Ci-dessous, les points essentiels relevés dans le document du gouvernement mexicain intitulé : "Document mis à jour concernant la situation des femmes à Ciudad Juarez, Mexique, jusqu’au 17 février" et les réponses développées par Amigos de las Mujeres de Juarez [1] :
1) Le gouvernement déclare que les meurtres des femmes sont "multi-causals" et attire l’attention sur "des problèmes émergeant comme le trafic de drogue" qui "ne fait qu’exacerber une culture existante de discrimination des femmes". D’autres villes au Mexique comme Tijuana, Nuevo Laredo, Reynosa et Matamoros sont aussi des centres de trafic de drogue et d’autres maladies sociales citées par le gouvernement comme "causes" de l’épidémie de fémicides à Juarez, mais aucune de ces villes n’a connu de meurtres en série. Une étude de l’Organisation de la santé panaméricaine, en 2000, a découvert que le taux d’homicides de femmes entre 15 et 24 ans (les âges les plus habituels des victimes du fémicide) à Juarez est cinq fois plus élevé qu’à Tijuana, par exemple.
Des aides aux victimes insuffisantes
2) Le gouvernement prétend qu’un programme d’aide à la famille victime d’un homicide a été mis en oeuvre avec succès par l’Instituto Chihuahense de la Mujer (Institut pour les femmes de Chihuahua). Bien qu’il soit important d’admettre que certaines familles ont reçu une assistance financière, ainsi que des soins médicaux (bien que ces soins aient été de piètre qualité), il est aussi important de reconnaître que l’objectif du gouvernement en apportant ce soutien était de mettre un terme aux plaintes publiques de ces familles. Cet organe subventionné par le gouvernement a utilisé ses fonds pour créer des divisions entre les familles en choisissant quelles familles devaient bénéficier de l’aide financière et a organisé une rencontre avec l’avocat général de l’Etat pour enquêter sur les finances des groupes représentant les familles des victimes. Dans son rapport, le gouvernement reconnaît que les "relations entre le gouvernement de l’Etat et la société civile se sont détériorées", et c’est pourquoi ce même gouvernement devrait aussi reconnaître qu’il y a eu un déclin concomitant de sa crédibilité et ne pas mettre la faute des "difficultés à trouver des solutions au problème" sur "les plaintes perpétuelles" des familles des victimes et des organisations qui les soutiennent.
3) La création de la Commission nationale de coordination et de liaison pour prévenir et éradiquer la violence contre les femmes à Ciudad Juarez et Chihuahua est retenue par le gouvernement comme une preuve de l’attention que la plus haute autorité du pays y attache. Bien que la dirigeante de la commission, Guadalupe Morfin, ait exprimé des choses positives, et en particulier que personne n’est au-dessus des lois, le bruit court que la Commission n’est pas assez subventionnée et ne dispose pas de ressources suffisantes pour vraiment faire son travail. Depuis que Mme Morfin a été désignée à son poste, il y a eu deux meurtres en plus qui correspondent au profil recherché des victimes de fémicide. Néanmoins, ce n’est pas le manque de ressources qui a provoqué la marginalisation des membres de la famille des victimes quels que soient les efforts pour reconstituer le tissu social que la Commission mise sur pied devait accomplir mais plutôt la pauvreté dans laquelle les familles continuent à vivre, l’absence d’attention à leurs arguments et la manière condescendante et indigne d’être traitées par cette institution.
Fausses déclarations et tortures policières
4) Le gouvernement déclare qu’on n’a plus trouvé de femmes mortes depuis l’envoi à Juarez d’escadrons de la Police fédérale préventive (PFP). C’est dépassé maintenant puisque le 11 mars 2004 on a trouvé le corps de Rebeca Contreras Mancha, une mère de trois enfants, étranglée au bas des monts Cristo Negro. C’est précisément l’endroit favori, depuis plus de 11 ans, pour larguer les corps des femmes assassinées. En plus du corps de Mancha, on a aussi retrouvé une autre femme morte dans un hôtel au cours du même mois.
5) Le Président Fox a nommé pour mener l’enquête l’inspectrice Maria Lopez Urbina, avec une équipe de 50 personnes. Ce geste du Président a été bien accueilli par les familles des victimes et les militants des droits humains qui les soutiennent. Nous espérons pouvoir entendre bientôt que ses enquêtes ont porté des fruits. Nous espérons en particulier, que Mme Lopez Urbina suivra les nombreuses pistes suggérées par des journalistes qui sont devenus de facto les enquêteurs et qu’elle ne continuera pas à utiliser la torture comme l’équipe fédérale envoyée précédemment à Juarez. Il y a encore des innocents en prison dont les aveux ont été arrachés par la torture. Mme Lopez Urbina doit faire en sorte que ces personnes soient relâchées. Cependant, les actions entreprises après la plus récente découverte d’un corps de femme, celui de Rebecca Contreras Mancha semble indiquer la poursuite du même scénario d’abus. La police a forcé les portes de voisins de Mme Mancha, aurait pointé ses fusils sur un enfant de 4 ans et a volé de l’argent et des objets dans les appartements qu’elle fouillait.
Les défenseurs des victimes sont apolitiques
6) Le rapport du gouvernement prétend aussi que "ceci est aussi un cas politique autour duquel gravitent beaucoup d’intérêts privés qui entravent sa solution." Les familles des victimes et leurs partisans nient vigoureusement cette allégation. C’est sous un gouvernement PAN qu’on a constaté les premiers meurtres qui furent abordés de manière inadéquate et qui ont continué à être traités de manière inefficace par un gouverneur PRI. Aucun des militants des droits humains ni les familles des victimes ne sont intéressés à faire porter la responsabilité sur un parti ou sur un autre. De plus, la notion que "beaucoup d’intérêts privés" "entravent" la solution des crimes suggère que le gouvernement pense que ces intérêts sont trop puissants à affronter pour les entités institutionnelles combinées de l’Etat et du fédéral.
7) Enfin, s’il est vrai que jusqu’à présent la grande majorité des cas de fémicides ont eu lieu à Juarez, le nombre de crimes similaires est aussi en augmentation à Chihuahua City. Le rapport ignore cette inquiétante extension de la violence sur les femmes avec un profil similaire.
Ce que le gouvernement mexicain doit faire, c’est suivre une piste récente dans des cas anciens et actuels, résoudre les crimes, entreprendre des actions efficaces pour rendre la sécurité à Juarez, libérer des innocents qui ont servi de boucs émissaires et ont été torturés et attacher une attention aux demandes spécifiques des familles des victimes. Quand toutes ces actions auront été entreprises, le gouvernement sera capable de rédiger un rapport dont il pourra être fier.