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Luttes de femmes - Femmes en lutte

mercredi 30 juin 2004, par Dominique Foufelle

Des ouvrières surexploitées, des chômeuses, des femmes en situation de précarité, des militantes associatives et syndicales, témoignent de leurs luttes. Et lancent des pistes de débat : à des conditions spécifiques de travail et de vie, correspond-il une façon spécifique de concevoir et de mener les luttes sociales ? Comment faire évoluer les relations hommes/femmes au travail, dans les syndicats et dans les mouvements ?

Débat tiré des Actes des rencontres intersyndicales femmes, 1998.

Brigitte de MaryFlo :
MaryFlo est une entreprise de confection féminine qui produisait pour des grandes marques comme Un Deux Trois, Naf Naf, Camaïeu, etc. A partir du moment où Mr B. a été embauché, l’usine s’est dégradée. Il prenait les ouvrières pour des esclaves et demandait des productions impossibles à réaliser, alors que toutes les filles donnaient le meilleur d’elles-mêmes. Elles étaient chronométrées et il insultait les plus faibles. Excusez-nous des termes, mais il nous traitait de "putasse, pétasse, avez-vous vos règles ou quoi ? salope...", etc. Au point que certaines d’entre nous faisaient des crises d’épilepsie ou des dépressions nerveuses. La plupart des ouvrières étaient obligées d’aller à leur travail avec des anti-dépresseurs pour pouvoir tenir la journée. Un jour, le médecin du travail a ordonné aux employées de sortir pour déclencher une grève, vu l’état de santé des filles. Elle a duré 2 ou 3 jours mais ça n’a servi à rien, M. B. était toujours aussi ignoble. Les ouvrières se sont donc remises en grève en demandant l’expulsion immédiate du directeur. La patronne n’a pas voulu nous satisfaire, la grève a duré et du coup, l’entreprise a perdu des parts de marché importantes. Plus tard, on a gagné mais la patronne nous a licenciées pour ne garder que 38 filles. Les 68 licenciées - dont nous deux - nous sommes marquées au crayon rouge ; on ne retrouve plus de travail, dans la région. Mais on ne pouvait pas tenir non plus à se faire insulter comme ça.

Céline, Servair :
Je travaille à la Servair qui se trouve sur Roissy-Charles de Gaulle. C’est une société qui prépare les plateaux-repas pour les avions. Je suis dans l’entreprise depuis 10 ans. On est à peu près 1 600/1 700, ça varie. Il y a un problème de précarité énorme, une majorité d’hommes mais quand même pas mal de femmes. Comme par hasard, toutes ces femmes sont à des postes moindres, à la chaîne, tandis que le leader de chaîne est le plus souvent un homme. Toutes les demi-heures, il augmente la cadence et il harcèle les femmes pour qu’elles travaillent toujours plus vite, qu’elles en fassent toujours plus... Ces femmes travaillent avec une soufflerie qui leur tombe carrément sur les épaules. Elles doivent tenir avec une température entre 10 et 12° pendant 8 heures. Ça fait du vent et elles sont toujours en courant d’air, ce qui signifie des courbatures, des problèmes de cervicales et, à long terme, de l’arthrose. En plus, beaucoup de femmes travaillent dans le service matériel de bord. Elles préparent tout ce qui est porcelaine, tout ce qui est couverts et ont des bacs très lourds à porter. Une fois, il y a une copine qui est venue en disant : "c’est trop lourd, je ne comprends pas qu’on nous fasse porter des bacs aussi lourds ; allons-y, on va aller faire un petit tour dans le service ". On a pris carrément deux bacs au hasard, on ne les a pas choisis parce que c’était les plus pleins, les plus gros, non, on a choisi deux bacs au hasard. Le premier bac, il pesait 32 kg, le deuxième, 48 kg ! La loi permet 25 kg. Quand on proteste, le chef de service fait des pressions : "Toi, dans ta famille, vous êtes combien à travailler dans la même boîte… ? Si la boîte elle ferme, vous ferez quoi ?". C’est une pression continuelle, du harcèlement moral.
En février 97, c’est le ras le bol, une grève éclate. Ce qui est rare chez nous c’est que c’était une grève partie d’un groupe de femmes. Elles travaillaient sur des chaînes et en avaient marre parce qu’il n’y avait pas assez de personnel et qu’on leur en demandait toujours plus ; toujours plus de cadence, toujours plus de plateaux, toujours plus, toujours plus ; sans effectif supplémentaire, sans rien donner. La grève a quand même duré 19 jours, de jour et de nuit. Ça fait long, 19 jours. Ça implique beaucoup de problèmes : la garde des enfants, les problèmes dans le couple, dans la vie de famille. On a été assigné au tribunal, on a eu les huissiers... la totale quoi. Il y a eu les accords signés en catimini par certaines organisations syndicales, les forces de l’ordre appelées par la direction, et puis les problèmes de l’après-grève quand on reçoit sa fiche de paye, et puis qu’on regarde tout en bas, à droite ou à gauche sur le papier... comment on va faire ? !

