernée, en cas d’injure ou de diffamation liées à " l’orientation sexuelle " de la victime.
Elle ne le peut pas lorsqu’elle vise les personnes à raison de leur " sexe ".
Concernant les conditions de constitution de partie civile des associations.
Selon l’article 5, une association peut se constituer partie civile aux côtés des personnes qui ont déposé une plainte pour diffamation ou injure à raison de leur " orientation sexuelle ".
Elle ne le peut pas lorsqu’elle vise les personnes à raison de leur " sexe ".
Les associations qui ont pour objet " de combattre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou d’assister les victimes de ces discriminations " […] " pourront se constituer partie civile pour les trois délits - " provocation à la haine, à la violence et à la discrimination " , " diffamation ", " injures " - visés par le projet de loi.
Quant aux associations qui ont pour objet de " combattre les violences ou les discriminations fondées sur le sexe ou d’assister les victimes de ces discriminations ", elles ne pourront se constituer partie civile que pour le délit " d’incitations à la haine, la violence ou la discrimination ". Elles seront donc formellement interdites de le faire concernant les " injures " et les " diffamations ".
Concernant les délais de prescription [28].
Selon l’article 6-III [29] du projet de loi, le délai de prescription prévu pour les délits d’" injure " et de " diffamation " en raison de la seule " orientation sexuelle ", a plus que triplé : il passe de trois mois à un an.
Pour les mêmes délits commis en raison du " sexe " de la victime, la loi est maintenue inchangée et le délai - très court - pour déposer une plainte est maintenu à trois mois.
Concernant la récidive.
Selon l’article 6-II du projet de loi, l’aggravation des peines résultant de la récidive ne sera prononcée que pour les délits d’"injure " et de " diffamation " en raison de la seule " orientation sexuelle ".
Ainsi, une personne injuriée ou diffamée à raison de son " sexe " devrait déposer une plainte, personnellement, sans le soutien, les compétences et l’accompagnement d’une association, sans l’intervention du parquet, dans un délai de trois mois, sans pouvoir ni invoquer de circonstances aggravantes ni de récidive. Tandis qu’une personne diffamée ou injuriée à raison de son " orientation sexuelle " pourra ne pas déposer personnellement une plainte, pourra avoir le soutien d’une association et/ou du Parquet, pourra invoquer des circonstances aggravantes et la récidive, et ce, dans un délai d’un an.
Politiquement, dans la comparaison des possibilités juridiques ouvertes aux associations de lutte contre l’homophobie dont sont exclues les associations féministes et notamment celles qui luttent contre les violences faites aux femmes, il n’est pas possible de ne pas analyser cette exclusion comme un symbole de la délégitimation de leur raison d’être comme de leurs finalités [30]
L’analyse d’Odile Dhavernas permet de mieux comprendre les régressions actuelles. Voici ce qu’elle écrivait en 1985 : " En conférant aux associations qui luttent contre les discriminations fondées sur le sexe, la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile, le projet Roudy légitime, indirectement mais de façon certaine, le mouvement de libération des femmes et les actions menées par celui-ci depuis près de quinze ans ; car qui d’autre, jusqu’ici, s’est proposé de lutter contre les discriminations sexistes ? En accordant à ces associations, le droit de mettre en mouvement l’action publique, en leur conférant le statut de partenaire de l’action judiciaire, on leur reconnaît respectabilité, responsabilité et représentativité"[(<31> Odile Dhavernas, Op. cit. p. 9.]].
Ces cinq dispositions qui ont toutes pour objet de faciliter la poursuite et la condamnation des délits de " diffamation " et d’ " injures " commis au regard de la seule " orientation sexuelle ", disqualifient donc gravement, par comparaison, les personnes victimes des mêmes délits à raison de leur " sexe" [32].
En tout état de cause, l’accroissement de l’écart entre ces deux types de situation est si systématique qu’il ne peut être considéré que comme étant inhérent au projet.
Demander un " rattrapage " c’est pour les féministes ne pas prendre en compte cette réalité et faire donc une analyse politique erronée.
Quant à soutenir ce projet, c’est - notamment pour celles et ceux qui luttent contre l’homophobie - accepter de se voir garantir certains droits sur le sacrifice de ceux des femmes.
Leur responsabilité morale et politique est posée.
Ce projet de loi est inacceptable pour les lesbiennes
Dans le contexte de ce projet, les femmes lesbiennes ne peuvent être reconnues en tant que telles, pas plus que la " lesbophobie " [33], terme exclu du titre comme de l’exposé des motifs. Elles ne sont pas nommées - et donc pas reconnues. Mais, plus encore, la loi les clive entre deux termes qui tous deux sont censés les concerner : " orientation sexuelle " et " sexe ".
