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Pourquoi être féministe aujourd’hui ?

lundi 31 mai 2004, par Sylvie

Les Pénélopes avancent, le site internet est de plus en plus fourni, multilingue, nous agissons sur le terrain en France et à l’étranger, mais au fait, pourquoi ? Qu’est ce que le féminisme aujourd’hui ? Que recouvre ce mot, pour nous en France, mais aussi pour nos partenaires internationales ? Lors de cette rencontre, des femmes de différentes nationalités ont présenté la situation dans leur pays et nous avons échangé sur la nécessité des mouvements féministes et des alliances internationales face à ces diverses situations.

Les Pénélopes ont organisé un débat le 24 avril 2004 sur le thème " Pourquoi être féministe aujourd’hui ? ". Des membres des Pénélopes de différentes nationalités ont présenté la situation dans leurs pays respectifs : France, Suède, Espagne, Brésil, avant d’entamer le débat avec le public, venu très nombreux.

Vues d’Europe et d’ailleurs

Pour faire le point sur la situation française, Dominique Foufelle, a rappelé la dégradation de la situation sociale en France : les menaces sur les retraites et sur la protection sociale touchent particulièrement les femmes, car elles doivent s’occuper de leur famille en plus d’elles-mêmes. On assiste aussi à un retour à l’ordre moral, accompagné d’une montée des extrémismes de tous bords. Le débat sur le voile en France ou les menaces pesant sur le droit à l’avortement aux Etats-Unis nous rappellent que la défense de la laïcité est un combat prioritaire pour les femmes.
A l’international, la situation est encore plus préoccupante : les violences faites aux femmes sont peu dénoncées, notamment celles exercées lors des conflits armés. Les femmes ne sont pas non plus conviées aux négociations de paix, alors qu’elles sont très engagées dans les mouvements pacifistes. Dominique Foufelle a rappelé que cette situation est l’une des raisons d’être des Pénélopes, qui s’attachent à faire connaître les initiatives portées par des femmes.
Malin Bjork a présenté la situation en Suède. Avec 45 % de femmes au Parlement et des féministes intégrées aux partis politiques, la Suède paraît être le pays de l’égalité. Même le Premier Ministre se dit féministe aujourd’hui. Est-ce pour autant un progrès pour le projet féministe ou plutôt un affaiblissement ? " Je ne suis pas sûre que les féministes soient d’accord avec son projet ". Elle a aussi exprimé la nécessité d’alliances féministes internationales, et notamment européennes pour faire pression et obtenir des avancées.
Le féminisme espagnol, présenté par Sonia Ruiz, a lui aussi une histoire particulière : après la dictature franquiste, il y a eu une rupture importante au sein du mouvement. Ce fut une période de recherche d’identité mais aussi de grandes avancées : obtention du divorce, accès au marché du travail, droit (limité) à l’avortement. Aujourd’hui, l’Espagne connaît son premier gouvernement de gauche vraiment paritaire, avec des femmes se revendiquant féministes. Il a annoncé la totale légalisation de l’avortement, le mariage homosexuel et une loi contre la violence faite aux femmes.
Au Brésil, et notamment à Porto Alegre, les mouvements féministes organisés se développent depuis les années 1970 et ont fait beaucoup de progrès. Claudia Prates, notre partenaire de l’association Lua Nova, a expliqué qu’aujourd’hui le gouvernement de " Lula " est centré sur la question de la violence contre les femmes, l’assistance aux victimes et la prévention, mais que les autres sujets ne sont pas abordés. Les revendications féministes aujourd’hui sont pourtant multiples : l’avortement, parce que beaucoup de femmes très jeunes meurent dans des avortements clandestins ; le salaire minimum très bas, le seul que les femmes peuvent espérer ; la violence physique et psychologique, parce que " sans nous toucher, on peut nous tuer ".