Une intervenante :
Juste deux remarques… Pour Servair, tu as posé le problème du manque d’argent à la fin des grèves. C’est vrai qu’au niveau syndical il n’y a pas assez de relais quant à la solidarité financière. Ce n’est pas de la mendicité, c’est de la solidarité. Que ce soit Servair ou Maryflo, ça montre que les luttes actuelles sont sur la défensive et que, quand c’est possible, il faudrait l’extension, par exemple aux autres personnels d’Air France

Céline, Servair :
Pour ce qui est de la solidarité, il y a eu une caisse de grève. Ceux d’Air France sont venus nous soutenir, nous remonter le moral. De là à se mettre en grève...

Catherine, Servair :
La grève a porté aussi sur les disparités salariales. Elles sont encore là actuellement. Et je dirai aussi que les femmes étaient très présentes dans la grève. D’habitude, il y a un archétype : les femmes doivent rentrer chez elle pour garder les enfants. Là, elles ont été sur le terrain pendant 19 jours.

Maria, Servair :
La femme, à la Servair, elle n’existe pas. Le travail qu’elle fait n’existe absolument pas non plus. La plupart du temps, on a l’impression qu’on fait un travail d’homme tout en étant payées comme des femmes.

Étienne :
Moi, après avoir vu le reportage qui est passé sur Arte, j’ai eu vraiment envie de remercier les copines de Maryflo. On a vraiment eu la sensation que le mouvement que vous avez fait était complètement du mouvement des femmes. C’est quant même extrêmement rare de voir un mouvement dur, fort, qui se fait simplement sur la base du respect de l’individu.

Liliane, Maryflo :
Je voulais dire qu’on a peut-être perdu notre travail mais qu’on s’est battu pendant 4 semaines, 4 longues semaines. On est fières parce qu’on ne s’est pas laissées faire. On a refusé de se faire traiter de tous les noms quand on allait au boulot. Avant même d’arriver à l’usine, c’était déjà la peur, la peur de ce qui allait se passer dans la journée. Et quand on commence le travail dans ces conditions, c’est dur quoi, c’est très dur. Mais bon, aujourd’hui, c’est vrai qu’on a perdu notre travail mais on est fières d’avoir lutté et d’avoir gagné.

Annick, SUD PTT :
Ces témoignages nous resituent un peu la réalité aujourd’hui du travail ouvrier : les chaînes, les cadences infernales..., des choses qu’on n’entend plus beaucoup dans les discours sur le monde du travail. C’est aussi pour redire ce qu’est l’exploitation aujourd’hui que ces luttes ont été importantes ; des mots qu’on n’ose plus prononcer et qui sont pourtant la réalité. Par rapport à ce qu’a dit la copine de Servair, je voudrais parler de ces boîtes qui sont des filiales sous-traitantes de grosses entreprises. On sait bien que c’est plus difficile de se défendre dans les petites boîtes, que le fait syndical y est moins présent. Nous avons une responsabilité dans les grosses boîtes qui sont donneuses d’ordres. Dans le cas de Servair, Air France avait aussi une responsabilité. Nous sommes tous confrontés, dans les grosses boîtes publiques ou du secteur public à de la sous-traitance. C’est vrai à la SNCF, ça va être vrai aux Télécom et à La Poste demain. Pour conclure, je voudrais poser une question. Dans ces deux luttes, c’est bien la question des conditions de travail qui est posée, au sens physique du terme - porter des poids de 45 kilos, avec des problèmes de dignité très forte. La question est : y a-t-il eu appel à l’Inspection du travail ? Est-ce que ça a servi à quelque chose, est-ce que ça n’a pas été possible... ?