Dès lors les lesbiennes ne peuvent pas être prises en compte dans leur identité. En effet, comme toutes les femmes, elles sont régies, ont eu à vivre et subissent encore une loi patriarcale conceptualisée depuis des siècles par des hommes et pour les hommes. En tant que femme attirée par une autre femme - et sur ce fondement - elle est en outre l’objet de la contrainte à l’hétérosexualité, soumise à la lesbophobie ambiante, et victime de ce fait.
Dans le cadre de ce cumul de contraintes, le projet de loi lui demande de choisir - ce qu’elle n’a pas à faire, pas plus que le droit n’a à choisir pour elle.
Ce n’est qu’en partant du vécu des femmes lesbiennes - qu’elles ne partagent, sur ce seul terrain là - ni avec les femmes hétérosexuelles, ni avec les hommes homosexuels, qu’elles pourront être reconnues. Pour Marie-Jo Bonnet, "concernant les femmes lesbiennes, c’est l’homosexualité masculine qui sert de vecteur de visibilité et donc de référent juridique." À ce titre, non seulement la demande des associations féministes et/ou lesbiennes de nommer formellement dans la loi - et pas seulement dans son intitulé - le terme " lesbianisme " doit être satisfaite.
Ce projet de loi conduit politiquement à opposer les femmes lesbiennes aux femmes hétérosexuelles renforçant donc l’éternelle division entre les femmes, intrinsèque au patriarcat.
Ce projet de loi est inacceptable car l’emploi des deux termes " orientation sexuelle " et " sexe " est inapproprié
Du fait de l’emploi des termes eux-mêmes…
" orientation sexuelle "
Le terme d’"orientation " ne peut être employé pour qualifier la sexualité d’une personne homosexuelle. Pourquoi ?
Si l’on se réfère au dictionnaire, que lit-on au mot : " Orientation " ?
Selon Le Robert : 1."Détermination des points cardinaux d’un lieu (pour se repérer, se diriger). ’Elle n’a pas de sens de l’orientation’ ; 2. L’action de donner une direction déterminée. ’L’orientation des études. L’orientation professionnelle. Une conseillère d’orientation’ ; 3. Le fait d’être orienté de telle ou telle façon.= situation . Orientation d’une maison ; exposition ".
Quant au Littré, il précise : " A l’origine, ce terme se réfère à une chose que l’on dispose par rapport à l’Orient et par conséquent aux autres trois points cardinaux ".
Le terme d’" orientation sexuelle " ici employé signifierait qu’une identité sexuelle - ici homosexuelle - ne serait qu’une étape, un moment, due aux circonstances, aux influences, et donc quelque ’chose’ d’incertain, de modifiable, voire de curable. L’emploi de ce terme renvoie donc à ce stéréotype qui voudrait laisser penser que la sexualité des homosexuel-les serait non définie, non construite, passagère ; il laisse même penser qu’elle pourrait être définie, décidée en référence à d’autres.
Certes, le choix d’un tel terme est difficile et lourd de questionnements. Entrent en effet en jeu des " désirs ", des " penchants ", des " attirances ", des " inclinaisons ", des " sentiments ", des " préférences ", des " identités ", confus-es et/ou clair-es, inscrit-es ou non dans un moment de vie, apparaissant plus tôt ou plus tard dans la vie et toujours évolutif-ves. Mais ces difficultés doivent alors devenir une raison supplémentaire pour que la question ne soit pas, avant tout débat public, tranchée.
Le terme " sexe " lui-même assimilé, dans ce projet, à " femme " ne comporte quant à lui, pas même la nouveauté critiquable du terme " orientation " déjà évoquée.
Odile Dhavernas, avait clairement présenté le débat : " L’ambiguïté du mot " sexe " en français a admirablement servi la confusion du débat. Car quel est ce sexe que l’on assimile purement et simplement à l’organe du même nom ? Quoi de moins innocent que l’expression " Les personnes du sexe " ? Publicitaires et journalistes ne se sont pas privés de jouer de ce double sens, en interprétant le projet de loi tendant à lutter contre les discriminations fondées sur le sexe comme une machine de guerre contre la sexualité, et sa mise en scène et son image. (Cf., le titre de la couverture de Libération du 10 Mars 1983 : " La loi cache sexe "). Mais par là même, ils ont laissé échapper un aveu essentiel, ils se sont trahis. Comment affirmer plus ouvertement que la femme constitue le matériel pornographique de base et doit le rester ? que penser " femme ", c’est penser " cul ", d’abord et avant tout ? L’idée que les femmes ne se considèrent pas essentiellement comme des " culs " et mettent peut être leur dignité ailleurs ne semble avoir effleuré personne. (Cf. Béatrice Slama, " Le débat continue - La loi antisexiste à travers la presse, Les Temps Modernes, juillet 1983.) Nul bien évidemment ne s’était avisé de dénoncer la " censure " ou le " moralisme " à propos de la loi antiraciste ; recourir à ces notions lorsqu’il s’agit d’appliquer le même texte aux femmes en dit long sur l’usage prioritaire que l’on entend réserver à celles-ci, ou du moins, à leur représentation. " [34]
Non, les femmes ne sont pas le " sexe ", non, les femmes ne peuvent être réduites à leur " sexe ", non les femmes ne sauraient être qualifiées par leur " sexe ". Les hommes aussi ont un sexe.
