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Du côté de la Conf’

lundi 31 mai 2004, par Dominique Foufelle

Dominique Voillaume élève des brebis à viande à Saint-Maurice-Navacelles, dans l’Hérault, où elle s’est installée depuis plus de vingt ans avec son compagnon. Adhérente à la Confédération paysanne, elle y est devenue de plus en plus active. Aujourd’hui, elle fait partie du CA de la fédération de l’Hérault, suppléante du porte-parole et "seule nana dans les réunions".

Elle qui se dit "sans doute féministe de naissance", ne s’est pas intéressée tout de suite aux problèmes spécifiques des agricultrices (ou des paysannes, comme on préfère s’appeler à la Conf’). Jusqu’à une formation sur le statut des femmes dans l’agriculture à Avignon, à laquelle elle va "embarquée par une copine". Là, c’est le déclic : elle se rend compte du nombre énorme de femmes sans statut dans l’agriculture, et de la difficulté de leur condition.
L’inégalité de statut, elle connaît justement. A leur installation, c’est elle qui, possédant un brevet professionnel et ayant donc accès aux aides, a pris le statut de "chef d’exploitation", puisqu’il ne peut y avoir qu’un "chef" sur une exploitation. Son compagnon étant, lui "ayant-droit", le droit en question se limitant à une couverture maladie, sans cotisations de retraite. Quand ils réalisent la précarité de cette situation pour lui, ils cherchent une solution plus égalitaire : c’est la création d’une société agricole EARL, compliquée, qui les force à s’agrandir.
En Avignon, Dominique Voillaume constate que cette précarité est vécue par des centaines de femmes sans que nul ne s’en formalise. Elle qui jouit d’un statut correct ne peut pas rester les bras croisés ! Elle veut aller plus loin ; participe au groupe femmes de la Conf’ au niveau national ; intervient au Congrès foncier de Carcassonne après un travail avec une sociologue sur le thème des agricultrices et du foncier… Et depuis, milite ici et maintenant pour faire émerger la question de l’égalité femmes/hommes.

Patience et longueur de temps…


Il lui a fallu trois ans pour se faire admettre "sur un pied d’égalité" parmi ses camarades. Pas de femme au CA, très peu aux assemblées générales : elle fait figure d’ovni. "Au début, j’étais vue comme une nana, pas comme un individu. Il a fallu accepter les blagues grasses, la drague et la suspicion de drague de ma part… Maintenant, ça va, je peux en rigoler ! Il y a beaucoup de fortes personnalités – mais moi, je suis aussi folle que les autres !".
Elle connaît ses compétences, professionnelles, mais aussi en environnement, en pédagogie (elle fait partie du réseau Racines, qui accueille des scolaires sur les exploitations) – restait à les faire reconnaître. Elle a beaucoup travaillé sur le thème du foncier : "Je suis devenue crédible sur un thème. Par voie de conséquence, je suis devenue crédible sur le féminisme ! ".
Car Dominique Voillaume ne dissimule pas ses convictions, qui sont donc connues de tous et toutes. "Je ne suis déléguée par personne, mais je me sens déléguée, un peu la porte-parole des femmes. Dans mes interventions, j’utilise toujours une partie de mon temps de parole pour en parler, même si ce n’est pas le sujet du jour. En même temps, il y a un effet pervers à ça : ils s’y attendent. Il ne faut pas que ce soit systématique, ni creux derrière. Il faut secouer le cocotier mais sans rester que là-dessus. Rechercher des entrées pour se faire entendre."
Elle est convaincue que c’est en s’engageant dans les luttes communes qu’on y parvient le mieux. Se méfiant de la culpabilisation comme de la peste, elle cherche à convaincre en douceur de la nécessité d’inscrire la question de l’égalité dans les priorités : "Il faut trouver les mots justes".

Difficile mobilisation


Ces "mots justes", il serait plus facile de les trouver à plusieurs, lors de rencontres entre femmes, "qui sont utiles, même s’il ne faut pas rester là-dessus." A ces rencontres, espère-t-elle, viendraient "des femmes qui ont peur de prendre la parole ailleurs.". Mais mobiliser les agricultrices, ça n’est pas gagné d’avance !
"L’étiquette de féministe est dure à porter dans un milieu qui reste, il faut bien le dire, macho. Cela créé des problèmes en famille et à l’extérieur. Alors, il y a beaucoup de femmes qui se dégonflent." Autre cause, terriblement banale mais encore plus vraie en milieu rural : les femmes sont accaparées par les tâches domestiques qu’elles assument encore en grande partie. Et puis, il y a aussi "la dureté du cheminement pour se faire accepter", à laquelle toutes ne résistent pas aussi vaillamment que Dominique Voillaume.
Pour elle, être une femme, "c’est un handicap". Elle voudrait travailler sur ce thème, avec des non-agricultrices aussi. Tout en sachant que cela fait partie des choses que tout le monde n’a pas envie d’entendre.
Dominique Voillaume reste confiante. Au sein de la Conf’, "la réflexion est en marche", dit-elle. La question de la parité, celle de la discrimination positive, ont été mises en débat dans la revue du syndicat. "Ceux qui n’ont pas compris, c’est qu’ils ne veulent pas comprendre !".
Parmi ses camarades de l’Hérault, elle estime avoir été entendue. "Ils savent à quoi s’en tenir. Ils savent qu’un statut pourri, ça n’est pas acceptable. Mais de là à faire évoluer leur propre exploitation… ". Il faudra encore de la patience – comme à chaque fois qu’on touche au sacrosaint "privé".

Pour en savoir plus sur la situation des femmes en milieu rural, lire l’article de Dominique Voillaume, Paysanne : un métier ou un état ? et le dossier Ça bouge dans les campagnes.

P.-S.

Dominique Foufelle - mai 2004

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