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Rencontre avec Maître Marie-Elise Gbédo au Bénin

« Je suis une grande rebelle »

mercredi 30 juin 2004, par Laurence

Nous avions entendu parler d’elle avant même de la voir. De l’avis de ses partisans, cette « vraie femme d’action » impressionne par la force de ses convictions. Présidente de l’ Association des Femmes Juristes du Bénin (AFJB), ancienne Ministre du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, avocate réputée en droit des affaires et candidate aux élections présidentielles, Marie-Elise Gbédo n’a pas fini de faire parler d’elle.

Elle nous reçoit dans son cabinet, à Gbégamey (Cotonou), pétulante dans sa robe décolletée rouge, jaune et verte. Dans cette grande maison qu’elle partage avec son frère, notaire, elle collectionne un ensemble de fétiches exposés dans le hall d’entrée, « sa passion ». Assise derrière son bureau, elle nous apparaît comme une femme d’affaires accomplie, qui assume son rôle et ses responsabilités. Pourtant, elle ne se destinait pas vraiment à cette carrière juridique : elle souhaitait être journaliste. C’est son père qui s’y est opposé : « avec la grande gueule que tu as, tu finiras en prison ». Dans un contexte politique de Parti Etat, il lui a conseillé de trouver une autre tribune pour défendre ses idées.

Marie-Elise Gbédo a quitté Porto Novo en 1975 pour l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne. Dix ans plus tard, elle prêtait serment devant la Première Chambre de la Cour d’Appel de Paris. Elle mesure la chance qu’elle a eue de voyager, de pouvoir faire de bonnes études et d’avoir toujours été soutenue par sa famille. Ses parents, l’un fonctionnaire et l’autre sage-femme, étaient des « intellectuels qui mariaient modernisme et traditionalisme ». Décédée depuis longtemps, sa mère était « une femme libre » puisque Marie-Elise se souvient d’elle, vêtue dans son jardin d’un short rouge et d’un tee-shirt, une tenue encore aujourd’hui considérée comme indécente pour une mère de famille africaine.

Prouver que les femmes peuvent être chef

L’atout principal de Marie-Elise Gbédo est son tempérament inflexible. Vice-présidente de l’AFJB pendant huit ans, elle savait que tout le monde était persuadé que c’était elle la présidente. Pourquoi ? « J’ai plus de charisme. C’est tout. Ça ne s’achète pas, c’est Dieu qui me l’a donné. » C’est en effet toujours elle qui a su se mettre en avant et a eu le courage de dénoncer les discriminations à l’égard des femmes. Quand elle se présente aux élections présidentielles de 2001, elle veut avant tout aller jusqu’au bout de ses idées et « prouver que les femmes peuvent être chef ». Dans le cadre de ses activités à l’AFJB et de ses interventions médiatiques, elle dit constamment aux femmes : « vous pouvez ! ». « Alors, il fallait que je montre l’exemple », nous explique-t-elle.
Lorsqu’elle annonça sa candidature au poste de chef de l’Etat, cette femme elle-même divorcée fut traitée de tous les noms et accusée de vouloir pousser les femmes au divorce et d’être une « casseuse de foyer ». Mais Marie-Elise Gbédo ne se laisse pas démonter pour si peu. Ayant occupé un poste de Ministre entre 1998 et 1999, elle connaît le milieu politique, « ce panier de crabes », et sait s’y intégrer et résister aux pressions, aux bassesses, aux accusations. « Sur le plan du travail, je veux toujours me battre, me mesurer... » En politique, il faut aussi se battre sur le terrain « pour que le peuple comprenne que tu as envie d’accéder au pouvoir ». Elle n’a pas remporté plus d’un pour cent des suffrages mais elle ne considère pas comme un échec ce score par ailleurs peu fiable, dans le cadre d’élections qu’elle estime frauduleuses. En 2006, elle sera à nouveau candidate et défendra le même programme, fondé sur la justice, « socle de l’économie et du développement social ».

Citant et réinterprétant Aragon, elle souligne que « la femme est l’avenir de l’homme et la femme est l’avenir de l’Afrique ». C’est pourquoi elle croit en l’intégration des femmes dans le processus de développement. Selon elle, c’est avant tout par l’éducation massive que l’on viendra à bout des freins au développement : « Sans éducation, vous ne pouvez pas parler, vous ne pouvez pas réfléchir. C’est la connaissance qui ouvre les yeux ». Et une femme éduquée s’investira nécessairement dans l’éducation de ses propres enfants. Il faut donc une véritable volonté politique pour développer la scolarisation des enfants, notamment celle des petites filles. Marie-Elise Gbédo se bat et se battra toujours dans ce sens. Elle a peut-être un seul regret, celui de n’avoir pas eu de filles, mais deux garçons, qui connaissent parfaitement le combat de leur maman et à qui elle ne cesse de répéter qu’ils ont intérêt à rencontrer une femme comme elle. Mais en existe-t-il vraiment deux comme elle ?

Cotonou, avril 2004
htt ://www.courantsdefemmes.org

P.-S.

Clara Delavallade, Blandine Ledoux, Claire Naiditch, et Lucile Rivéra pour Courants de Femmes - Avril 2004

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