Que ne nous sommes-nous cotisées pour offrir à J.P. II un séjour sous les tropiques ! Le pauvre a dû se rabattre sur Lourdes où il a, à la faveur de la journée dédiée à sa chouchoute Marie (le 15 août, pour les mécréantes), bravé la chaleur et ce que nous appellerons nous aussi pudiquement la fatigue, pour nous lancer un appel papéthique à nous, "sentinelles de l’invisible". Vain dieu, la belle image ! Mais qu’entend-il au juste par là ? Nous aurions la "mission particulière" de protéger les "valeurs essentielles qui ne peuvent se percevoir qu’avec le cœur".
De nos jours, quand on entend "valeurs", on aurait tendance à retrousser les babines, tant ce beau mot recouvre de vilaines choses. En l’occurrence, exposées dans une lettre de 37 pages adressée fin juillet par le pape aux évêques de l’Eglise catholique. 37 pages ! Dans son état ! Il faut dire que la Congrégation de la doctrine de la foi (dirigée par le cardinal Ratzinger – comme qui dirait la voix du Vatican) a tenu la plume. Qu’on se rassure : la relève est assurée et l’idéologie survivra au bonhomme.
Bref, dans ces 37 pages, Sa Sainteté répond, 55 ans plus tard, à Simone de Beauvoir : on ne devient pas femme, on l’est, na !, soutient-il en substance au nom de "l’anthropologie biblique" - par opposition à "certaines conceptions anthropologiques contemporaines", dont le pieu document propose une "évaluation critique" en préambule. Cette "tendance" dont la "motivation la plus profonde doit être recherchée dans la tentative de la personne humaine de se libérer de ses conditionnements biologiques" entraîne à de fâcheux débordements : "mise en question de la famille", "mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité", etc. Et, horreur suprême, elle "considérerait comme sans importance et sans influence le fait que le Fils de Dieu ait assumé la nature humaine dans sa forme masculine.".
Effectivement, il faut sévir. Car si ce "fait" comptait pour des prunes, de quel droit le pape nous dirait-il comment nous devons être pour nous conformer au "déterminisme biologique" ? Or, il nous le dit, en ouverture du chapitre III plaisamment intitulé "L’actualité des valeurs féminines dans la vie de la société" : "Parmi les valeurs fondamentales qui sont rattachées à la vie concrète de la femme, il y a ce qui est appelé sa "capacité de l’autre". La femme garde l’intuition profonde que le meilleur de sa vie est fait d’activités ordonnées à l’éveil de l’autre, à sa croissance, à sa protection, malgré le fait qu’un certain discours féministe revendique les exigences "pour elle-même"." Nous ne sommes qu’amour, c’est ça, le "génie féminin". Et si le document insiste pour qu’on nous laisse une petite place sur le marché du travail et dans les instances de la société, ce n’est pas pour que nous nous y éclations, mais pour que nous y défendions les fameuses "valeurs" dont notre " intuition ", "liée à [notre] capacité physique de donner la vie" nous fait les gardiennes. Pour que nous puissions encore mieux assumer une de nos missions, "rappeler, à travers les larmes, le prix de toute vie humaine".
Quelle émotion ! Malheureusement, des trublionnes menacent la réalisation de ce magnifique programme, celles qui en tiennent pour la "tendance" qui "souligne fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation." Depuis que les féministes ont inventé la "rivalité entre les sexes", tout va de travers ! Pour redresser la barre, il faut en revenir aux textes bibliques, qui nous disent clairement : "Le désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi" (Gn 3,16). Entre autres, car on nous fournit plus d’une preuve de "l’importance de la différence des sexes", en vigueur depuis la création selon ces observateurs avertis.
Et ça passe tranquillou ! La santé de Sa Sainteté passionne davantage que les régressions qu’il installe avant de partir. S’appuyer sur les textes "saints" pour légitimer les discriminations, ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Alors ? On bouge ou on attend d’être lapidées ?
PS : Cette Lettre aux évêques de l’Eglise catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Eglise et dans le monde peut être consultée sur :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/ rc_con_cfaith_doc_20040731_collaboration_fr.html
Bon courage !