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Syndicalistes et fières de l’être - suite

mercredi 30 juin 2004, par Dominique Foufelle

Les témoignages de femmes engagées dans des syndicats publiés dans le premier volet de ce dossier l’ont mis en évidence : s’imposer comme militante à part entière, et plus encore comme syndicaliste ET féministe, ça n’a pas été une mince affaire pour les "aînées" ! Il y en a même qui y ont laissé leur peau…
Aujourd’hui, il s’agit toujours de faire se rejoindre lutte des classes et lutte contre l’oppression spécifique des femmes. Si possible avec la solidarité des camarades de sexe masculin – et là, la situation n’a pas évolué de façon spectaculaire.
Pendant ce temps-là, la précarisation des travailleurs en général et des travailleuses en particulier allait galopante. Et les femmes de peiner encore pour faire entendre leurs voix dans des luttes sociales d’un nouveau type : celles des exclu(e)s.

La situation des femmes sur le marché du travail n’a jamais été brillante. La " crise " aurait-elle enrayé sa progression ? Voire. Car la division sexuelle du travail, directement importée de la vie familiale à la vie professionnelle, repose sur une vieille scie : la " nature " des femmes, " différente " de celle des hommes, posés en référents. Les dames mettraient en jeu plutôt leurs qualités que leurs compétences – et à trop vanter les unes, on nie habilement les autres. Au premier rang de ces " qualités naturelles ", arrivent bien sûr la disponibilité et le dévouement, dans le prolongement de leur travail domestique " traditionnel ", évidemment gratuit. Ce schéma est si bien intériorisé qu’il légitime les disparités de responsabilités et de salaires, " naturellement ", sans que nul(le) (hormis les mauvais esprits) n’y trouve vraiment à redire (L’oppression spécifique des femmes, une construction sociale, par Jacqueline Heinen).
Il présente un vernis de dévotion (Merci pour tout, les filles !), gaillardement gratté par les infirmières et leur slogan " Ni nonnes, ni bonnes, ni connes ". Mais dans l’intimité des ateliers, on ne s’embarrasse pas de galanterie : les ouvrières sont une main d’œuvre fragile parce que chargées de famille pour la plupart, donc corvéables, interchangeables, ne méritant pas le plus élémentaire respect (Lutte des femmes - Femmes en lutte, débat).

De la flexibilité à la précarité


Cette acceptation consensuelle de la division sexuelle du travail (y compris du travail domestique) facilite grandement la tâche du patronat. Elle a permis de faire passer le temps partiel pour une avancée sociale, réservée aux femmes, seules à vouloir " naturellement " concilier vie professionnelle et vie familiale (ici synonyme de vie privée). Jusqu’à ce que le temps partiel " choisi " cède largement la place au temps partiel imposé, et entraîne une servitude accrue (Flexibilité et précarité du travail des femmes – le cas du travail partiel, par Tania Angelof).
Flexibilité = liberté ? Dans un monde égalitaire, peut-être. Mais dans le monde tel qu’il est, de plus en plus inégalitaire, flexibilité = précarité. De l’entre-deux du temps partiel, on bascule facilement dans le gouffre du saisonnier, du chômage chichement compensé (on n’ose dire rémunéré), des minima sociaux. Tout juste tolérées sur le marché du travail, les femmes en ont été parmi les premières éjectées. En première ligne, donc, des mouvements des "précaires" ? Non, car là non plus, être dans la même galère ne modifient en rien les rapports sociaux de sexe (Pauvreté, précarisation : l’état de lieux en France, par Claire Villiers).

Tenir compte des réalités


Travailleuses, précaires, chômeuses… Toutes luttent pourtant. Mais on les voit peu. On ne sait même pas combien elles sont – car dans ce domaine non plus, il n’existe pas de statistiques sexués (Les femmes dans les luttes et les mouvements sociaux, par Josette Trat). En dépit des évidences, on vit encore dans le mythe du neutre, des revendications universelles parce que non sexuées.
Et pour les militantes, affirmer une spécificité des revendications féminines, cela reste un sacré boulet. Elles n’ont pas l’intention de s’y enfermer, mais ne peuvent l’éviter non plus – tout simplement parce que c’est une réalité. Alors, comment faire comprendre ce " non-choix " aux camarades garçons. Leur faire comprendre que, oui, il leur appartient aussi de faire évoluer les mentalités (à commencer par la leur, individuellement) - mais que cette exigence vise à intensifier et unifier les luttes, pas à les embêter (Femmes et syndicalisme, débat).
L’inlassable et pourtant si lassant combat quotidien des féministes, en somme ! Plus que jamais indispensable, parce que la situation s’aggrave. L’exclusion du marché du travail s’accompagne logiquement du retour à un " ordre moral " : mariages précoces, avec joies du foyer au programme. Sans que cela ne soulève de tollé (Les droits des femmes : un combat d’actualité, entretien avec Josette Prat).
Par quel bout faut-il commencer ? Changer les mentalités ou changer le système ? (La place des femmes dans le renouveau syndical, par Marie-Thérèse Patry). Les syndicalistes féministes (ou vice-versa) n’attendent pas (plus) les lendemains qui chantent : elles prennent les deux de front. Lier lutte des classes et lutte des femmes, proposer des changements à l’intérieur des organisations comme dans la société… Bon courage, et merci !

Ce dossier et le précédent ont été réalisés par Anne Marchand.
Avec tous nos remerciements à Annick Coupé (G10) pour ses contributions, à Nelly Martin (commission femmes de Sud-PTT) pour les Actes des rencontres intersyndicales femmes, à toutes celles qui y ont contribué, à Béatrice Vincent et aux éditions Agone pour leurs textes, à Patricia, Fathy Mayant et à Gisèle Moulié pour leurs témoignages, à toutes pour leur confiance et à la mémoire de Georgette Vacher, responsable du secteur féminin de la CGT Rhône-Alpes, qui s’est donnée la mort en octobre 1981.

P.-S.


Dominique Foufelle - juin 2004

Photo : ouvrières de chez Levi’s à la Bassée manifestant contre la fermeture de l’usine - DR

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