Engagement et prise de risques

Après ces présentations, le débat a été engagé. Deux grands thèmes ont principalement été abordés : la nécessité de créer des alliances internationales entre les féministes, et la question de savoir s’il faut ou non s’impliquer dans les gouvernements.
L’expérience des Pénélopes, notamment en invitant des Européennes de l’est au FSE, nous a conduites à la volonté de travailler en commun avec les féministes de toute l’Europe pour apprendre les unes des autres et avancer plus vite. Pour cela, les Pénélopes ont lancé l’idée de créer une plate-forme féministe altermondialiste européenne. L’idée en général d’organisations internationales a été assez largement partagée par les différentes intervenantes.
La question de la participation ou non aux gouvernements fut plus débattue. Parmi les partisanes du non, Claudia Prates a évoqué la particularité du mouvement féministe brésilien, dont les leaders sont inclus dans le gouvernement. Rejoignant la position de Malin sur le féminisme politique en Suède, Claudia a expliqué que pour elle, l’entrée de féministes au gouvernement était une perte pour le mouvement : en arrivant au pouvoir, les militantes changent de discours.
La nécessité d’entrer au gouvernement a aussi trouvé ses défenseuses : pour Clorinde Zéphir, Haïtienne, accéder aux sphères de direction d’un pays est un but, même si les luttes de base restent fondamentales. Alors, " dire que les féministes doivent rester en dehors des gouvernements, est-ce un constat d’échec du féminisme qui, lorsqu’il arrive au pouvoir, n’arrive pas à inverser la vapeur ? " Des militantes politiques françaises étaient aussi présentes : " En France, on a les moyens d’agir par les partis politiques en les envahissant " (Françoise Jaillet) " Si on veut changer les choses, il faut y aller, si on est nombreuses, on peut influer sur le parti et sur les décisions politiques […] le problème c’est qu’on y va pas "
En lien avec l’implication politique, la question de la prise de risque dans la lutte féministe a aussi été abordée. Face aux comparaisons entre les situations dans les pays du Nord et du Sud, un constat s’impose : il y a un décalage énorme quant aux risques encourus par les militantes. Au sud, les féministes luttent au risque de se faire emprisonnées, tuées, violées. Natasha Le Roux a tenu à le rappeler : " En Occident, quand il s’agit de signer une pétition, de s’inscrire sur les listes électorales, quel risque prend-on ? Si les femmes ont obtenu des choses c’est qu’effectivement elles ont enfreint la loi. Jusqu’où est-on prêtes à aller ? "

Les ONG au service de qui ?


Des femmes d’Algérie et du Sénégal étaient aussi présentes et nous ont exposé la situation dans leurs pays. Le débat féministe est centré sur d’autres problématiques : il s’agit de la reconnaissance du mouvement féministe en tant que tel et de sa légitimité.
Au Sénégal, la première association féministe a été créée en 1983. L’appel à la première réunion a créé un tollé, même au sein des organisations politiques de gauche : " les hommes ne comprenaient pas ". Mais ce mouvement n’a pas su grandir, faute de liens avec les masses : avec 80 % d’analphabètes, il était très difficile d’atteindre les gens. Un réseau africain (réseau des femmes pour le développement durable en Afrique RESDAF) a réussi à se constituer, créant malgré tout un contre-pouvoir.
En Algérie, non plus, la question " pourquoi être féministe " n’a pas encore vraiment de sens. Le problème est plutôt " qu’est-ce que le féminisme ? " Selon Salima, " dans un pays de dictature, être féministe, c’est les divorcées, les mal-baisées, celles qui n’ont pas trouvé de maris. Personne ne se dit féministe, elles sont clandestines " En opposition à cela, le thème genre et développement est très à la mode dans toutes les ONG. Pour Salima, " c’est pour nous former à accepter des situations et faire la différence entre les hommes et les femmes, c’est pour aussi faire avancer l’idée que les femmes peuvent travailler, subvenir à leurs besoins, mais avec les moyens capitalistes. […] c’est toujours comment gagner du fric, avoir des crédits, mais pour ce qui est du féminisme, il n’y a rien. " La revendication des féministes est donc d’abord d’être reconnues en tant que telles, et de ne plus être assimilées à des travailleurs sociaux. " Etre féministe ce n’est pas s’occuper des femmes en difficulté, c’est avoir des revendications et faire pression sur le gouvernement. "
Décidemment, en 2004, les raisons d’être féministes sont loin d’être affaiblies et la lutte doit continuer !

P.-S.


Sylvie Lefebvre - mai 2004

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