Céline, Servair :
Les médias nous avaient proposé une émission mais ils la voulaient sur le harcèlement sexuel. Je sais que cela existe, on a un dossier sur ce problème dans l’entreprise, alors il faut s’en occuper. Mais les journalistes focalisaient franchement sur ce seul sujet. Le harcèlement moral, on n’en parlait pas ; les mauvaises conditions de travail, on n’en parlait toujours pas ; la précarité, c’était pas la peine ; les écarts de salaires non plus.

Marithé, SNUIpp :
Au sujet des relations hommes/femmes dans le monde du travail : quand on est dans l’enseignement, on est moins au courant de ce genre de choses. Les hommes syndicalistes sont-ils des compagnons de lutte ? Est-ce que dans les syndicats, vous pouvez aborder ce sujet entre vous ? Est-ce que vous pouvez revendiquer que des femmes aussi puissent être responsables et prétendre à des postes moins difficiles, comme des hommes ? Est-ce que les hommes travailleurs qui ont aussi des bas salaires, des conditions de travail difficiles, sont mieux considérés dans l’entreprise ? Comment sont les hommes syndicalistes aujourd’hui ? Est-ce qu’ils sont solidaires ou pas de leurs collègues femmes ?

Liliane, Maryflo :
Dès juillet, quand ce nouveau chef est arrivé, il m’a attaquée. Je faisais partie du C.E. avec une autre qui était plutôt du côté du patron. Moi, je ne pouvais rien faire. A cette époque-là, il n’y avait pas de syndicat. Aussitôt, j’ai voulu ouvrir ma bouche parce qu’il insultait les filles. C’est un monsieur qui ne s’est jamais présenté, à part en tapant contre les cloisons. Il est venu à ma machine me chronométrer. Je faisais 12 doublures à l’heure et j’estimais que ce n’était déjà pas mal. Il me dit : "non, non, ce n’est pas 12, c’est 20 " ; " Comment 20 ? ". A force de parler avec lui, il me dit : "Bon, ben, 19". Je réponds : "19 ? Venez à ma machine et montrez-moi pour faire les 19, montrez-moi votre méthode à vous pour aller plus vite ". Il a été incapable de répondre et a dit : "Ce n’est pas mon rôle, c’est à vous de faire ". Et ce jour-là, il m’a prise à part, puis une autre, et ainsi de suite… Là, on est parti en grève 3 jours. Au bout de 3 jours, on est rentré parce que Mme Guéta, la patronne de l’usine, nous avait promis qu’il ne recommencerait plus, qu’il ne nous dirait plus d’injures... Mais on est rentré et les injures ont recommencé. En décembre, il nous disait : "Vous êtes mes jouets, si j’ai envie de vous casser je vous casserai". Le 6 janvier, on s’est mises d’accord pour arrêter. On a mené une lutte de 4 semaines, on est resté 8 jours dehors avec la neige, ensuite on a occupé les locaux pendant 3 semaines et on a gagné le 5 février.