Que les adversaires des divers avatars de la loi dite antisexiste aient fait croire, aient cru eux-mêmes, qu’ajouter le mot " sexe " à la loi serait synonyme de lutte contre le sexisme est compréhensible, dans l’ordre des choses : l’histoire de l’antiféminisme est faite d’amalgames qui transforment la moindre réforme en arme des "féministes partant à la guerre des sexes".
Mais qu’Yvette Roudy et les féministes qui l’ont précédée [35] et suivie n’aient pas clarifié la différence a considérablement gêné la réflexion féministe depuis trente ans.
Ainsi, le " sexe ", au même titre que l’"orientation sexuelle " concernant aussi bien les femmes que les hommes concernent donc tout le monde et donc ne concerne donc personne en particulier.
Du fait de l’assimilation de l’expression " orientation sexuelle " à " homosexualité " [36]d’une part et du terme " sexe " à " femmes " d’autre part.
En effet, l’emploi du terme d’ " orientation sexuelle " ne peut s’appliquer aux seul-les " homosexuel-les " : il peut s’appliquer à tous et toutes, hommes et femmes, hétérosexuel-les et homosexuel-les.
En outre, dans cette confusion conceptuelle, quel statut accorder - dans la loi - à tous ceux et celles qui vivent sans avoir de relations sexuelles [37] ?.
Il est donc difficile de considérer que cette expression puisse, sauf ponctuellement, être considéré comme étant, pour les homosexuel-les, une avancée.
Quant à l’ajout du terme " sexe " au projet de loi, il ne peut en aucun cas être considéré comme synonyme de lutte contre le " sexisme ".
Enfin, quel est cet être humain qui se profile à l’horizon de notre droit et qui serait qualifié par sa définition " sexuelle " ? Ce bouleversement théorique d’envergure mériterait une réflexion à la mesure des dangers dont il est porteur.
Ce projet est inacceptable car il a ouvert la voie…
…au vote d’une loi qui permet l’expulsion d’étranger-es pour un délit pour lequel les français ne peuvent être aujourd’hui sanctionnés.
La loi du 26 novembre 2003 relative " à la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers en France " avait modifié le régime de " la double peine ". La loi 2004-735 du 26 juillet 2004 - réponse politique à l’impossibilité alléguée de poursuivre sur des fondements légaux les propos tenus par l’Imam de Vénissieux - a étendu les cas déjà prévus aux " actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes " [38]
Elle est ainsi rédigée : "Sauf en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes [l’étranger] ne peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion, y compris dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l’article 25 ".
En l’état actuel du droit, des étranger-ères peuvent donc être expulsés pour des motifs pour lesquels des françai-ses ne sont pas condamnables.
Et si ce projet devait être voté, certes les français-es et les étrangers-ères seraient alors égaux quant à la peine à laquelle ils/elles pourraient être condamné-es, mais l’injustice de la double peine, elle, perdurerait.
En conclusion
Un projet de loi pensé, initié par des associations homosexuelles et pour des homosexuel-es ne peut donc conceptuellement être ’rafistolé’ in fine de manière à ce que les femmes et les féministes y trouvent leur place.
Dès lors, outre les critiques déjà évoquées, considérer que le projet gouvernemental relèverait d’un " déséquilibre " [39] qu’il faudrait alors simplement redresser ne prend pas en compte le fait que la différence de traitement en faveur des personnes désignées par le critère d’ " orientation sexuelle " et au détriment de celles désignées par le critère de " sexe " est consubstantielle au projet lui-même.
La revendication faite par les associations féministes d’un alignement des dispositions relatives au " sexe " sur celles relatives à l’ " orientation sexuelle " n’est donc pas pertinente, car elle n’est ni juridiquement, ni politiquement justement analysée.
Au terme de notre analyse, il ressort que si la subordination du " sexe " à l’ " orientation sexuelle " et du sexisme à l ’ homophobie n’est pas possible, la comparaison ne l’est pas non plus.
Ce n’est qu’en pensant l’articulation de l’hétérosexualité et de la domination masculine que des lois contre l’homophobie et contre la lesbophobie seront justes.
Quant à une loi " anti-sexiste ", le qualificatif " anti-sexiste " est impropre et doit être abandonné. Visant indifféremment les deux sexes et ne pouvant de ce fait remettre en cause la domination masculine, une telle loi ne peut répondre aux demandes des femmes et des féministes d’un texte permettant de combattre l’ensemble des manifestations de la haine et du mépris à l’encontre des femmes.
L’absence de toute politique gouvernementale de lutte contre les violences masculines à l’encontre des femmes ne saurait éternellement perdurer.