La grande manifestation des américaines relayée par des féministes françaises, en avril, a établi le lien entre la politique intérieure des U.S.A. et la politique internationale, les mouvements pro-life et les pouvoirs religieux. Les extrémistes de droite et les intégristes religieux oeuvrent en commun pour rétablir une séparation entre les sexes et remettre les femmes à leur place. L’occident "laïc" de Bush prône l’abstinence sexuelle pour lutter contre le sida et imposer des valeurs religieuses dans le monde. L’abstinence est une privation volontaire pour une raison religieuse et sanitaire, nous explique le petit Robert. L’obligation religieuse est évidente quand elle est prescrite par Jean Paul II, puis relayée par un chef d’état, en guerre contre le "mal". Que ces imprécateurs en profitent pour interdire le préservatif et l’avortement semble aller de soi ! La conférence épiscopale espagnole a édicté que la violence conjugale était le résultat de la libération sexuelle de la fin des années 60. La chasse au désir, au plaisir et à la jouissance reprend.
Les chrétiens sont d’accord avec les islamistes et les juifs orthodoxes pour interdire la sexualité hors du mariage. La séparation des sexes et la reprise du contrôle sur les corps deviennent nécessaires. Pourtant dans nos pays, les sexualités sont encore lourdement chargées des tourments de la triste condition des femmes dans le monde et de l’homophobie. La liberté de découvrir sa sexualité et de l’explorer selon sa fantaisie et l’heureux hasard de la rencontre est déjà mince, mais reste un possible à espérer. Imposer l’abstinence doit s’accompagner du discours autoritaire sur les interdits et les obligations, dont chaque génération rebelle a dû se libérer. La transgression des interdits n’est pas sans risque, le danger peut être grand, selon les pays, les familles et les quartiers ; leur intériorisation peut tuer le désir de plaisir dès son éclosion, sangler le corps à corps. Surtout si les interdits et obligations sont différenciés dès la naissance, établissant une discrimination injuste entre les sexes.
L’idée que l’abstinence puisse être une obligation pour se prémunir du sida revient à remettre en cause la laïcité d’une politique de prévention sanitaire internationale. Mais que va-t-il rester aux femmes pour se protéger ? Seraient-elles l’objet d’une politique internationale de mise au pas ? L’abstinence, il ne faut pas se leurrer, sera leur fardeau, avec le sida et la grossesse en prime, si le "jeûne" est rompu sous la contrainte et sans préservatif, ce qui leur arrive encore et encore.
Les "travailleuses du sexe" sont-elles concernées ?
L’industrie du sexe, qui est en plein essor et draine des flux d’esclaves et de "travailleu-r-se-s" et une vaste "clientèle" masculine à travers le monde, est-elle concernée ? Si la performance génitale est productrice de richesse pour le système financier mondial, comment nous ferait-on croire que cette obligation religieuse s’adresse aux hommes, qui profitent de ce marché sans cesse renouvelé. Comment compte-on alors juguler la contamination, avec ce brassage humain incessant entre les pays fournisseurs de main d’œuvre et les "consommateurs", servis sur place ou se déplaçant en zone de tourisme sexuel ? Les "clients" sont-ils tous des candidats au suicide ?
L’obligation d’abstinence, par absence de protection, est le projet criminel d’associer les sexualités à un risque mortel. L’excision est combattue aujourd’hui, car elle condamne les femmes à la frigidité et à d’horribles souffrances. Les femmes africaines décidément doivent apprendre à se tenir, car elles sont maintenant visées par les campagnes contre le port du préservatif, qu’elles ont déjà tant de mal à obtenir.
Avec l’abstinence, quelle éducation sexuelle pour les jeunes ?
Les jeunes, autre cible de tous ces prédicateurs, qui n’auront pas d’éducation sexuelle, ne connaîtront pas leurs droits sexuels et reproductifs. Ils pourront toujours aller sur internet pour apprendre comment "les femmes aiment ça !" selon la conception masculine et pornographique. Pourquoi s’étonnerait-on alors que la quête des garçons, le corps encombré aux premiers émois, à la recherche d’une fusion éphémère, pleine de promesses mais interdite, se transforme en cauchemar pour les filles, proies désignées par tous les médias ? La séparation des garçons et des filles est une autre dimension du projet, pour les prévenir, dès le plus jeune âge, de toute tentation ; les filles devront-elles rester des oies innocentes ou dévergondées, coincées entre le voile et le string, pendant que les garçons apprendront dans la "maison des hommes" à les dominer ?
Le mariage reste le moyen d’obtenir l’abstinence des jeunes, des femmes et peut-être maintenant des homosexuel-le-s, tout en gardant un bon taux de natalité et d’adoptions. Le célibat peut-il devenir dangereux pour la santé ? Si la crainte d’être suspecté-e de liberté sexuelle et du HIV ne suffit pas pour infléchir les comportements, la peur du péché et de la punition sera efficace sur une partie de la population.
Des organisations internationales relaient ce type de politique dans le monde, des partis politiques s’en inspirent et des religieux l’imposent sur les terrains qu’ils occupent.
Le lourd fardeau des femmes africaines
Le continent noir de la sexualité féminine, déjà enseveli sous le sexisme ordinaire, est mis sous cloche, au moment où il est affaibli par la récupération culturelle et commerciale de la libération sexuelle. Quels seraient alors les choix qui sont proposés aux femmes pour vivre leur sexualité, si on leur interdit le désir et la jouissance sans risque : attendre le mariage sans aucun expérience préalable, s’assurer de la fidélité du mari, profiter du coït avec le risque d’être enceinte, subir de multiples grossesses. Et je ne parle pas du sida. On a voulu nous faire croire que le sida était une malédiction du ciel pour décimer la "perversion" homosexuelle, il suffit maintenant de relancer le spectre de la femme lascive, dangereusement expérimentée, à la libido dévorante et castratrice, troublant l’ordre moral de la famille, où la femme est chargée de maintenir la "normalité". C’est là que l’on retrouve les figures aliénantes de la sainte et de la putain ; les femmes doivent choisir d’associer leur sexualité à l’image de la sainte, qui n’est autre que la mère, l’épouse et la ménagère respectables, ou celle de la putain devant payer son tribu d’injure, de violence et d’exclusion. Au moment où la lutte contre le terrorisme devient une vaste machine de guerre, les femmes et les prostitué-e-s assurent la chair à canon et le repos du guerrier. La campagne sur l’abstinence est une attaque à la liberté sexuelle sur des critères religieux, racistes et géopolitiques. N’a-t-on pas justifié la guerre en Afghanistan et en Irak au nom des libertés, ce qui n’empêche pas de s’allier avec les religieux qui luttent contre ces libertés !