Fabienne :
Je travaille dans une compagnie aérienne pakistanaise depuis 30 ans. J’occupe le poste de commerciale et j’étais également déléguée du personnel. En tant que femme travaillant avec des musulmans, que je respectais puisque j’ai travaillé chez eux pendant 30 ans..., j’ai subi des pressions, en tant que déléguée du personnel et en tant qu’employée de la boîte. Je faisais plus de 80 % du chiffre d’affaires, ça n’a jamais été reconnu ; on a monté les collègues contre moi pour essayer de me faire quitter la boîte. J’ai été isolée pendant 2 ans dans un bureau au fond d’une cour. Je défendais pas mal mes collègues, j’en ai sauvés du renvoi. J’avais décidé d’adopter une espèce de lutte passive c’est-à-dire que je subissais, j’allais dans mon petit bureau toute seule, je n’avais plus d’appels téléphoniques... je vivais, en fait, à l’écart... Ça a eu d’abord un impact sur ma santé, mentale et physique, et sur ma vie familiale. Je suis une femme célibataire, je l’ai choisi ; travaillant dans une compagnie musulmane, c’était très mal accepté. Il y avait un manque de solidarité entre femmes ; des femmes ont été odieuses et ont joué le rôle de la direction. J’ai eu affaire à l’inspectrice du travail, qui est une amie et membre de la CFDT. Si j’ai gagné, j’ai l’impression de m’être vraiment abîmée.

Une intervenante SNPES-PJJ :
J’avais été très frappée, au moment de la grève des Routiers, du portrait de la déléguée de Nantes, une femme dans ce milieu très masculin. Je travaille au ministère de la Justice et suis de la même région que Maryflo. Leur lutte me semble être de celles qui ont déclenché le retour de la lutte des classes et le retour des valeurs féministes qui avaient été tellement salies qu’on avait honte de se dire féministes. Une grève ou une lutte, ça n’a pas le même poids dans le public ou dans le privé. J’ai trouvé qu’elles avaient mis en actes ce qu’on exprime souvent en mots, et je me sens très humble vis-à-vis des deux copines. Les femmes bretonnes étaient déjà apparues, en tant que femmes de dockers, femmes de pêcheurs... mais quand même présentes.

Une des copines de Servair :
C’est une entreprise créée en 1974. L’embauche a été faite dès le début avec des gens qui arrivaient d’Asie. A Servair, il y a une ambiance extrêmement dure avec un chantage facile parce qu’il y a parfois 2, 3, 4 membres de la même famille qui travaillent dans la même entreprise. Autre aspect, c’est celui du poids d’Air France. C’est une filiale à quasiment 100 %. Il est très dur de faire passer quelque chose dans la presse étant donné le poids de la compagnie nationale, un black-out quasiment total. Sur Air Algérie, on a eu une déléguée qui s’est suicidée, deux autres qui ont démissionné. Il y en a encore une qui tient le choc, mais avec des pressions et des répercussions sur sa santé extrêmement fortes.

