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Burkina : le village où les femmes possèdent la terre

vendredi 30 avril 2004, par Dominique Foufelle

Une fois leur parcelle de terre "sécurisée", les femmes produisent plus et leurs revenus augmentent. Tel est le constat fait dans un village du Burkina Faso où les hommes ont accepté de céder une partie de leur champ à leurs épouses.

À sa réputation bien établie de Mecque de la pomme de terre, Maganfesso, hameau, situé à une quarantaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, dans l’ouest du Burkina, est sur le point d’en ajouter une autre : celle du village où les femmes possèdent leur propre champ. Ainsi Haoua Traoré, 36 ans, quatre enfants et une coépouse, détient une parcelle "sécurisée" de 2 ha. Aucun papier n’atteste sa "propriété". Qui peut brandir un tel document dans le village ? "Sécurisée" veut tout simplement dire que son mari s’est engagé devant l’assemblée du village à lui céder ce terrain pour la vie et à ne jamais le lui retirer, même en cas de divorce.
Comme Haoua Traoré, le tiers des femmes mariées du village possède désormais ses propres parcelles. Elles y cultivent de l’arachide. Elles peuvent enrichir leurs champs avec du fumier et de l’engrais et même y planter des arbres sans risque de se voir déposséder. Odette Traoré, paysanne et alphabétiseuse, venue de Toukoro, à une quinzaine de kilomètres, pour enseigner aux femmes de Maganfesso, à lire et à écrire en jula, n’en croit pas ses oreilles. "Moi aussi, je vais coincer mon mari pour qu’il me cède une partie de son champ", dit-elle, admirative et déterminée.

"Un petit champ fatigué" pour les femmes

La résolution d’Odette n’a rien d’un caprice. À Toukoro, comme ailleurs au Burkina, et dans de nombreux pays du Sahel, la femme ne peut être propriétaire de la terre au regard du droit foncier traditionnel. Bien que 88,8 % des femmes participent aux travaux agricoles au Burkina, elles "sont généralement comptabilisées comme main-d’œuvre dans l’exploitation familiale où elles sont faiblement encadrées, rarement propriétaires de la terre et peu bénéficiaires des équipements agricoles", relève une étude du ministère de la Promotion de la femme. "La terre va en héritage aux hommes, pas aux femmes. C’est le chef de famille qui cède à son épouse une partie de ses domaines. Très souvent, il s’agit d’un petit champ fatigué, qu’on peut aussi lui retirer à tout moment, sans explication", rappelle Si Traoré, le chef de village de Maganfesso.
C’est pourquoi, lorsqu’en 2000, Cikelaw, une association locale de développement, décide d’organiser des forums de discussion dans la région, avec l’appui de la Fondation de France, les femmes de Maganfesso choisissent le thème de l’accès à la terre. Colette Karama, animatrice de Cikelaw, explique que la partie n’était pas gagnée d’avance. "Ici, la femme est considérée comme étrangère dans son foyer. De ce fait, elle ne peut pas être propriétaire, car elle peut partir un jour." Lors des multiples "causeries" organisées autour de la question, les hommes expriment leurs craintes. "Les femmes sont ingrates. Si vous leur donnez un grand champ, elles s’en occuperont en priorité au lieu de travailler dans l’exploitation familiale. Elles garderont tout ce qu’elles vont gagner. Sans oublier que certaines pourraient même vous manquer de respect", soutenaient-ils. "Les débats étaient très houleux et parfois, on craignait que les gens n’en viennent aux mains, raconte-t-elle. Puis, chacun ayant fait valoir ses espoirs et ses craintes, quelques maris se sont engagés à donner une partie de leur champ à leur femme. En vérité, cela ne leur a pas coûté grand-chose, car les gens ont de grandes parcelles qu’ils ne peuvent pas exploiter tout seuls."

Satisfaction des hommes


Aujourd’hui, Maganfesso fait ses comptes. Les rendements des champs des femmes ont doublé, parfois quintuplé. "Avant, sur ma petite parcelle d’un demi-hectare, je gagnais 3 sacs d’arachide. Cette année, j’en ai récolté 20", lance Haoua Traoré, fière de sa réussite. "Je mets des ordures ménagères et de la bouse de vache. J’assure aussi un bon entretien. Avant, je me contentais de désherber une seule fois, car je ne savais pas quand on allait me retirer la parcelle. Maintenant, je nettoie correctement. Certaines femmes utilisent même de l’herbicide. Car on est désormais propriétaire".
Safi Traoré, détentrice d’une parcelle d’1,5 ha, ne cache pas sa joie : "On achète ses propres habits, ceux des enfants. Ce sont les hommes qui en profitent le plus, car on dit qu’ils entretiennent bien leur famille, même s’ils ne donnent rien". Le chef de village ne relève pas l’allusion. Il se contente d’ajouter : "En tout cas, il y a moins de bagarres avec les femmes. Elles mettent suffisamment d’arachide dans la sauce, au lieu du seul soumbala comme condiment. Elles ne viennent plus nous déranger sans arrêt pour telle ou telle dépense…"
Disposer de la terre est une chose, la mettre en valeur une autre. Le manque d’équipements aratoires relativise la portée de cette révolution foncière. "Les femmes ne peuvent pas bénéficier des charrues de leur mari pour labourer leurs champs. Pire, elles ne peuvent même pas en louer", constate Mme Karama. "C’est dur, on ne peut pas laisser son champ et aller chez les femmes", reconnaît le chef du village. "On travaille toujours en retard. Et donc, on gagne moins. Il y a un temps pour tout : désherber, semer. L’arachide veut les premières pluies. Si vous les ratez, votre champ ne produit pas des graines", explique Haoua Traoré, qui ne peut compter que sur ses deux filles pour l’aider.
Certaines femmes voudraient creuser des puits pour faire du maraîchage, disposer d’une bicyclette pour faciliter leurs déplacements et pourquoi pas cultiver du coton. Des demandes que Cikelaw ne peut pas satisfaire. Mais l’animatrice se dit comblée : "Le projet visait à valoriser les pratiques culturelles de solidarité dans une société en crise. C’est réussi, car nous avons pu aborder un sujet tabou. Nous sommes parvenus à concilier l’intérêt individuel et la solidarité de groupe".

Cet article est offert par l’agence Syfia

P.-S.

Souleymane Ouattara, Syfia Burkina – mars 2004

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