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À temps nouveaux, féminisme nouveau

lundi 31 mai 2004, par Laurence

Un peu d’histoire en guise d’introduction : rappel des bouleversements et transformations des mouvements féministes en Catalogne. Pour ce féminisme nouveau, quelles sont les stratégies féministes qui doivent être mises en place maintenant ? Quelle doit être la contribution du féminisme face à l’injustice sociale ?

Dans les dernières années, des théories et des discours féministes importants ont touché la société.
Est-ce que des actions ou des projets concrets liés à ces théories ont été mis en oeuvre ? Ont-ils été fructueux pour changer la vie de millions de femmes subordonnées, exploitées, assassinées ?

Pendant quelques décennies, les féministes ont pris conscience qu’être une femme n’était pas une expérience existentielle homogène, mais que nous femmes, en tant que sujets souffrant de discriminations sexuelles et de genre, sommes un groupe hétérogène, pluriel…
Ces dernières années, la conscience de cette explosion infinie d’identités et d’expériences s’est traduite dans différents modes d’expression et de transmission du projet féministe.

Après la transition espagnole qui a suivi la dictature franquiste (cette transition a été le moment du bouillonnement principal du mouvement féministe) le mouvement féministe de Barcelone a subi une rupture importante.
L’unité des premières années a disparu et une période d’introspection, de recherche et de création d’espaces propres aux femmes a eu lieu, où le rétablissement social est devenu léthargique dans les conquêtes obtenues : le divorce, la planification familiale, l’accès à l’éducation et au marché du travail (dans la discrimination, bien sur), le droit de l’avortement limité.
Du milieu des années quatre-vingt jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, la plus grande partie du mouvement féministe de Barcelone a tenu un discours et une action très liés avec les courants du féminisme de la différence. C’était sûrement une période nécessaire de connaissance de soi, de relation entre les femmes, de diversification du mouvement. La réunification du mouvement est arrivée avec le processus de préparation des journées féministes de catalogne, qui célébraient le vingtième anniversaire de la première conférence féministe après le régime de Franco (1976-1996), alors que la fragmentation du mouvement était déjà évidente.

Le féminisme doit faire face à l’injustice sociale

La situation politique, sociale et économique affecte directement la configuration du discours et des objectifs, celle des des stratégies et des structures de mobilisation. De la même façon, face à la complexité du monde et à la diversité des situations, le féminisme comme le reste de la société doit définir des stratégies différentes selon le contexte politique et social. Mais il doit aussi être conscient qu’il y a toujours une structure qui est encore très vivante : le patriarcat.

La théorie féministe se déplace vers une pratique qui se place sous l’influence des événements que nous vivons. Le mouvement féministe a été celui qui a produit des incertitudes et du changement, en demandant des transformations qui ont été mises en pratique. Il doit continuer à réfléchir pour apporter des solutions aux situations injustes.
Même si nous sommes dans un moment de doutes, nous nous éloignons de la désillusion et du défaitisme. Nous ne sommes pas à la fin du patriarcat et l’injustice sociale est une constante, nous le savons.

Quelles sont les stratégies féministes à mettre en place maintenant ?
La sphère "sexuelle-sociale"

La situation de Barcelone, de l’Espagne, du monde, est paradoxale. Elle est pleine de douleur, mais aussi d’opportunités de changement.
En Catalogne,depuis le début de la démocratie, nous avons eu un gouvernement d’unité de gauche et un gouvernement central socialiste paritaire, avec deux femmes qui revendiquent leur féminisme.
Après les attentats de Madrid, l’Espagne a vécu une tentative de révolte sociale. Les citoyens ont dénoncé la manipulation de l’information par le gouvernement et ses politiques néolibérales et ultra-catholiques.
Il y a quelques jours, une copine de la rédaction espagnole des Pénélopes nous a envoyé un article qui est paru dans le New York Times et qui portait pour titre : "Sexual and Social revolution in Spain" [1]. Il semble que le gouvernement espagnol actuel pense que les questions sexuelles et sociales sont importantes. La légalisation totale de l’avortement, le mariage entre homosexuel-le-s et une loi intégrale contre la violence envers les femmes ont été annoncés.

Le travail féministe contre l’injustice sociale s’exerce dans des sphères liées à des stratégies différentes.
En premier lieu, le cadre "sexuel-social" : c’est la reconnaissance du droit à nos spécificités en tant que femmes, nos droits comme êtres sexuées et aussi comme actrices à part entière dans cette société.
Par exemple, le fait d’obtenir la légalité totale de l’avortement entraînera en Espagne un changement significatif dans la vie des femmes, à condition que cette légalisation soit accompagnée de mesures qui promeuvent la liberté sexuelle et d’orientation sexuelle.