Claire, CFDT ANPE :
Le portrait de "Libé" a été écrit par une femme (rires), je vous laisse méditer ça ! Je voudrais repartir de ce que disait une des copines de Maryflo : "Quand on se bat on ne retrouve rien". Dans une petite ville, se battre dans son entreprise c’est déjà difficile. Alors, quand on est chômeur, et surtout quand on est chômeuse, pour retrouver du boulot… Contrairement aux hommes, pour les femmes le droit à un emploi salarié n’est jamais quelque chose d’acquis. Autant les hommes, quand ils sont au chômage, n’ont pas de problème de légitimité à revendiquer un emploi, autant pour les femmes, ça n’est jamais gagné. Il faut toujours qu’on justifie le fait qu’on veut retourner sur le marché du travail, avoir un boulot. Cela rend encore plus difficile de rentrer dans une bagarre collective, en tant que chômeuse, sans-emploi, privée d’emploi, peu importe la formule.
Etre chômeuse c’est plus difficile qu’être chômeur : on est moins bien indemnisé puisque l’indemnisation est liée à l’emploi qu’on avait avant, et si on avait du temps partiel ... Le RMI ou l’ASS ne sont pas des droits individuels. Ce sont des droits liés aux ressources du foyer. Ainsi, souvent les femmes n’ont pas droit à ce qu’elles auraient dû avoir comme droits propres. Il y a tout un tas de petites réglementations... On n’a plus de place à la crèche, on ne peut plus laisser ses mômes à la cantine, etc. Ce sont des revendications qu’il nous faut porter dans le mouvement des chômeurs.
C’est vrai qu’en ce moment il n’y a pas d’expression autonome des femmes. C’est en discutant à quelques-unes pour préparer cette réunion d’aujourd’hui qu’on s’est dit que, dans A.C !, il faudrait qu’on recrée une commission "Femmes". Il y en avait une au début. Ceci dit, dans les revendications qui sont portées, l’affaire des minima sociaux concerne vraiment au premier chef les femmes. Parce que le relèvement des minimas sociaux, c’est évidemment la volonté d’avoir de quoi vivre. C’est une mesure de stricte justice, tout le monde comprend ici qu’il n’est pas possible de vivre avec 2000 balles. C’est aussi le refus d’avoir un revenu qui serait de nouveau un revenu d’appoint. Le relèvement des minimas sociaux, c’est très clairement la possibilité de résister au temps partiel imposé. C’est un outil de résistance à la précarisation, au temps partiel imposé et, d’une certaine manière, à la baisse des salaires. Or, nous avons des difficultés pour que les femmes salariées reprennent à leur compte cette affaire de relèvement des minima sociaux et d’indemnisation du chômage comme une revendication qui les concerne, qu’elles doivent s’approprier ; une solidarité par rapport à celles qui sont au chômage, un outil de résistance. J’insiste beaucoup là-dessus parce que je crois qu’on a besoin que ce soit une lutte commune. Cela nous renvoie bien évidemment au fait que les femmes - comme les hommes - ne sont pas syndiquées quand elles sont au chômage. Il nous faut sur cette question réfléchir au-delà du strict syndicalisme. Je tenais beaucoup à ce que des copines qui ne sont pas syndicalistes, mais qui sont dans des "assos", Martine dans A.C. !, Malika de l’APEIS, viennent ici. Les questions que pose le mouvement des chômeurs-chômeuses le sont à la fois par des syndicalistes et par des associatifs. Dans cette bagarre, les femmes apportent quelque chose de particulier. Quand on lutte contre le chômage, il y a moins de cases étanches. Dès qu’on est au chômage, immédiatement, tous les problèmes se posent : la santé, le logement, les enfants, etc.

On a de fortes interrogations sur les formes d’action, sur les rapports entre les hommes et les femmes. Il y a plein de problèmes dans ce mouvement : beaucoup de violence, beaucoup de sexisme. La situation est violente, l’urgence sociale est violente. Les femmes en prennent "plein la gueule", y compris avec les militants et ça il faudrait qu’on en parle.
Je terminerai en tirant les premiers enseignements de cette lutte : nous sommes partis des revendications les plus concrètes - relèvement des minima sociaux, la prime de Noël, une allocation exceptionnelle, le droit pour les jeunes à une allocation - et nous sommes arrivés à ce qui est le plus général - la répartition des richesses, la contestation du mode de production et, d’une certaine manière, la mise en question de l’organisation sociale et économique, bref, du capitalisme. C’est une vraie leçon pour tout le monde. Ça répond bien aussi à la manière dont les femmes fonctionnent : on part de choses très concrètes, mais on en tire des leçons et, du coup, nos luttes portent bien évidemment des enjeux qui sont tout à fait au-delà.
Un autre enseignement, c’est cette volonté de rompre avec l’assistance et d’acquérir des droits. Et ça, je crois que c’est une constante des bagarres des femmes, pouvoir véritablement gagner des droits. Aujourd’hui, quand on parle de droit à l’emploi, de droit au logement, de droit aux soins, de droit pour les jeunes, ça rompt complètement avec le projet de loi contre l’exclusion de type "vous verrez, les pauvres, ils ont beaucoup de difficultés, il faut leur construire des parcours... Il va y avoir du boulot pour les travailleurs sociaux, je vous préviens !...". La revendication ne part pas de ce qui est possible mais des besoins : pour vivre, nous avons besoin de 1 500 F de plus tout de suite, nous avons besoin d’un emploi. On ne sait pas si c’est possible et on s’en fout ! Il y a une reconquête de l’autonomie du mouvement social mais aussi, une certaine manière de réhabilitation des politiques parce que c’est leur boulot de trouver des solutions et à nous de construire le rapport de forces. C’est une contestation importante de la société ; on demande ce dont on a besoin, et si le capitalisme, même dans sa version gestion sociale-démocrate n’est pas capable d’y répondre, eh bien il faut trouver autre chose. Quand je le dis, c’est facile. Néanmoins, je crois que ça réouvre beaucoup de perspectives de reconstruction d’alternatives. Nous disons qu’il faut répartir les richesses autrement ; mais, en général, on ne répartit que ce qui nous appartient ; donc, il faut se les approprier. La question de la propriété sociale est aujourd’hui de nouveau posée. Le débat collectif sur la répartition des richesse était complètement passé en dessous, et, aujourd’hui, ce sont les chômeurs et les chômeuses qui le reposent avec beaucoup de force. C’est un cadeau extraordinaire.
Dernière chose : ce mouvement n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu un acharnement à construire l’unité entre les syndicats et les associations. J’ai constaté que dans le mouvement, les femmes ont eu ont cette volonté absolue de privilégier ce qui rassemble par rapport à ce qui divise. Elles sont animées de la volonté de continuer à mener tous les débats et en même temps d’agir tout de suite parce que l’urgence existe. C’est un élément très fort dans ce mouvement. Il pose effectivement la question de l’expression autonome des femmes.

Martine, A.C ! :
Je suis chômeuse à 2 000 F par mois, j’ai élevé toute seule 2 enfants, je ne me suis jamais mariée. Quand je me suis rendu compte qu’ils n’auraient plus besoin du travail des gens pour gagner de l’argent, je me suis battue pour faire réduire le temps de travail de façon drastique. Je me disais : on va vivre, on va pouvoir avoir une autre vie. Le problème, c’est qu’ils ont compris ça bien avant nous et l’ont résolu en faisant travailler tout le monde à temps partiel. Maintenant, il est pratiquement impossible de travailler 39h par semaine. Ils ont commencé par les femmes, ils continuent par les hommes. Alors, je me dis beaucoup de choses : si on travaille 30h par semaine, avec 12h de présence par jour, et qu’on gagne 4 000 F par mois, le célibat est largement remis en question, hein ? Il va falloir qu’on se marie si on veut pouvoir payer notre loyer et élever nos mômes. Ils refusent les réductions pour les mômes de moins de 25 ans. Si on discute avec les travailleurs sociaux, ça veut dire : prostitution, trafic de drogue, suicides. J’avais l’impression qu’on avait avancé dans les relations hommes/femmes, que ça allait beaucoup mieux, mais dans le mouvement, on voit que quand on vit avec 2/3000 F par mois, face à la barbarie, les gens s’expriment par la violence. Je ne sais pas si c’est uniquement du sexisme, mais ce qui est sûr, c’est que si on fait 1 mètre 90 et 85 kilos, la forme d’expression, quand on est en colère, est plus impressionnante que si on fait 50 kilos !
Je n’ai pas seulement besoin de payer mon loyer et de manger ; j’ai besoin d’aller au cinéma, d’aller à la mer, de lire des livres, d’aller au théâtre... Je crois que c’est un combat qu’on va gagner. Ils nous parlent de mondialisation ? Nous aussi on leur répond mondialisation, marche européenne contre le chômage. Et le petit noyau d’imbéciles qu’on est, on est quand même en train de foutre la merde en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Espagne... J’espère que ça va continuer ; les Coréens sont venus nous voir, les Anglais nous appellent désespérément au secours. En Angleterre, c’est un peu spécial : ce sont les syndicats qui donnent le fric aux chômeurs alors, pour eux, c’est pas ça quoi... Voilà. Si quelqu’un a des idées pour nous aider à vivre tranquilles...