L’obtention du mariage pour les lesbiennes et gays est un sujet de polémique pour le militantisme féministe. Il est surtout significatif parce qu’on légaliserait par conséquent l’adoption par des couples homosexuels.
La réponse à l’inégalité des droits ne peut pas être une simple assimilation à la norme, dans ce cas, le mariage. Parce que les couples mariés et non mariés n’ont pas les mêmes droits, les couples ne sont pas vraiment libres de choisir car ils subissent des pressions économiques et sociales.

Dans cette même sphère "sexuelle-sociale" nous plaçons les mesures sociales pour lesquelles doivent plaider les féministes.

Nous devons revendiquer et agir pour une égalité totale des droits dans la société, dans la sphère publique, dans la formation, dans le monde du travail, un traitement digne dans les moyens de communication, dans l’information.... et une perspective de genre dans toutes les politiques publiques, que nous devons mener à bien.

Pour faire un clin d’œil à Rosa Luxemburg, nous disons que dans tous ces cadres, dans toute cette sphère "sexuelle-sociale" nous pouvons obtenir beaucoup à travers des réformes, en demandant des mesures qui renversent, peu à peu, le système patriarcal. "Aucune question n’est plus pratique que celle de l’objectif final".

La sphère "vitale-capitale"

Dans ce monde de discrimination, de sexisme structurel... les objectifs du féminisme se trouvent dans la contribution et dans l’approche par des systèmes alternatifs. La révolution féministe se trouve par conséquent au-delà de ce cadre "sexuel-social", dans une sphère "vitale-capitale".

On se réfère au cadre "vital-capital" pour tous les aspects de nos vies quotidiennes (corps, désirs, affections, relations, utilisation du temps et des espaces) face à des modèles politiques, sociaux, culturels et particulièrement économiques, qui sont oppressifs.
La violence de genre est une question qui entre dans le cadre "vital-capital". Depuis cette jeune fille palestinienne qui a eu le malheur d’être violée par l’armée d’Israël et a été assassinée par un homme de sa famille pour sauvegarder l’honneur, à la femme renversée par la voiture de son copain en Espagne. C’est la nouvelle mode chez nous.

Actuellement, le débat sur la prostitution émerge à nouveau en Catalogne et en Espagne, mené par les institutions. Les mesures proposées se basent sur la libéralisation de l’exploitation sexuelle.

Un modèle économique qui exploite est un modèle injuste depuis la base. Et un système économique qui s’acharne spécialement contre les femmes est pour nous indésirable et... très violent. La nécessité de créer des alternatives est urgente. Le capitalisme actuel se sert de tous les outils pour maintenir les femmes dans ses réseaux. Le mouvement féministe espagnol parle d’une "précarité" installée dans tous les aspects de notre vie.

La manipulation de l’information et la production de stéréotypes sexistes font aussi partie du cadre "vital-capital". Qu’est ce qui arrive aux femmes occidentales avec la grande fraude de la chirurgie esthétique ? Et la production incontrôlable de publicités sexistes ? Le triomphe du capitalisme se trouve dans le corps des femmes lui-même. À travers la violence, l’exploitation et l’abus sur le corps et grâce au modèle politique et économique du moment.

Et en ce qui concerne le fondamentalisme ?

C’est un débat qui vient d’apparaître en Espagne et auquel le mouvement féministe doit aussi apporter ses réponses. La coexistence, le respect et la compréhension doivent accompagner toutes les transformations dont nous parlons. De toutes les organisations arabes interlocutrices du gouvernement espagnol, par exemple, seulement une permet l’association de femmes. Et nous devons aussi travailler contre les fondamentalismes dont nous connaissons déjà très bien les impacts dans la vie des femmes. Dans le cas de l’Espagne, le catholicisme fondamentaliste est particulièrement violent contre les femmes qui sont accusées d’être les responsables de la violence dont elles souffrent.

Quels moyens pour renforcer l’impact des stratégies féministes ?

Chacune de ces actions par elle-même ne mène peut-être qu’à de petites réformes, mais ensemble elles peuvent constituer des transformations féministes :
- La réflexion, la diffusion d’information et la pratique d’alternatives économiques et politiques

- La création de réseaux de femmes

- Les alliances stratégiques avec d’autres mouvements qui travaillent dans des directions semblables, sans oublier que le travail en commun requiert aussi intégration des approches féministes

- L’urgente appropriation de ressources qui sont essentielles pour le développement humain, parmi lesquelles les technologies de l’information et de la communication

- L’action directe : contre l’interférence de la publicité, par exemple

- La pression politique et sociale, sortir dans la rue...

- La demande de réformes concrètes

P.-S.

Intervention de Sonia Ruiz au débat public organisé par Les Pénélopes le 24 avril 2004.
Cette contribution a été élaborée par les femmes qui participent à ce projet à Barcelone. Aida, Mónica, Kontxi, et aussi Eva. Merci à Sylvie pour son aide en Français.

Notes

[1] "Révolution sexuelle et sociale en Espagne"

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