Une ex de Maryflo :
Quand on travaillait, on ne touchait que le SMIC, on n’avait pas de 13e mois, on n’avait pas de prime, rien de tout ça. On s’est battues, puis on a perdu notre emploi. On se retrouve au chômage avec 1 000 F de moins sur notre salaire. Et ça va être dégressif. À la fin, on ne sait même pas ce qu’on va toucher, peut-être rien. Maintenant, on va chercher du travail, demander à un employeur s’il veut bien nous prendre. Il va nous dire : "vous venez d’où ? De Maryflo ! ; Vous avez fait grève, vous avez foutu votre merde, alors qui dit que si je vous prends vous n’allez pas faire la même chose ?" Dans ces conditions, ça va être très dur de trouver un boulot, c’est vrai. Mais on s’est battues et même si on se retrouve au chômage, on espère que des employeurs vont comprendre que ça n’est pas parce qu’on est des femmes qu’il faut se laisser marcher sur les pieds. Voilà.

Nadine, SUD ANPE :
Je voudrais témoigner en tant que militante, femme, salariée ANPE et actrice du mouvement des chômeurs. Je voudrais compléter ce que Martine a dit sur ce mouvement. Il y a plusieurs difficultés et la première, c’est que les femmes chômeuses à l’intérieur de ce mouvement ne se considèrent pas comme ayant une identité particulière. C’est le mouvement de tout le monde, à la fois des chômeurs et des chômeuses. Pour la plupart, elles ne voient pas l’intérêt d’avoir des revendications spécifiques pour les femmes, notamment sur la précarisation et le temps partiel. Même si elles sont persuadées qu’elles sont les premières touchées, elles ne mettent pas l’accent là-dessus, elles revendiquent des droits au même titre que les hommes.

Une militante du Snes :
Je voudrais revenir sur ce que Josette Trat disait sur l’image des femmes. J’appartiens à un syndicat d’une profession féminisée. Est-ce que ça veut dire qu’au niveau de nos instances syndicales on retrouve cette féminisation ? Sûrement pas. Certes, on a une secrétaire générale, mais on a quand même du mal à obtenir que les femmes, à partir de leurs compétences, aient des responsabilités ; qu’on ne les envoie pas dans une réunion uniquement parce qu’il faut une femme. Ce n’est un secret pour personne : nous ne sommes pas très en accord avec notre ministre actuel, on a un certain nombre de problèmes avec lui et des divergences de fond, sur la gestion des personnels, sur les objectifs du système éducatif, sur la façon de redéfinir des disciplines, etc. On a aussi des divergences quand on l’entend dire qu’il veut renforcer le pouvoir des chefs d’établissement à partir du mérite. S’il y a une chose sur laquelle les critères ne sont pas très, très objectifs, c’est bien le mérite. Nous, on préfère que les femmes soient évaluées à partir de critères clairs, nets et précis ; et par sur leurs capacités à être dociles, dans l’établissement jusqu’à 19/20h le soir, quand on sait les problèmes que ça pose au niveau de la vie familiale.
Quand ces divergences de fond ont commencé à poindre dans la presse, cela s’est posé essentiellement à travers la personne de notre secrétaire générale. Les médias s’y sont tous mis. C’est intéressant de voir comment fonctionnent les médias. Il suffit qu’un s’y mette pour que les autres suivent. Il y a eu une campagne contre notre secrétaire générale, avec les allusions traditionnelles quand il s’agit des femmes. Heureusement, les réactions ont été immédiates et violentes ; celles du Collectif pour les Droits des Femmes, celle de la FSU, du SNES, de Sud… Mais on a eu quand même beaucoup de difficultés pour que le débat change de forme et que s’engage un vrai débat d’opinions, d’objectifs.

Joëlle, Sud Rail :
La place des femmes à la SNCF est significative d’une politique d’embauche discriminante depuis des années. En effet, la SNCF a toujours utilisé l’embauche de personnel féminin de manière totalement opportuniste. Ainsi, les femmes se sont trouvées longtemps cantonnées aux filières administratives - tant dans les établissements qu’au niveau des directions régionales - puis elles ont fait leurs entrées au service commercial des gares en arrivant dans les guichets et les services d’informations. Enfin, quant la direction de la SNCF a décidé de changer son image du contrôle, elle a sciemment ouvert aux femmes les services d’embauche pour les établissements de contrôles.
Mais nous sommes loin d’une évolution progressiste de la SNCF vers plus d’égalité dans l’embauche entre les hommes et les femmes. En effet, chaque année, nous dénonçons - notamment lors des bilans sur l’égalité hommes/Femmes discutés dans les comités d’établissement et le comité central d’entreprise - la situation discriminante qui perdure à l’encontre des femmes pour l’embauche à la SNCF. Ainsi, de nombreuses filières restent fermées à l’arrivée professionnelle des femmes. C’est le cas des filières Équipement (entretien des voies, des installations électriques), Transport (les postes d’aiguillage) et surtout, de la filière valorisée à l’extrême par la direction : la Traction, près de 18 000 conducteurs pour … une dizaine de femmes !
Cette logique patronale sexiste se retrouve totalement dans la sélectivité pratiquée par les services internes d’embauche. Les candidates doivent réussir les tests médicaux et psycho, mais aussi passer la barrière du traitement subjectif des dossiers d’embauche. Les candidatures des femmes sont encore trop "oubliées" lorsqu’il s’agit des filières fermées aux femmes !
Si la direction rechigne à embaucher du personnel féminin dans nombre de filières "pensées comme techniques", en revanche, elle n’hésite aucunement à faire tenir aux femmes des postes en travail décalé et à temps partiel imposé. Il s’agit alors non plus d’embauches au statut cheminot mais d’emplois de contractuelles qui relèvent alors du droit privé. Ces personnels - où l’on compte, pour les services commerciaux, près de 70 % de femmes - ne bénéficient pas des acquis sociaux tels que la carte de circulation, le déroulement de salaire, l’âge de la retraite à 50 ans ou 55 ans…
Ainsi, la politique d’embauche sexiste pratiquée par la SNCF a comme résultat d’imposer une répartition sexuée des emplois dans l’entreprise et de jouer sur la précarité en employant plus de femmes que d’hommes dans les emplois précaires (CDI, CES…). Par ces pratiques, la direction montre sa logique patriarcale de conception du salariat féminin comme salaire d’appoint et non comme un salaire donné à un individu pouvant lui permettre de gagner son autonomie.

Une intervenante FSU et AC ! :
Je participe au mouvement des chômeurs depuis janvier. J’habite à Metz. Franchement, en tant que femme, je n’ai pas ressenti de grandes différences entre mon militantisme syndical FSU et mon militantisme dans AC ! Et c’est tant mieux. Dans le mouvement des chômeurs, il y a des femmes qui ne se présentent pas forcément en tant que féministes Elles sont là dans la discussion, elles prennent la parole et avancent sans mettre le mot féminisme à chaque fois, ce qui effraie toujours un petit peu, il faut bien le reconnaître.

Josette Trat :
Je voudrais revenir sur cette notion de spécificité. Il y a une confusion qui persiste. Quand les femmes parlent de leur situation ou essaient de préciser des revendications générales, on trouve que c’est spécifique. Quand les hommes parlent, ils représentent automatiquement l’intérêt général. Il n’y a que nous qui nous posons la question de notre spécificité. Jamais les hommes ne se la posent. Je crois que c’est un problème de fond. C’est directement l’expression de notre oppression. Le groupe dominant sert de référent pour l’universel. Quand on est un groupe dominé, quel qu’il soit, que ce soient les indiens du Chiapas, que ce soient les homosexuel(les), que ce soient les femmes, les juifs, on est en situation d’être renvoyés à une spécificité. Et si nous voulons avancer, il faut absolument nous convaincre que nous ne sommes pas plus spécifiques que les hommes. Si nous voulons construire un vrai universel, ce sera ensemble et avec une redéfinition globale du type de société, du mouvement syndical et social qu’on veut. Une dernière phrase d’une philosophe qui s’appelle Françoise Colin : "Je réclame, dit une femme, le droit d’être une femme sans que cet être femme me contraigne à être parquée dans une réserve. Je réclame, dit une femme, le droit d’être un être humain sans que cette humanité me contraigne à dissimuler mon être femme". Je crois que c’est ça l’enjeu de notre combat.

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